Chapitre II MON APPROCHE DU CHEMIN DE FER ET L'APPRENTISSAGE. Certaines nuits, et elles furent nombreuses, quand le rail est bon, charmé par la clarté lunaire, doucement bercé par le rythme saccadé des roues sur les joints alternant avec le silence des grandes longueurs, le ronronnement rassurant du diesel, que les signaux arrivent, happés par la cabine, l'oreille attentive aux moindres bruits, au timbre de la répétition des signaux, l'oeil vigilany, partout à la fois, tachymètre, ampèremètres, traction ainsi que sur les manos CP et CG, des souvenirs m'assaillent, en peit nombre d'abord, puis au fur et à mesure ils fourmillent, se bousculent, me submergent, tout celà en actionnant comme un automate le dispositif de la VACMA (Veille Automatique à Contrôle de Maintien d'Appuyé). Je me revois par un matin brumeux d'octobre, le premier de l'année 1936, franchissant l'entrée principale et monumentale des ateliers de voitures de la Compagnie de l'Est à Romilly sur Seine (Aube) pour y commencer ma première journée d'une longue carrière cheminote, qui ne s'achèverait que le 1er août 1971. Ce premier jour, mon père m'avait accompagné, comme il était de rigueur et réglementaire que celui-ci me présente en personne à mon chef d'apprentissage. Les années ont passé, la retraite approche et je ne peux croire qu'il me faudra quitter définitivement cet univers ferroviaire qui fut le mien, univers de sueurs, de peines, des soucis, mais de joies aussi, de la satisfaction des trains et des voyageurs transportés et arrivés à l'heure ( pour ce qui est de la traction vapeur) et en toute sécurité, enfin ce qui a rempli la partie la plus importante de ma vie professionnelle. Pour mémoire, mon père avait fait ma demande d'admission au concours d'apprenti à Monsieur le chef de Dépot de Longueville qui lui avait répondu en date du 5 mai 1936 que l'examen en vue de mon admission éventuelle aurait lieu le 7 juin 1936et que ma demande officielle devait parvenir au plus... tard à Monsieur l'Ingénieur des Ateliers de Romilly pour le 25 mai 1936. Une lettre n°452 AP du 26 mai 1936 en provenance des ateliers de Romilly nous informait que je devais me présenter le dimanche 7 juin 1936 aux ateliers de Romilly, 2 Rue Aristide Briand, pour y subir le concours d'entrée éliminatoire. Une lettre en date du 6 Août 1936 informait mon père de mon admission comme apprenti et le priait de renvoyer 3 contrats signés par lui-même et par moi. Il était stipulé les horaires d'entrée et de sortie : Matin: 7.15 à 11.45 ( 10.15 le samedi). Aprés Midi : 13.30 à 18.00. Aucune dérogation n'est admise. Mon livret de travail des enfants dans l'industrie m'a été délivré le 25 septembre 1936, écrit de la main même de ma mère, secrétaire de Mairie. La partie à remplir par le patron l'a été le 1er octobre 1936 et pour une durée de 3 ans. Le contrat d'apprentissage était sévère et fait par la Société Nationale des Chemins de fer français, alors que tous les documents précédents l'avaient été au nom de la Compagnie des Chemins de Fer de l'Est. Ma première approche du chemin de fer et plus spécialement de la locomotive à vapeur eut lieu en 1931. J'avais 10 ans et mon père était agent de train (conducteur cela s'appellait) en résidence à Provins, petite ville et chef-lieu de canton de Seine et Marne, située à 90km de Paris, sur l'embranchement de Longueville à Provins, Villiers St Georges, bifur de Neuvy, Esternay, Sézanne, Fère Champenoise et vers Vitry le François, maintenant abandonnée. Provins sur la Voulzie, ville riche en souvenirs historiques, célèbre pour ses tours médiévales, sa confiture de roses, son poète Hégésipe MOREAU, ancien fief des Comtes de Champagne, célèbre par sa tour de César et ses remparts. Mais revenons à nos moutons ; je ne suis pas guide et je m'éloigne du sujet ! Mon père me fit donc hisser sur la plate-forme des nouvelles et célèbres Mountains 241A en gare de Longueville. Je n'ai aucune souvenance ni de son numéro, ni de son dépot d'attache. A l'époque, les livraisons de cette série avaient débutées le 30 mai 1931 pour Chaumont (12) et Troyes (8). Je me rappelle tout cela comme si c'était hier : deux paires de mains noires me hissant sur la bête, l'antre du monstre où je restais bouche bée, stupéfait devant le nombre impressionnant de cadrans, manomètres, volants, robinets, tuyaux, manettes, qui rutillaient. Vraiment, les hommes qui montaient et commandaient une pareille machine étaient des êtres supérieurs, avec leurs faces burinées, leurs lunettes sur le front ayant laissé un cercle blanc autour des yeux, leurs casquettes visières en arrière, un gros foulard ceint autour du cou tenu par un énorme anneau de cuivre. L'un avait, il me semble, un tablier de cuir comme j'en avais vu au maréchal-ferrand du village. Tout cela leur donnait un air de super-hommes venus d'un monde inconnu qui n'était pas le mien. Au moment où je ne m'y attendais pas, toujours ébahi et émerveillé à la fois, un de deux hommes manoeuvra une poignée munie d'un énorme contre-poids ouvrant ainsi une partie de la porte du foyer. Brutalement, une haleine brélante me cinglait le visage, et je me reculais, heurtant les planches de retenue de la houille du tender. Celui qui portait le tablier de cuir m'écarta d'une main douce qui me surprit, et se mit à jeter alternativement à droite et à gauche et à des endroits connus de lui seul des pelletées de houille mesurées et ajustées, qui disparaissaient aussitôt dans le gouffre en fusion. Il referma et ouvrit l'autre partie de porte et renouvella l'opération. Le battant fut refermé d'un coup sec et d'un seul coup, je ne voyais plus clair pendant quelques instants. J'eus l'impression d'être aveugle puis tout redevint normal, à croire qu'un malin plaisir animait ces deux hommes, car l'autre manoeuvra un robinet projetant bruyamment un jet de vapeur qui me fit sursauter. Dès ce jour, ma décision était prise : je deviendrai le maître d'un de ces monstres de fer et de feu. Bien des années devaient s'écouler avant que le rêve d'enfant ne devienne une réalité. En 1933,à 12 ans, j'obtenais mon CEP avec mention bien et mes parents à cette occasion me firent cadeau d'un superbe vélo de course Automoto (J'étais le seul à avoir un vélo de course au village). Petite notice technique abrégée et historique des 241 A. Le marché de construction de cette série fut passé le 3 juillet 1924. La première machine fut livrée le 17 janvier 1925 au dépot de la Villette. 41 locomotives 241000A série 13 étaient enservice en 1938, 90 avec celles du réseau de l'Etat. Dès 1922, il s'avère que les Pacific 231 et les 230 vont devenir rapidement insuffisantes eu égard aux vitesses et aux charges en progression constante. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu de Pacific typiquement Est. La 41 001 fut la première Mountain de vitesse européenne à 120km/h, puis 105km/h et relevées ensuite à 110km/h. Les "boeufs" étaient aptes à tous les services de vitesse ; robustes, vaillantes, d'entretien peu onéreux et de conduite facile, mais dures pour la chauffe. En 1945, 87 encore en service. En 1952, réforme de la A9. Le 18 février 1965, réforme de la A65, aprés avoir parcouru 1 435 000km. Record de parcours : la A29, avec 2 115 000km. La 241A1, tender 35A1, est conservée à Mulhouse. Elle a été réformée le 17 Janvier 1959, à 1 896 000km. Je profitais donc pleinement du beau vélo le dimanche pour couvrir les7km qui séparaient mon village de Chalautre la Petite de Longueville, localité plus importante située sur la grande ligne de Paris à Troyes, Chaumont, Langres, Chalindrey, Vesoul, Belfort, Mulhouse et Bâle. A l'époque, Longueville était un noeud ferroviaire important, possédant un dépot (en 1950, dépot de classe 5 à l'échelle 13) et possédait 35 locomotives (230B et 140C). De Longueville, on allait vers Paris ou Troyes, à Montereau via Flamboin Gouaix en changeant de bout. Un embranchement desservait Provins et se dirigeait ensuite vers Esternay et Sézanne, Fère Champenoise, etc... En venant de Soisy-Bouy, avant de passer sous le pont du chemin de fer, je quittais la route départementale pour empunter un raidillon cailloteux sur la gauche qui grimpait entre un bois et la ligne qui se trouvait en talus. Aprés quelques centaines de mètres, j'arrivais à hauteur de la plate-forme de la voie. A cet endroit, j'avais une visibilité excellente à droite et à gauche ; tapi dans les hautes herbes, j'attendais le passage des trains. Bien entendu, je ne connaissais pas les horaires mais j'étais patient et cette qualité était toujours récompensée. Ne venant jamais aux même heures, j'avais noté des heures de trains dans une fourchette de 13h à 18h. Je les entendais venir de loin, soit de Paris, venant de débouler du viaduc dans la courbe à l'entrée de la gare à droite, au maximum de leur vitesse, dans un fracas de fin du monde, la locomotive semblant reprendre son souffle, poussée par les voitures, laissant échapper un léger panache blanc ( j'appris bien plus tard en le pratiquant moi-même que nous faisions une coulade avec un mince filet de vapeur aux cylindres pour que les bielles ne cognent pas et aussi quelques fois pour se reniper). Ou bien alors un lourd train de marchandises sortant de la tranchée de Chalmaison, la fumée montant droite dans le ciel, noire ou grise selon les charges du chauffeur. Dans ce sens, la rampe était sévère jusqu'au faux-plat de la gare de Longueville. Le convoi interminable défilait devant moi à vitesse réduite. J'avais tout loisir d'admirer le mouvement des bielles ainsi que le va et vient du piston et de sa crosse. Le mouvement des bielles d'une locomotive à vapeur impressionne toujours petits et grands, surtout quand on a 12 ans, en encore plus en 1994, du fait de la rareté du spectacle. Que de belles photos j'aurais pu faire, mais je ne pensais pas que ces machines puissent disparaitre, mais plutot qu'elles dureraient pour l'éternité, ne pouvant être remplacées. Je pris un contact un peu plus poussé et direct en 1934 quand, à la rentrée scolaire, je fréquentais le cours complémentaire de Nangis. Je prenais le train le matin à Provins à 6.31 aprés avoir fait en vélo les 4km qui me séparaient de mon village. Je me levais tous les jours à 5.15. Je partais vers 6.00. Quand le vent venait du nord, j'entendais les deux coups de sifflet de la V600 qui demandait le frein. Le train était un assemblage hétéroclite de vieilles voitures à 3 essieux à lanterneaux du type AL (Alsace-Lorraine) et des fameuses cages à poules qui n'avaient ni couloir, ni WC, un globe électrique qui dispensait une lumière parcimonieuse jaune pour deux compartiments ; par temps de pluie, l'eau entrait par la toiture dans les globes et se balançait au gré des secousses. En principe, tout le monde se serrait dans les voitures AL, plus grandes et bien chauffées. Le tout était remorqué par une locomotive de la série V, en l'occurence la V 659, surnommée la vessicatoire, dépot d'attache Longueville, haute cheminée, dôme à vapeur proéminent, locomotive-tender à cabine carrée, soutes à eau latérales dépassant en longueur le corps cylindrique, elle était toujours bien briquée, et je ne me lassais pas de l'admirer. Le bruit d'échappement de la pompe Westhingouse était vraiment caractéristique et les yeux fermés, je l'aurais reconnue au milieu d'autres machines. Grande coquette, elle arborait un trés joli cache-cheminée manoeuvré par une tringle à la partie inférieure de celle-ci. Elégante, elle portait une plaque en cuivre à son numéro de chaque coté et à la base de la cheminée. Le départ de Provins était précédé par le fonctionnement de la cloche électrique qui annonçait à Longueville le départ du train de Provins. Nous filions bravement nos 50km/h aprés être sortis de la gare encombrée à l'époque de wagons de terre réfractaire, de céréales et d'engrais, secoués en long, en large, en travers, brinqueballés en hauteur, tressautant à croire que nous roulions sur les traverses, dans le grand confort des banquettes à lamelles de bois. Les voitures étaient malmenées par les joints des rails revenant tous les 12m, un véritable carrousel. Il n'y avait aucun arrêt intermédiaire. Aprés avoir dépassé l'embranchement de la glacière de Beaujard et le Moulin des Forges, arrêt à Ste Colombe. Ensuite, c'était le défilé de la cité des cheminots, les 7km avalés en 12mn. "Longueville, tout le monde descend de voiture, les voyageurs pour les directions de Paris et Troyes changent de train !", et c'était l'envolée des ouvriers de chez Degond, usine métallurgique dont les sirènes mugissaient à 7h. Notice technique 131 TA - V600. Série issue de la transformation à Epernay dans les ateliers de la Compagnie de l'Est de 45 locomotives du type 031T en 131T. Livrées en 1907 / 1908, elles conservèrent leur ancien numéro précédé de la lettre V, car elles étaient spécialement destinées au trafic de la ligne de Vincennes ( V signifiant Vincennes). Au 1er janvier 1948, il n'en reste que 14 en service, toutes réformées en 1950. Elles avaient une bonne stabilité, meilleure qu'en version 031T, une meilleure inscription dans les courbes mais un manque de production de la chaudière. Affectées au dépot de Nogent - Vincennes et chauffées au coke jusqu'en 1925, à la mise en service des 131TB (32001 à 32060). Je reprenais un train omnibus en provenance de Troyes, le 12. Ce dernier s'acheminait péniblement, à une vitesse d'escargot presque vide, pour grimper jusqu'au sémaphore de St Loup de Naud et reprendre son souffle en gare de Maison-Rouge. La remorque était assurée par une 3800. Aprés arrêt à Maison-Rouge, l'ascension reprenait jusqu'au sémaphore de La Madeleine et c'était ensuite la descente vers Nangis, aprés un arrêt à la halte de Rampillon, perdue dans les prés et dont on apercevait le clocher à 2km. Pendant le parcours, aprés avoir écoper de quelques escarbilles en voulant jouer au mécanicien, je finissais mes devoirs ou je révisais ma leçon. Je commençais à me familiariser avec les diverses séries de locomotives racées et fines (Pacific), puissantes et rablées (Mountain), mastocs (140A), légères (230B 3400), à connaitre les trains par leurs numéros, à comprendre la signification des signaux. C'était l'époque où le feu blanc indiquait... la voie libre et où l'électricité n'avait pas encore détroné le pétrole. Le soir, le retour s'effectuait par le 45, départ deNangis à 18.20. Ce train était semi-direct de Paris à Longueville et ensuite ne desservait que Nogent sur Seine, romilly, Mesgrigny-Mery et Troyes. Il était relevé en marche omnibus par le 55 pour Troyes à Longueville. Quant à moi, aprés retour avec la correspondance pour Provins, je me retrouvais en famille vers 19.45. Bonne journée pour un gamin ! Les trois plus mauvais mois d'hiver, je restais en pension à Nangis et là, j'avais l'occasion de franchir le PN quatre fois par jour, en rapport avec les heures de passage des trains. Ou je flanais, ou je me pressais pour trouver les barrières fermées et regarder passer les convois. A une certaine époque, vers 13h, des essais avaient lieu entre Verneuil l'Etang et Longueville pour étudier à grande vitesse le comportement des voies avec une 241A, car ce type de locomotive a trés grand empattement avait tendance à avoir une inscription dans cetraines courbes néfaste à la bonne tenue de la voie avec pour conséquence la déformation de cette dernière (renseignements fournis par M. Roger Lorin, homme d'équipe qui le tenait d'un de ses camarades du service de la voie). De plus en plus s'encrait en moi l'idée de devenir mécanicien et chaque fois que j'entendais une locomotive siffler, ce bruit me pénétrait jusqu'au plus profond de moi-même. Le 11 octobre 1932, la 241 036 de Troyes déraille sans raison apparente à Villepatour-Presles à 110km/h. Les études ne me passionnaient guère. Quand je pense que ma mère voulait que je devienne instituteur ! Au bout de 2 ans, fin 1935, mon père me posa la question rituelle : "Que veux-tu faire ?". Temps heureux où un père pouvait poser une pareille question ; à notre époque, on l'aurait pris pour un fou. La réponse fut claire et nette : "Je veux être mécanicien de locomotive". Je passais donc le concours d'entrée aux ateliers de Romilly en me surpassant. Adieu l'école ! Les derniers mois, je n'en fichais pas une ramée, laissant tout tomber, ce qui me valut de sévères réprimandes familiales. Je n'avais qu'une seule chose en tête : ficher le camp de l'école, sortir de cette atmosphère confinée, routinière, voir d'autres choses que des murs coome horizon. Je voyais la fin des devoirs, des interrogations, des colles, en un mot, la liberté avec un grand L, ou tout au moins ce que je croyais être, avec l'insouciance et le manque d'expérience de la jeunesse. Bien des années s'écouleraient avant que ce rêve ne se réalise pleinement. Illusions d'un gosse de 15 ans, et je pus me rendre compte par la suite et par expérience professionnelle qu'une carrière ne s'improvise pas, elle se construit avec du courage et de l'opiniatreté, du travail personnel, de la persévérance, et que l'idée et le désir sont une chose, mais que la réalité est tout autre. Notice 230 A 401 à 500. Locomotive typiquement Est ; première compound à 4 cylindres. Livrées de 1897 à 1901. Machines expérimentales toutes nouvelles, lancées sans qu'aucun prototype n'ait été préalablement testé. Locomotives mixtes destinées à la remorque de tous les trains lourds (voyageurs, express, marchandises), car elles étaient à l'époque les machines les plus puissantes de la Compagnie de l'Est. Limitées à 90km/h, ce qui est faible pour des roues de 1,75m, elles manquaient de liberté d'allur et furent transformées entre 1932 et 1937. Toutes en service en 1938. Celles non transformées furent réformées vers 1942. 230 B 501 à 890. Continuation plus élaborée des 3401 à 500 pour service mixte. Cette série est la plus importante du type Ten Wheel (230). Excellentes machines. En 1956, elles assuraient encore la remorque de la plupart des trains omnibus et marchandises de la région de Mulhouse. Simples, robustes, économiques, peu onéreuses en entretien. En 1951, il en restait 355 ; en 1957, 274 ; en 1962, 62. La 230B 879 fut réformée le 25 mai 1967 à Sarrebourg. Comme je l'ai dit précédemment, j'entamais ma carrière de cheminot ce 1er octobre 1936. Ce n'était pas la vie de château pour autant : pas pour le travail en lui-même, mais être debout tous les jours, été comme hiver, à 4.30 du matin, ce n'était pas le fricot ! Je prenais le premier train qui partait de Provins pour Longueville à 5.14, j'arrivais dans cette dernière gare à 5.26 et en repartais à 5.59, par le train omnibus 11 ayany son terminus à Romilly sur Seine. Au cours du battement à Longueville, la correspondance de Provins assurait celle vers Paris avec l'express 40-36 "Arlberg Express", qui à cette époque encore faste pour le chemin de fer avait un arrêt à Longueville et direct Paris. Bien entendu, il était remorqué par une 241A tous les jours. Je regardais émerveillé, et je ne m'en lassais jamais, la cohorte de voitures, la plupart étrangères, souvent 13 à 14 voitures qui ne tenaient pas à quai car la mountain marquait l'arrêt avant le passage en planches. Somptueuses voitures-lits de la CIWL portant sur leurs plaques des noms à faire rêver. Il existait encore 3 classes et les couchettes n'étaient pas développées comme de nos jours. Je voyais là le bout du monde : Suisse, Autriche, etc... Il arrivait l'hiver que le 40-36 ait des retards trés importants, du fait de la longueur de son itinéraire, des régions et frontières traversées. J'ai souvenance qu'il ait eut 12h de retard et une fois 24h, à tel point que celui du jour est passé presque en même temps que celui de la veille, se suivant. Je ne me doutais guère qu'un jour je serais voyageur dans ce train, et encore bien moins que j'en assurerais la remorque comme mécanicien avec les 141P, les 241P et les 68000 et 72000. A mon époque, il ne s'appellerait plus le 40-36 mais le 48, selon les humeurs des gens des roulements, de Belfort à Chaumont ou de Chaumont à Paris. Aprés son départ, dès que les feux rouges du fourgon de queue disparaissaient dans la courbe à gauche sur le viaduc avant de s'engouffrer dans le souterrain de St Loup, j'avais toujours en mémoire ce spectacle toujours nouveau d'un grand train international, ma vue n'était jamais rassasiée, mon esprit non plus car chaque jour, je découvrais quelque chose de nouveau, que je n'avais pas vu la veille. J'ai souvenance que l'équipe de la Mountain buvait le café au buffet. Ce train a eu une marche trés détendue, de tous temps, comme celle de tous les trains internationaux ; dans notre jargon, une" marche de corbillard". Je prenais place ensuite dans le 11, non sans être allé roder autour de la 3400 rutilante, avec ses beaux numéros à la base de la cheminée. C'était le temps où l'on prenait le rythme des transports, où l'on vivait sans courir, et où l'on ne parlait pas de moyenne ; le chemin de fer tenait encore une place prépondérante dans le monde des transports, et principalement en zone rurale. On commençait déjà, de ci, de là, à parler de coordination, de suppression de lignes. L'omnibus était encore roi, mais ses jours étaient comptés : des technocrates, des statisticiens, des économistes s'affairaient, supputaient, travaillaient déjà dans l'ombre des bureaux à sa mort. Ces braves omnibus, ils desservaient des gares aujourd'hui disparues et dont beaucoup de jeunes conducteurs n'ont même jamais su qu'elles avaient existé. Seuls les anciens peuvent dire quand nous nous arrétions à Grand Puits, à Rampillon, à Everly - Chalmaison, à Meltz sur Seine, à Herme, à Pont sur Seine... La liste serait trés longue, de ces gares disparues. Les directs s'arrêtaient à Flamboin - Gouaix, établissant des correspondances pour Montereau. On allait directement de Provins à Montereau et on allait à Esternay et Sézanne par Provins (ou Romilly). Que reste-t-il de tout cela ? Des rails rouillés, des plate-formes envahies par les ronces et les herbes, ou déferrées (ou neutralisées, cela fait mieux), des gares délabrées ou vendues à des particuliers. Epoque révolue que d'aucuns ne connaitront jamais, nostalgie d'un passé où l'on vivait plus au rythme de la nature qu'au bon vouloir des ordinateurs. Quel avantage avons-nous à mettre 2h pour faire 500km alors qu'il en fallait 5 ou 6 du temps de la vapeur ? Tout était coloré naturel, les pêcheurs, les chasseurs, leurs compartiments réservés, ainsi que ceux des "dames seules", les paysans endimanchés montant avec leurs paniers allant au marché... Que reste-t-il de tout cela ? Rien, le vide, le néant, les embouteillages, l'énervement, les insultes, les coups, quand ce n'est pas la mort, la pollution, les accidents, et puis -le mot est à la mode-, le stress. Si cela continue, les chiens, les chats, les moineaux seront gagnés par cette maladie des temps modernes. (Photo) Le train des Cités des ateliers de Romilly sur Seine de la Compagnie de l'Est. Le Petit Train des Cités s'appelait ainsi parce qu'il assurait le transport des enfants habitants les cités (ces dernières furent en partie détruites par les bombardements durant la dernière guerre), situées sur la RN 9 Paris - Bâle, qui se rendaient aux écoles de Romilly. Il effetuait le parcours 4 fois par jour. (Trajet AR des citées au PN de la Boule d'Or). Cette situation dura 40 ans du 8 juillet 1899 à l'exode de 1940. La locomotice Est B1 a été démolie le 22 juin 1939 et remplacée par la 741. Ce train était composé de 3 voitures de 3ème classe à 5 compartiments de 10 places, soit au total 150 places. Deux de ces voitures étaient munies de vigies avec frein à main ; en outre, le Westinghouse s'exerçait sur tout le train. Ces voitures construites en 1875 provenaient de la Compagnie des Vosges, fusionnée à celle de l'Est le 27 septembre 1881. La locomotive tirait pour aller vers les citées et refoulait jusqu'au terminus de la Boule d'Or à l'intérieur des ateliers. L'essieu de la première voiture avait une cloche ; de ce fait, on l'entendait venir de loin et il n'allait pas vite. On l'appelait le tacot des cités. La locomotive B1 qui le tractait était du type tender-mixte 020 construite par la SACM (Société Alsacienne de Construction Mécanique, de Mulhouse) en 1881 pour la ligne de Bondy à Aulnay où elle assura le service jusqu'au 15 septembre 1890. Elle passa ensuite au dépot d'Epernay où elle fit des navettes Epernay - Ay de 1890 à 1897. Enfin, elle fut affectée aux ateliers de Romilly le 8 juillet 1899 pour y faire les manoeuvres et le train des citées. Caractéristiques locomotive B1. Prix 21800F Capacité de la chaudière 0,390m3 Surface de grille 0,49m2 Timbre 9Bars Surface totale de chauufe 22,97m2 Diamètre des cylindres 0,240m Course des pistons 0,460m Contenance des soutes 1,135m3 Charbon 448kg Poids à vide 11,095T Poids en charge 13,320T Diamètre des roues 1,020m Le soir, je rentrais par le 40/42 en provenance de Mulhouse, qui desservait Romilly et Longueville. Maintenant, il est direct de Troyes. Je ne le répèterai assez du 42 : où pour 2h50, on dégustait une bouteille de Montbazillac au bar, assis aux petites tables dans le décor vieillot mais chaud du style 1900 ; rien à voir avec nos bars-cafétérias-grills-paniers repas actuels. Il m'est arrivé une fois un lundi soir de m'endormir dans le 40/42, m'étant couché fort tard dans la nuit du dimanche au lundi et de me retrouver au terminus de Paris-Est. Il ne me restait plus qu'à reprendre vers 20.30 un train qui me ramène à Longueville. Bientot, les diverses séries de locomotives en service sur la ligne 4 et de Provins, de Romilly à Sézanne et Esternay ne fut plus un secret : Mountains de Chalindrey, Troyes et La Villette, américaines 140G dites TP, 140A et 231. Le dépot de Longueville était plus modeste avec son écurie de 3400, 3600 et V60. A Romilly arrivaient le matin et presque ensembles les 4 trains ouvriers en provenance de Longueville, remorqué par une3400, ceux de Sézanne et Externay, par une 130B (les boiteuses car, avant d'être modifiées, elles avaient un cylindre HP et un cylindre BP, ce qui leur donnait en roulant l'air de se dandiner) et de Troyes. Notice 130 B Transformation de locomotives de type 030 - 92, en service en 1938. Les 030 non modifiées furent réformées en 1938. Locomotives remarquables, légères, économiques, simples, puissantes pour leur petitesse. Juillet 1941 : 92 en service. 1948 : 4 disparues par faits de guerre. 1958 : 35 en service. Les CFS et CFTA en louèrent 20. Janvier 1966 : 19 en service. Décembre 1968 : 4 en service. Les dernières furent réformées à Gray en juillet 1969. Certaines ont vécu 109 ans, record absolu de durée en France. La 130B476 a été conservée en état de marche par l'AJECTA à Longueville et a assuré un service touristique sur la ligne Chinon - Richelieu. Nos premiers mois d'apprentissage furent faits de stages dans différentes disciplines, comme il était en usage dans les écoles d'apprentissage du chemin de fer : ajustage, menuiserie, forge, peinture, sellerie, ferblanterie. Les cours en salle comportaient différentes matières : mathématiques, géométrie, chimie, physique, français, rédaction, instruction civique, législation du travail et dessin industriel. Notre professeur s'appelait M.Jules Sallis, dit "Juju". Notre moniteur d'ateliers section ajustage s'appelait M. Gilbert, un homme d'aspect sévère qui donnait de grands coups de gueule, car avec une équipe comme la notre de 15 à 18 ans, il ne fallait pas faire dans la dentelle : avoir de l'autorité et faire respecter la discipline et le sacro-saint règlement EST et ensuite SNCF. Pour mon compte personnel, je l'ai toujours considéré comme un homme droit qui exerçait son métier sans failles, pour nous inculquer ce qui ferait de nous de bons "compagnons". La discipline était de fer, et les apprentis du chemin de fer étaient trés recherchés par les patrons de la bonnéterie à la fin de leurs 3 ans. Nombre de mes camarades quittèrent le chemin de fer, attirés par des salaires plus substantiels que ceux de la SNCF. Un CAP était à cette époque une clé pour toutes les serrures, des usines à la recherche d'ouvriers qualifiés. Il faut que je reconnaisse que mes stages dans les corps de métier que comprenait un grand atelier de voitures m'ont été d'une grande utilité pendant toute ma vie pour bricoler. J'ai participé à la construction de la baignade à la "béchêre", j'ai aussi fabriqué et ajusté des coussinets en régule et remis en état les meules à main en grés du service de la voie. J'ai aussi en ajustant des tubes à fumée découpés au chalumeau construit l'entourage du stade des ateliers. Bien entendu, je travaillais à l'établi pour la confection des pièces et outils prévus au programme ainsi que pour les essais mensuels. Des anecdotes mémorables ont émaillé mes 3 ans d'apprenti. Quelques unes valent leur pesant d'encre : La jeunesse sera toujours un peu folle. Qui donnait de l'animation dans le 11 le matin ? Les jeunes, surtout aprés Nogent sur Seine avec toutes les bonnetières qui montaient à Marnay, Pont et Crancey. Réclamations des vieux grincheux : le résultat fut que notre bonne mère couveuse, la SNCF, avait décidé dans le secret de ses bureaux et en haut lieu de mettre un frein à nos débordements. Un compartiment spécial était réservé aux apprentis du chemin de fer de Longueville à Romilly, avec obligation sous peine de sanctions et en cas de dérogation dément constatée, le tout sous le contrôle de M. Leblanc, chef de brigade d'ouvriers qui montaient à Pont sur Seine, chargé de l'exécution de ces mesures. Cette situation n'arrangeait pas du tout mes petites affaires sentimentales et personnelles ; en accord avec la gare de Longueville, une plaque était accrochée à chaque portière des 2 cotés du compartiment de tête d'une C10, derrière le fourgon de tête ; avec beaucoup de réticence, je me pliais au réglement tout en réfléchissant à la question, et le plan mérit. Comme par enchantement, la plaque coté quai au départ de Longueville disparut mystérieusement et impossible de la retrouver malgré les recherches du service de la voie. Il dut y avoir beaucoup de coups de téléphone, d'avis, de circulaires échangées entre les ateliers de Romilly et la gare de Longueville, responsable de la mise en place des fameuses plaques. Les ateliers les firent souder, mais elles reçurent une couche de peinture rouge du plus bel effet. La gare de Longueville ne voulut plus s'occuper des plaques, et c'est avec une joie à peine dissimulée que nous repr"mes nos anciennes habitudes. C'était gagné. Chacun aura deviné l'auteur de ce travail. Ma décision de devenir mécanicien s'ancrait en moi de plus en plus. Le 3 septembre 1939, la guerre. Mon apprentissage se terminait le 1er octobre et avant cette date, j'avais fait ma demande de mutation pour le dépot de locomotives de Noisy le Sec ; si mes parents étaient restés en Seine et Marne, j'aurais demandé Longueville. L'année précédente, la section de ligne de Provins - Esternay et de Longueville à Provins avait été rétrocédé par la SNCF à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord Est. Mon père alors en résidence à Provins avait été muté à Vincennes - Fontenay sur la ligne de la Bastille et ma mère, institutrice, attendait sa mutation pour Lagny. Le déménagement se fit de justesse suite à la réquisition de tous les camions. Dans l'antre des fauves. Le dépot de Noisy le Sec allait être mon nouveau départ. J'allais y faire toute ma carrière sauf une année au dépot de Nogent-Vincennes. Je quittais donc Romilly sur Seine où j'avais vécu les meilleures années de ma jeunesse. J'y laissais beaucoup de doux souvenirs, mais j'abandonnais tout cela sans un regret, mais avec quand même une petite pointe au coeur. De toute manière, je ne voulais pas moisir à l'école, ni étouffer dans un atelier. Bien entendu, je ne me doutais pas, avec l'insouciance de mes 18 ans, des dures épreuves qui m'attendaient, des privations, des brimades, des déceptions autant par le fait de l'état de guerre et bien plus encore par la dureté de la vie dans les dépots à cette époque. Mes débuts furent difficiles, sortant par rapport à la traction d'une cage dorée. Je me retrouvais directement sans transition, sans amis, sans soutien, dans un univers de saleté, dur, noir, inhumain, froid, impersonnel, dans une filière où je ne connaissais absolument rien, car il n'y avait rien de comparable et aucun rapport avec un atelier de voitures et de wagons et le monde de la locomotive à vapeur. D'autres jeunes démarraient comme moi, jeunes ouvriers, amis qui avaient l'avantage sur moi d'avoir fait l'apprentissage au dépot même où ils lavaient une locomotive en levage, en principe une 141 TB 4400, qu'ils avaient eux-même levée, démontée, réparée, révisée, remise à neuf et remontée. Eux avaient l'expérience. Je me sentais perdu, presque désespéré certains jours. La discipline était de fer, celle que j'avais connue en apprentissage de la broutille. La plupart des chefs d'équipes étaient plus des gardes-chiourmes que des hommes, il ne leur manquait que la trique. Je ne m'imaginais pas dans ma candeur qu'il puisse exister une exploitation à ce niveau de l'homme sur d'autres hommes frofitant de leur jeunesse et de leur inexpérience. A croire qu'ils jouissaient de leur supériorité imbécile. J'eus des moments de passage à vide dans cette ambiance o on ne savait que gueuler, menacer, réprimander, où je regrettais d'être venu. Je m'étais mis moi-même dans la gueule du loup, personne à qui me confier. A ce sujet, même mes parents ne m'auraient pas compris et j'aurais eu droit à "tu l'as voulu", et ma foi, il n'aurait pas eu tort. Je serrais les dents et tenais bon pour ne pas répondre ou me regimber devant ce mur d'incompréhension, et les réflexions désagréables de ces cheffaillons. Les corvées, les travaux les plus mauvais, les plus sales, les vexations, les 7P1 (demandes d'explications pour pertes de temps), rien ne me fut épargné, mais il serait dit que je ne céderais pas. Mon amour propre était en jeu. Et il ne fallait surtout pas compter sur une aide ou un conseil des vieux compagnons qui étaient aussi durs que leurs chefs, aussi endurcis sous le harnais. Ils cachaient leurs outils, ne donnaient aucune combine pour faciliter un travail, et prenaient un plaisir sadique à voir un jeune comme moi se faire malmener et engueuler par le chef d'équipe ou le contre-maître. Aprés un bon stage au service courant, j'atterrissais à la D, autrement dit l'équipe de levage D, avec comme chef d'équipe M. M..., dit "Gratte-Cul". Il devait avoir des vers car il avait la main droite occupée en permanence, ou peut être des morpions, je ne lui ai pas demandé. Je le craignais comme la peste. Il était long, maigre, laid à faire peur à une nichée de singes. En prime de tous ces attributs, il n'ouvrait la bouche que pour gueuler. Avec le recul, je considère qu'il était l'imbécile type doublé d'un abruti et qu'il était une nullité hors classe, le spécimen du vieux chemin de fer. Cet olibrius, quand il ne gueulait pas, parlait par gestes, ce qui était grotesque et la plupart du temps incompréhensible. Défense d'aller au WC trop souvent, et il chronométrait ; défense de casser la croûte, il fallait se cacher dans la fosse ou une boite à fumée et faire vite ; défense de rouler des cigarettes, fumer des toutes cousues : "cela faisait perdre du temps à l'équipe". x cigarettes x compagnons x heures x journées = x temps CQFD. Il avait un énorme bouquin, crasseux à souhait. C'était sa bible : le barème des temps alloués où toutes les opérations étaient calculées au centième d'heure, même pour la pose d'une vis, d'un écrou. Tout y était. Cet individu, petit roitelet de pacotille d'un univers archaique, régnait en despote sur une douzaine de compagnons, dont quelques-uns étaient aussi dingues que Gratte-Cul et éprouvaient une haine viscérale envers les jeunes. Et pourtant, il n'y avait pas de quoi pavoiser à faire à longueur d'année et presque toute sa vie le même travail à chaque levage. Déjà du racisme, mais sous une forme particulière. Nous procédions au levage des 230K ; et c'était la course entre les 3 équipes à qui sortirait la machine dans les délais les plus courts pour aller à l'essai en ligne. Les algarades, les insultes éclataient souvent entre 2 équipes pour la possession du pont roulant qui desservait les chantiers. En principe, il fallait 21 jours pour opérer le démontage et le remontage aprés remise en état complète, levage par vérins électriques, mise sur longrines aprés avoir sorti le train de roues, alésage des cylindres et distributeurs HP et BP avec ajustage de segments neufs, régulage et remise en état par alésage des coussinets de boites de roues et des bielles,, retrait du jeu des bagues du petit mouvement, remise en état et retrait des jeux des coins de boites de roues, alésage des trous des boulons d'armatures, remplacement des tubes à fumée, rodage des portées ds éléments surchauffeurs sur le collecteur, visite de toute la robinetterie, remplacement d'entretoises, pose le cas échéant de pièces de renfort sur la boite à feu, ajustage fer contre fer de la porte de la boite à fumée, ajustage au rouge au marbre et au grattoir du pied d'échappement, etc... Sauf avis contraire, c'était en principe le premier compagnon qui allait à l'essai en ligne et je fus fier quand je fus désigné pour une première sortie. Il faut dire qu'à cette sortie, je ne faisais plus partie de l'équipe à Gratte-Cul mais j'étais avec Cordebard dit "Bibiche", gueulard aussi mais un bon chef, le coeur sur la main, qui finit sa carrière au B.O.T, le Bureau d'Organisation du Travail. Le jour de l'essai, l'équipe presque au complet restait autour de la machine pendant l'heure du repas pour les ultimes retouches ou finitions, le fignolage, brider un tuyau, remettre une vis, resserrer une garniture, étancher une fuite, remplacer une rondelle, goupiller un écrou, etc... Les peintres étaient aussi de la partie, la machine sentait bon sous la petite pression, elle reprenait vie, sortant de sa létargie, suait, soufflait, reniflait, suaintait. Elle avait une odeur particulière de peinture, d'huile, de joints neufs, de toupe neuve, odeur indéfinissable que l'on ne retrouve qu'à la première mise en pression. C'était l'équipe titulaire de la machine qui procédait dès le matin à sa préparation en ce qui concerne le graissage et les réglages des pointeaux, la mise en place des épinglettes de rodage, le remplissage des graisseurs et les dessous de boites. En général, les épinglettes de rodage étaient de 20mm. La sortie en ligne avait lieu invariablement à 14h entre Noisy le Sec et Gretz-Armainvilliers. Il fallait se mettre à 2 pour tourner le volant du changement de marche et le plus souvent avec l'aide d'une barre à mine passée dans les rayons du volant pour la marche arrière ou la marche avant. Il fallait faire glisser les distributeurs qui avaient des segments neufs aux HP comme aux BP, les tonneaux avaient été alésés, les garnitures des tiges de pistons et des distributeurs étaient neuves et serrées. Entre le dépot et Nogent -Le Perreux, la vitesse ne devait pas dépasser 10 à 15km/h. Arrêt obligatoire à Nogent, descente dans la cage et visite des BP, contrôle des températures des boites de roues et des bielles pour déceler un éventuel début de chauffage, une goutte d'huile sur un congé ou une clavette de grosse tête de bielle motrice à desserrer. Si tout était normal, le parcours de Nogent à Rosny sous Bois était effectué à 25 à 30km/h ; aprés arrêt, si tout était normal, 40 à 50km/h jusqu'à Emerainville- Pontault Combault, arrêt obligatoire, revisite et 70 à 80km/h jusqu'à Gretz -Armainvillers. En règle générale, l'équipe titulaire de la machine, en l'occurence le mécanicien, payait le pot au "Singe Vert", bistrot situé prés de la barrière du PN. Le retour s'effectuait à la vitesse des machines HLP, soit 100km/h. Notice 230 K 103 à 280. La plus prestigieuse des locomotives de l'Est. Transformation à Epernay dans les ateliers de la Compagnie de 3103 à 3280 en 230 K au 1er janvier 1938. Locomotive de vitesse à 4 cylindres et à surchauffe. Première locomotive transformée : la 3249. En 1932, essai comparatif avec la 3257 non transformée : la 49 était plus économique, plus puissante, avec plus de liberté d'allure. Jusqu'en 1939, les 230 K ont réalisé des performances extraordinaires avec les trains les plus rapides mais légers. Déja supplantées pour les trains lourds par les Pacifics et les Mountains. Le 1er juin 1937, la 230 K 247 roule en essai de freinage à 148km/h entre Chaumont et Troyes. Certaines furent carénées (carénage Huet des 230 k 233 et 268). Le 31 octobre 1950, réforme de la 230 K 264. Le 10 août 1965, réforme de la 230 K 238, qui fut garée aprés remorque d'un marchandises omnibus de Longueville à Troyes. La 230 K 256 a parcouru 2 435 336 km. Les 230 K 242, 245, 248, 249, 251, 254, 267, 269, 273, 274 et 276 furent équipées de la chauffe au fuel et carénées partiellement. Elles furent mises en tête des trains drapeaux 1, 2, 3 et 4 Paris - Strasbourg et vice-versa ; 502km avec arrêt à Lérouville et Nancy en 5h47, réduit en 1949 à 5h15. La fin de 1939 et jusqu'en juin 1940 fut la période de la drôle de guerre, qui n'en était pas moins une guerre quand même, avec sa suite de destructions, de sang, de souffrances, d'arrestations, de déportations, de délations, de larmes, de détresses, de crimes, de tortures, et pour finalité la mort. En mars 1940, je m'engageais et j'étais admis à l'école technique de l'Armée de l'Air à Rochefort. J'avais encore la fibre patriotique, quelle idée quand j'y pense ! De toute manière, il ne faut jamais rien regretter de ce que l'on fait. Je croyais encore à la France, comme beaucoup de jeunes, et pour moi celà valait la peine de se battre et de mourir pour elle. J'avais encore la vision des actualités vues au cinéma, pour le défilé du 14 juillet 1939. Avec une armée pareille, nous ne pouvions être que vainqueurs. Quelles illusions ! J'y croyais malgré notre abandon de l'Espagne à Franco, de la Sarre à Hitler, avec en prime les Sudètes, notre soumission servile déjà à l'annexion de la malheureuse Tchécoslovaquie, à laquelle nous étions liés par un traité que nous n'avons pas respecté. Et puis, la Pologne : nous faisions l'autruche, croyant dur comme fer que les nazis nous épargneraient. Les beaux slogans "La route du fer est coupée", "Nous vaincrons car nous sommes les plus forts", "La ligne Maginot est infranchissable", j'en passe et des meilleurs. Avant que je ne reçoive mon ordre de route pour Rochefort, les divisions blindées de Hitler, contournant la ligne Maginot, écrasaient la petite armée belge et la notre dans la foulée, broyant comme un bulldozer géant crachant la mort Belges, Français et Anglais, et jetant sur les routes des centaines de milliers de civils mélés aux armées en retraite. Quelques uns de mes camarades, jeunes cheminots engagés, étaient partis début 1940 pour Rochefort. J'ai su aprés la débacle que certains ayant déja eu des notions de pilotage, à l'approche des Allemands se risquèrent à partir. Ils se perdirent certainement car nul n'en a plus entendu parler. Notre malheureuse armée se repliait "sur des positions prévues à l'avance". Vint le tour de la Région Parisienne de prendre sa place dans le carrousel infernal de l'exode. Pourquoi ? Je me pose encore la question, 58 ans aprés ! La panique, la peur collective, la hantise de la cinquième colonne... Il ne faut pas oublier que dès le lundi 3 juin 1940, les aéroports d'Orly, du Bourget et de Villacoublay ainsi que les usines Citro'n dans les 15ème et 16ème arrondissements avaient été bonbardés (300 morts). L'exode. La masse des parisiens autres que ceux déja partis en voiture se précipitait vers les gares de Lyon et d'Austerlitz, se mélant aux flots des réfugiés du nord, de l'est et de la Belgique. Des nuages pouvaient surgir à tout moment, dans le hurlement des sirènes, le ronflement asourdissant des avions, l'éclatement des bombes et la mort. Le 6 juin, peu de monde dans les rues, quelques petites vieilles, des clochards, des gardiens de la paix sur leurs vélos grinçants, des voitures lourdements chargées et surchargées de matériels hétéroclites, d'autres groupes poussaientdes voitures d'enfants, des brouettes, ou tiraient des charettes à bras remplies de pauvres trésors : pendules, aspirateurs, machines à coudre, baromètres, bocal à poissons, cages à oiseaux, portraits de famille, poupées, tapis aux couleurs passées. D'où venaient-ils, ces enfants pâles, ces femmes fatiguées, ces vieillards exténués ? Dans les gares, une multitude compacte se pressait, les bruits les plus divers circulaient : "Ils sont à Enghien", "Ils ont fait sauter les dépots de pétrole", "On a bombardé Versailles", "Les trains ne partent plus ; Paris est encerclée". Dans cette foule, des femmes étaient en talons hauts, trainant des enfants habillés à la hâte. Des adolescents tiraient des voitures à bras trop lourdes pour eux ; sur certaines, un vieillard ou un infirme était perché. Parmi eux, des soldats en débandade, sans casque, l'air hagard, les uns avec une valise, d'autres avec encore leur fusil, et tout cela convergeant vers les gares. 238 trains supplémentaires avaient été prévus : un départ toutes les 5 mn. Ma mère et mon plus jeune frère, Pierre, étaient déja chez mes grands-parents paternels, das un bourg de Charente Inférieure, prés de La Rochelle. Mon père, parti de Lagny en vélo, se retrouva à Bordeaux. Mon frère Jacques se retrouva lui à Mont de Marsan. Pour mon compte, j'évacuais, avec le dernier mouvement qui partait du dépot avec du personnel SNCF, femmes et enfants. Point de repli : Brive la Gaillarde- Dépot. Je me retrouvais donc le matin du 12 juin 1940 avec ma valise montant dans un ABJ Renault, laissant le dépot vide, abandonné. Personne ne savait où étaient les Allemands. Des bobards circulaient, des bruits contradictoires étaient colportés. Sur Paris, le cile était noir et les banlieues Nord et Est de même, obscurcies par la fumée des docks à essence qui brulaient à St Denis. Le soleil était complétement caché, rues désertes, volets fermés, ambiance sinistre qui faisait froid dans le dos, de fin du monde, comme une odeur de mort, avec de la cendre dans la bouche. L'ABJ qui nous remorquait n'était relié à l'autre que par un attelage de fortune, une barre de remorquage clavettée, les 2 engins surchargés. Je m'installais dans l'autorail en remorque, dans la cabine de conduite avant, avec mon camarade de travail Puteaux, dit "Cacahouette". Bien entendu, avant de partir, nous avions été faire la razzia chez "l'Auvergnat", un café-épicerie, pour être sur d'avoir au moins quelque chose à se mettre sous la dent et de ne pas souffrir de la soif. Nous pensions que le voyage serait long, mais que malgré tout, nous arriverions à bon port, si la chance était avec nous. Car nous avions un peu peur, mélée à de l'anxiété ; mais à vrai dire, d'autres étaient plus malheureux que nous. Les mamans avec leurs enfants qui faisaient partis du convoi étaient en majorité sans maris, et leur état d'âme n'était certainement pas le même que le notre. Ce 12 juin, départ à 8h du matin. Vers 14h, alors que nous étions arrétés devant un carré fermé à l'entrée de la gare de Juvisy, une locomotive à vapeur HLP vint nous heurter à l'arrière. Aussitot, ce furent des cris, des appels au secours. Sous la violence du choc, le fragile attelage s'était rompu et l'avant de notre autorail se trouvait encastré dans l'arrière de la motrice. Cacahouette et moi nous retrouv‰mes pataugeant dans les débris de verre de vin et d'apéro ; plus de réserve ! Bien heureux, plus de peur que de mal, des dégats matériels, mais pour les voyageurs, quelques bosses, égratignures ou contusions sans gravité. Ce fut la locomotive tamponneuse qui sépara les 2 véhicules, mais notre ABJ était HS, seule la motrice pouvait continuer. La moitié des voyageurs se retrouva donc sur le quai de la gare de Juvisy. Un véritable marché arabe. J'avais des débris de verre dans les cheveux et je sentais la vinasse. J'allais à une fontaine proche et là, je retrouvais par hasard un autre de mes camarades, Pierre Volkaert, arrivé là je ne sais comment. La cour de la gare était couverte de vélos entassés les uns sur les autres, sur plusieurs hauteurs, la SNCF n'ayany pu les expédier. Enchevétrés les uns dans les autres, une montagne de vélos ! Sur la route à proximité, un flot sans cesse grandissant, charriant pêle-mêle vélos, motos, voitures à chevaux, chars tirés par des boeufs, voiture de pompiers, corbillard même, triporteurs, des autobus transportant des prisonniers et leurs gardiens. De quelle prison venaient-ils ? De bons Français, en prélude du marché noir, vendaient de l'eau à 10 sous le verre. Notre trio maintenant se demandait bien ce qu'il allait advenir de nous, mais encore un miracle se produisit. Ce n'était pas un rêve, une fumée au loin et derrière une longue file de voitures vides. A l'arrêt et même avant, ce fut l'assaut comme dans un western, et il y avait de la place pour tous. Ce train était parait-il le dernier. Nous roulons à une vitesse déconcertante, mais nous avançons vers le sud ou reculons par rapport à Paris, "repli stratégique prévu à l'avance". Dans l'aprés-midi, arrivée au triage des Aubrais ; impossible de savoir quand nous repartirons. Les faisceaux sont combles, encombrés de trains militaires, de ravitaillement, de munitions, de marchandises, de civils. Une pagaille monstre, inimaginable, un beau carton pour ceux qui nous poursuivaient. Bruits contradictoires, on part, on ne part pas, ordre, contre-ordre, nous en conclémes tous mes trois que nous avions le temps d'aller si possible s'en jeter un et se procurer de quoi manger. La devanture était d'un beau jaune canari éclatant, à un coin d'une rue longeant la voie en haut de la tranchée."Chez Frédéric" : je ne sais s'il existe encore mais dans les années 60, quand je descendais sur Limoges, je pensais toujours à cette aventure dans ce café qui aurait pu très mal se terminer pour nous. Le café était bondé. Un bon petit vin blanc nous rafraichit le gosier. Tout allait bien, mais cela se gâta en quelques minutes, quand je demandais à la patronne de nous vendre 2 litres de vin à emporter, alors que nous n'avions bien entendu pas de litres vides. Elle refusa net. Alors, Volkaert, avec sa voix gouailleuse de titi parisien, lui dit "Vous allez voir si ceux que l'on a aux fesses vont vous donner des litres vides !". Un grand silence s'installa, puis une voix fusa : "Ce sont des espions, arrêtons-les !". Déjà, des hommes se levaient pour nous couper la sortie, et dans le plus pur style western, nous renversèrent deux tables devant nous avec ce qui était dessus ; les chaises volèrent. Dans la foulée, profitant de l'effet de surprise, nous fîmes une sortie trés, trés rapide en tapant sur tout ce qui était en face de nous, car en ces moments de folie, de débacle, l'espionnite, la peur collective, était comme un virus, chacun voyait dans des inconnus des gars de la 5ème colonne et dans le cas présent, la justice était expéditive, comme elle le fut dans de nombreux cas à la Libération. Personne ne saura exactement le nombre d'innocents lynchés et expédiés dans l'autre monde de cette façon. Nous étions poursuivis par une meute de fous ; hurlants, des garde-voies armés de fusils de chasse se mirent également de la partie aussi et faire de la chasse à courre. Je déboulais avec mes deux acolytes dans la tranchée. Il était temps ! Voyant le gibier s'échapper, une giglée de plombs passa au-dessus de nos têtes. C'est en sueur, en faisant des crochets entre et sous les rames que nous reprîmes bien sagement nos places, heureux de nous en tirer à si bon compte et miracle supplémentaire, à peine montés, le train repartait. Sans cette course-poursuite, nous serions revenus plus de train, plus de valises, et en plus les consommations n'avaient pas été payées. Aprés le départ des Aubrais, nous fîmes la connaissance de deux jeunes filles dont l'une, si ma mémoire est fidèle, s'appelait Odile Blanchoin et était institutrice à Rouen ou au Havre. Nous avons été corrects et galants. Le parcours des Aubrais à Brive s'effectua en 2 jours. Partis de Noisy le 12 juin à 8.00, arrivés à Brive le 14 juin dans l'aprés-midi. Un record de vitesse en ces temps incertains. Nous subsistâmes tous les cinq, profitant des longs arrêts dans la campagne en pleine voie pour nous ravitailler dans les fermes avoisinantes en oeufs gobés crus, en lait et en pain. Brive la Gaillarde, le portail du Midi, la fin de notre périple. Descendait du train une foule sale, affamée, fatiguée, dépenaillée, fripée, désorientée, trainant les pieds, les valises, les paquets et les enfants, envahissant les quais, les uns allant dans les centres d'accueil, d'autres dans des familles, chez des amis, d'autres attendant un train problématique qui voulut bien les propulser vers Tulle, Aurillac ou Toulouse. Les plus à plaindre : des personnes agées seules, que le destin a ammené là, ne sachant que faire, hébétées, fatiguées, déracinées, démoralisées, assises sur leurs valises, comme si elles attendaient que la mort vienne les prendre. Pour nous, cheminots actifs du dépot de Noisy le Sec,, des wagons de marchandises sommairement équipés pour 4 étaient mis à notre disposition au dépot même. Un lit de fer à chaque coin, une table dans le milieu, 2 bancs, 1 poële en fonte, 4 armoires-vestiaires, le strict nécessaire mais un toit et la sécurité. Certe pas un 3 étoiles, mais favorisés par rapport à beaucoup d'autres, surtout aprés avoir vu l'état de notre parcours au retour quand nous revinmes en zone occupée. Mon premier travail fut de prendre une bonne douche et ensuite de me rendre au bureau du personnel percevoir un accompte. Ces derniers étaient accordés sans problèmes ni réticence sur simple présentation de notre carte de cheminot. Dans les gares, il en était de même ; la bureaucratie avait dé recevoir des ordres. A notre retour, il n'y eut jamais de régularisation. En qualité d'ajusteur, un poste de travail me fut attribué au dépot, mais j'avais toujours un prétexte plus ou moins valable pour ne rien faire. A ce sujet, la Direction du dépôt de Brive a été trés conciliante à notre égard. Je ne me rappelle pas exactement le temps que nous restâmes à Brive ; ce que je me souviens, c'est mes visites régulières pour les accomptes. Nous nous étions équipés de casseroles et poêles et cuisinions dans notre wagon. Entre temps, avec les copains, bistrots, maison-closes, flirts, alors que déjà des français mouraient, d'autres prisonniers, ou torturés et emprisonnés, voire fusillés. Vraiment, nous ne nous rendions pas encore compte de ce qui arrivait, sous l'effet d'un choc, d'un K.O, et nous étions encore en zone libre, c'était notre seule excuse. Il fallait voir un bordel à Brive qui ne désemplissait pas, de jour comme de nuit ; véritable Cour des Miracles où toutes les corporations étaient représentées, comme à une exposition d'uniformes : facteurs, cheminots, militaires, gendarmes, croque-morts, j'y ai même vu une fois un curé. Le pauvre avait été grisé par ses compagnons peu scrupuleux, le Seigneur lui a, je l'espère, pardonné et il a dé faire beaucoup de pénitence. Pour mon compte, je n'avais pas apprécié cette manière de faire. Les filles ne chomaient pas, il y avait la queue... (on ne pensait pas encore au sida). Pendant ce temps, l'armistice avait été signé, coupant la France en 4 parties: la zone dite libre, la zone occupée, la zone rouge et la zone cotière, ces 2 dernières sous contrôle exclusif de l'occupant. La zone dite libre était sous contrôle de Vichy; quant à l'Alsace-Lorraine, ces 2 provinces furent purement et simplement annexées à l'Allemagne; en zone libre, une propagande habile et bien orchestrée, à grand renfort d'affiches, de slogans et d'émissions radiodiffusées . L'une représentant un soldat allemand tenant un petit enfant dans ses bras, l'autre essayant de nous convaincre de la bonne foi nazie, ne nous voulant que du bien, pour nous avoir délivré des périls juifs et rouges, et qui nous attendait en zone occupée pour reprendre notre travail, les bras grands ouverts et plein de gentillesse pour nous. Bien entendu, nous étions heureux de rentrer dans nos foyers respectifs, et notre départ fut copieusement arrosé. Nous fimes bien d'en profiter, car il fallut attendre de longues années pour recommencer pareilles libations. Cacahouette fut chargé comme un colis dans la rame métallique de banlieue Ouest avec banquettes en bois qui devait nous rapatrier. Bientot, ce fut la ligne de démarcation et nous fimes connaissance avec nos "nouveaux amis d'outre-Rhin", à vrai dire nos nouveaux maîtres. Avec leur langage rauque et leurs chiens, ils cernèrent le train, mitrailleuse en batterie et mitraillette à la ceinture, vérification d'identité, inventaire de nos bagages, visite du train aprés nous avoir parqué. Des voyageurs furent arrétés, malmenés, frapés à coup de crosses, et je découvris avec quelle douceur nos amis nous accueillaient. Une colonne fut formée sur le quai par nos libérateurs pour être engouffrée manu militari dans des camions bachés prévus à l'avance. Que sont devenus ces pauvres gens? Au bout d'un laps de temps qui me parut interminable, le train repartit et la débacle et ses séquelles firent leurs apparitions: des routes encombrées de camions, de voitures automobiles et hippomobiles, de véhicules militaires, de landaux, de poussetttes, de brouettes, des voitures à bras, le tout vides, éventrés, chavirés, brulés, dans les fossés, les champs, et ce sur des kilomètres sans fin. Nous circulions en voie unique sur une double voie, l'autre était occupée, direction Sud, par une file ininterrompue de trains qui n'avaient pas été plus loin; locomotives à vapeur froides, électriques pantographes baissés, wagons portes ouvertes, pillés, des monceaux d'habits, de linge, de chaussures, d'effets personnels jonchaient le ballast. Plus loin, des tas de blé, de farine, de sucre, de pommes de terre s'échappaient de sacs éventrés. Toute la misère, les biens d'un peuple vaincu qui s'étalaient là, pourissant lentement sous une petite pluie fine. Des gares étaient brulées, des ouvrages d'art endommagés; leur passage était autant d'opérations délicates, qu'il fallait franchir au pas, avec une extrême prudence, sur des écahfaudages de fortune. Le plus triste: de places en places, de petits monticules de terre surmontés d'une croix avec un casque ou une baïonnette, voire un modeste bouquet de fleurs fanées, ou rien du tout, indiquaient que des êtres humains civils ou militaires étaient inhumés là. Glorieuse armée de l'air italienne ou allemande, s'attaquant sur les routes à une armée vaincue et défaite, à des enfants, des femmes, des vieillards, mitraillant et bombardant sans vergogne tout ce qui bougeait, accomplissant leur oeuvre de mort, horrible boucherie gratuite, sans crainte de riposte ou de représailles. Toute la famille se trouva de nouveau réunie et au complet dans le pavillon de Thorigny sur Marne. C'est quelques jours aprés ma rentrée que j'eu encore l'occasion d'apprendre personnellement la gentillesse de nos nouveaux amis; bien entendu, peu de chose en égard aux souffrances endurées de nos prisonniers. Alors que je m'approchais d'une colonne de prisonniers venant de Meaux à pied et voulant leur donner à boire, mon récipiant se trouva à terre d'un coup de botte et pour moi, en prime, un coup de crosse dans le dos. Retour au dépot de Noisy le Sec. Le travail repris au dépot, notre patron étant doublé par un "Bahnof", chef de dépot allemand. Nous remires en priorité les 140 américaines de la guerre de 14-18, l'administration allemande ayant jeté son dévolu sur cette série dès les premiers jours de l'occupation, en raison de leur robustesse, simplicité d'entretien et de conduite, leur moteur à triple expansion et leur faible charge à l'essieu qui leur permettaient de circuler sur toutes les lignes, mêmes celles faiblement armées. Notice 140 B et G. Locomotives commandées par l'armée américaine à Baldwin (USA) en 1917 pour les besoins du Corps Expéditionnaire U S sur le front français. Livrées de 1917 à 1920. Au total, 2200 machines livrées à l'Europe, dont 1916 pour la France. En 1947, numérotation unique en 140 G des 1408 locomotives en service dont 210 à l'Est. Machines pour le service des marchandises à simple expansion et à surchauffe, 2 cylindres, conduite à droite sauf 140 G 525 à 655-1106 à 1110, qui eurent la conduite à gauche? Ces locomotives, très basses, s'inscrivaient dans le gabarit anglais. Vitesse limite à l'Est: 70km/h. Puissance: 1400cv. La plus importante numériquement des séries ayant circulées en France. Porte à faux arrière exagéré, mouvement de lacet important qui rendait le travail du chauffeur très pénible, mauvaise tenu de voie, n'ayant pas de roues porteuses, foyer trés long; néanmoins robustes, économiques d'entretien, mais grosses dévoreuses de combustible. Certaines sont restées en service 35 ans. A l'Est, surnommées TP (Travaux Publics). Toutes amorties en 1953, rapidement évincées par les 141 P. Un faisant-fonction de chef de brigade ouvrier-tourneur, en temps normal d'un courage qui ne risquait pas de l'étouffer, se distingua dès les premiers jours pour son zèle et sa servilité envers nos "nouveaux amis" en exigeant de nous un rendement maximum. Il ne fut malheureusement pas le seul. Nous ne voyions aucun cheminot allemand mais lui se chargeait de faire la chiourme pour livrer les locomotives le plus rapidement possible à l'occupant. De vieilles machines garées froides ou en attente d'amortissement arrivaient d'un peu partout, 230 A du PLM, et furent remises en service pour pallier aux prélèvements faits sur le parc moteur de l'Est par la Reichbahn. Ce furent les dures années de restrictions. Bienheureux celui qui possédait un morceau de terre ou des connaissances dans le monde paysan . Dès le 8 Octobre 1939, la durée journalière du travail est portée à 72h/semaine, revanche d'une certaine classe politique sur les acquis du Front Populaire. Comme disait M. Paul Reynaud, "Fini la semaine des 2 Dimanches!". Le casse-croûte, malgré les périodes de travail de 10h, ne comportait souvent qu'un ersatz de pain, ou pour les jours fastes quelques pommes de terre cuites dans le cendrier d'un cubillot (poële en fonte en forme de cloche). Il existait dans le hall de levage et à coté du bureau du chef d'atelier un énorme bain-marie de fabrication maison qui servait à réchauffer les gamelles. Certaines disparaissaient, contenants et contenus. Il fut donc décidé de passer une chaine dans les anses ou aux poignées. Le contremaître avait la clé dans sa poche. Malgré cela, les disparitions continuaient. Alors un agent fut désigné pour monter une garde permanente et seulement alors les vols cessèrent. Cette anecdote montre où peut pousser la faim, car certains avaient des gamelles bien garnies et d'autres peu ou même pas du tout. Je fus affecté au service courant, c'est à dire aux réparations à faire en rotonde ou dehors sur des machines froides ou en pression, en relais ou qui repiquaient (machines qui rentraient au dépot pour graissage et charge et qui repartaient de suite). A cette époque, 122 locomotives du parc étaient équipées du TIA -Traitement Intégral Armand- pour la désincrustation du tartre dans les chaudières, sur les entretoises, les tirants et les tubes. Beaucoup de machines avaient encore des foyers en cuivre. Le dispositif de TIA était monté à l'arrière sur le tender, ou sur une des soutes latérales pour les locomotives-tenders. Il consistait à introduire par l'intermédiaire d'un réservoir muni d'un flotteur un liquide appelé complexe de la quantité exacte dans l'eau des soutes. Ce liquide empéchait le tartre de coller en le transformant en boue qui se déposait à la partie inférieure avant de la boite à feu, d'où elle était extraite par un système à clapet de la cabine ou au dépot sur une fosse spéciale à la rentrée ou en ligne, j'aurai l'occasion d'en reparler. Les machines pissaient, c'est à dire qu'elles se refroidissaient en stationnement où, le feu en réserve,l'eau suaintait à l'intérieur du foyer. Il y avait aussi des ruptures d'entretoises, qui se traduisaient par un jet de vapeur plus ou moins prononcé. Ces dernières ayant un trou au centre, ces fuites et ruptures étaient dées aux différences de dilatation des différentes parties du foyer, celles entartrées se dilatant moins vite que les autres. Comme il se doit, les travaux les plus sales (bien qu'il n'y en ait guère de propres, mais il y avait des échelons dans la saleté) étaient réservés aux jeunes débutants et je fus un certain temps spécialiste de l'entretien des éléments surchauffeurs, des échappements, des couronnes de souffleur, des grilles à flammèches, des arroseurs de bavettes de portes de boites à fumée et de l'étanchéïté de ces dernières. Il faut y avoir travaillé pour savoir que la boite à fumée d'une locomotive à vapeur est bien l'endroit le plus déplaisant, le plus rebutant, ce qu'il en coûte de suie et de sueur qui, mélangées à l'huile coriace et dont l'épiderme se défait difficilement surtout en cette période où le savon était fait avec de l'argile et je ne sais trop quoi, nous avions le "briochin", sorte de p‰te que l'on touchait par ration parcimonieuse et mesurée comme un trésor. Par dérision, la boite à fumée s'appelait le salon. Il fallait s'adapter et je fis vite une découverte interressante. De premier abord travail de paria, dur et sale, mais en retour, j'étais tranquille car personne et encore bien moins les chefs ne venaient fourrer leur "pif" dans mes repaires; d'autre part, en trichant sur les temps alloués avec une bonne organisation pouvait procurer du bonus et avoir du bon temps et je vis l'avantage non négligeable que je pouvais tirer de la situation une pseudo-indépendance. Un bon morceau de craie et le tour était joué: tranquilité, prime et bon temps. Qui se serait méfié de moi et de "Minos", mon camarade de misère, Roger Guillemot, 2 pauvres minus, en bas de l'échelle, le plus bas que le plus bas, loqueteux, sales, minables, à faire pitié? Des burins, des écrous, des tire-fonds, des rondelles de 42 tombants du ciel dans les échappements, se frayant allègrement leur petit bonhomme de chemin vers les distributeurs et participant par ces maigres moyens à la lutte dans l'ombre contre les occupants, le tout se traduisant par des réserves, des imobilisations de machines, au grand désespoir des fridolins er de certains de leurs zélés collaborateurs français (ceux-là les pires pour faire mieux que leurs maîtres). Nous faisions aussi des remises en état bidons et avec Minos nous étions dvenus des maitres dans l'art du camouflage et du maquillage. A l'occasion, je ne compte pas dans les statistiques les bielles remontées à sec sur les tourillons, à coup de trique (masse) et dont le régule se cassait ou se décollait à l'intérieur de la cage au TP. Je montais les bielles à terre, accouplement avant plus accouplement moteur plus accouplement arrière. Avec Minos, nous présentions le tout sur les tourillons avec des barres à mine. La masse faisait le reste, en alésant au passage le régule neuf, trou de graissage obturé, sable très fin en très petite quantité dans les siphons et dans les boites de roues des tenders, et toutes les conditions étaient remplies pour un chauffage à brève échéance. Je me souviens d'une histoire qui m'a valu d'être reçu en personne par le chef de dépot allemand. Je n'avais jamais eu cet honneur et j'ai bien failli partir à la Reichbahn. Les américaines avaient des échappements fixes. Ce dernier était fixé par 6 goujons au socle de la culotte d'échappement et portaient des écrous en bronze borgnes. Au démontage, tout venait ensemble: goujons et écrous. Le travail d'un "bon compagnon" était de séparer à l'étau goujon et écrou et de remonter les goujons avec un pose-goujon et ensuite de bloquer le tout énergiquement. Je remontais le tout comme une simple vis. Le résultat fut probant: la TP remorquant un train de troupes très lourd entre Verneuil l'Etang et Mormant, l'échappement choisit cet endroit pour se coucher dans la boite à fumée. Ebranlés par les violents coups d'échappement, les goujons se firent la malle avec les conséquences à la clé: une demande de secours provoquant un superbe bouchon sur cette ligne d'importance stratégique pour les allemands. Bien entendu, il y eut des suites. J'ai fait l'‰ne comme jamais je ne l'avais fait jusque là, savon par le chef d'équipe, le contrema"tre, le chef d'atelier, le chef de dépot français et pour clore le tout le patron allemand, qui lui m'accusait directement et sans ambages ni fioritures de sabotage, d'ennemi du peuple allemand, me menaça de prison et d'envoi en Allemagne. J'avais eu chaud. Le boulet était passé très prés et je fus l'objet un certain temps d'une surveillance que je sentais sans la voir. Bien heureux pour moi, mon dossier était vierge de toute malfaçon professionnelle. Chapitre III IMPOSITIONS DE MAIN D'OEUVRE DE L'OCCUPANT. Dès Février 1941, des pourparlers sont engagés par les autorités allemandes d'occupation avec la SNCF dans le but de trouver des volontaires pour le travail en Allemagne. Il est fait appel en particulier à cette époque à des spécialistes (chauffeurs de locomotives, ouvriers d'atelier). Ces pourparlers trainent en longueur du fait de la SNCF; ils sont activés par des pressions diverses: -des gouvernants français: appel du chef du gouvernement du 2 Juillet 1942, réunions organisées par le Secrétaire d'Etat aux Communications les 23 et 24 Septembre 1942 à l'usage des chefs de service, chefs de divisions et chefs d'arrondissements. -des dirigeants allemands: ordonnance du 22 Août 1942, lettre du 7 Octobre 1942 du commandant militaire en France. Les uns et les autres faisaient largement usage de promesses, d'avantages matériels et moraux aux futurs volontaires, chantage à la libération de prisonniers, etc... Ces pressions sont suivies de mesures d'application fixant les prestations en personnel (24 et 25 Septembre 1942). Un recensement du personnel sous différentes rubriques a lieu par application d'une circulaire ministérielle du 22 Septembre 1942, complétée par l'indication des dispositions à prendre pour l'envoi des agents à la Reichbahn (lettre du Sous-Secrétaire d'Etat aux Communications du 8 Octobre 1942). Le service de la traction est le premier touché mais, par suite de l'absence presque totale de volontaires, la SNCF doit désigner d'office les agents ressortissants aux catégories des chauffeurs, ouvriers sur métaux, contremaitres, chefs et sous-chefs de brigades d'ouvriers et dessinateurs, qui partent en Allemagne dès 1942. Le tableau ci-dessous donne un aperçu des départs. Il comprend les renseignements relatifs tant à la traction qu'au matériel. Il est assez réconfortant de voir le nombre infime de volontaires par rapport à l'effectif total des 2 services. Catégories d'agents A fournir Ayant signé Ayant refusé Effectivement Réfractaires contrat signature partis contrat Ouvriers en métaux 416 251 112 363 53 Désignés Chauffeurs 249 125 64 189 60 d'office Visiteurs 42 5 20 25 17 CM-CBRO-SCBRO 53 27 19 46 7 Dessinateurs 11 1 1 2 9 Volontaires 67 67 Totaux 771 476 216 692 146 Les autres services sont également mis à contribution: -le service de la voie pour 517 unités (9 chefs de districts, 20 dessinateurs, 46 ouvriers et 442 cantonniers). -le service de l'exploitation pour 230 unités. Malgré toutes les mesures prises, le volontariat instauré pour satisfaire les besoins de main d'oeuvre de diverses branches d'industrie n'a pratiquement pas de succés. Aussi, aprés les mises en demeure successives des services allemands, ceux-ci prescrivent le recensement des français nés entre le 1er Janvier 1912 et le 31 Décembre 1921. Service de Travail Obligatoire (STO). Ce service est institué par décret n°34 du 16 Février 1943 pour tous les hommes nés entre le 1er Janvier 1920 et le 31 Décembre 1922, sauf restrictions médicales. Une première application du STO semble être d'apporter de l'aide à la SNCF dont les services de matériels et traction en particulier ne peuvent plus faire face à leurs obligations. Une convention passée le 17 Mars 1943 entre le Commissariat Général au STO, le chef du Gouvernement, le Ministre Secrétaire d'Etat à l'Intérieur et la SNCF affecte à celle-ci un contingent de jeunes travailleurs (36000) au titre du STO, une première tranche de 10 000 devant être affectée immédiatement (15 Avril 1943). En outre, 3200 ouvriers en métaux de l'industrie privée doivent être affectés aux ateliers de réparation. La part dans la région de l'Est est de 680 unités (235 manoeuvres et 445 ouvriers). Mais on ne tarde pas à savoir que cette main d'oeuvre est en réalité destinée à être détachée à la Reichbahn et l'on nous impose le 13 Mai 1943 la "formation accélérée" d'un contingent de 100 unités. Il convient de remarquer que cette formation est mené lentement et que des instructions ministérielles ultérieures limitent la date de la formation au 31 Juillet 1943, puis dispensent du stage d'essai par envoi direct en Allemagne ( 4 Septembre 1943). 5000 de ces jeunes gens doivent être envoyés en Allemagne (instructions des 16 Juillet et 31 Aoét 1943), le départ étant interrompu par circulaire 48M5 du 23 Octobre 1943 du Commissariat Général Interministériel de la Main d'Oeuvre. Un certain nombre de ces jeunes ouvriers formés par l'Est partent effectivement (80 au 15 Juin 1943 et 60 au 31 Juillet 1943). Cependant, devant le retard apporté dans les réparations de notre matériel et en raison des indisponibilités en résultant, les allemands s'inquiètent et même s'alarment. Le représentant de la Reichbahn prend la décision de faire cesser l'envoi d'ouvrier des ateliers de matériels moteurs sur l'Allemagne. Bien plus, les allemands décrètent le 20 Décembre 1943 l'embauche, sur l'ensemble de la SNCF, de 2000 ouvriers de l'organisation TODT à réaliser dans les dépots pour renforcer les effectifs. L'affectation, en ce qui concerne le service de la traction est la suivante: La Villette: 5, Noisy: 10, Vaires: 15, Chalons: 15, Mohon: 5, Lumes: 15, Blainville: 15, Audun: 15, Total:95. Mais avec cette main d'oeuvre nouvelle, on demeure loin des résultats escomptés par les allemands par suite de l'inertie voulue du personnel de tous grades des ateliers. Parallèlement à ces renforts plus ou moins effectifs donnés à nos services de matériel et de traction, la SNCF est, au 11 Mai 1943, taxée d'envoyer à la Reichbahn 1000 de ses agents soumis au STO; la part de l'Est est de 367 unités pour l'exploitation et de 340 pour la voie. Il y a en réalité 125 réfractaires. Aprés ce bref aperçu de la main mise de l'occupant sur notre outil de travail, revenons au dépot de Noisy le Sec. Quelques temps aprés cette chaude alerte, je décidais d'opérer mais d'une façon toute autre, plus discrète et en plus l'aval involontaire du contremaitre. Voici un petit a perçu d'une remise en état bidon d'un groupe d'éléments surchauffeurs d'une 230K: Ce jour là, je travaillais en tandem avec Minos. La machine mise à notre disposition était en rotonde Est. Nous procédions d'abord à un lavage soigné du "salon", ensuite nous faisions l'épreuve à l'eau des éléments surchauffeurs. Cette opération consistait à remplir la chaudière d'eau à la pression des bouches par un tuyau en toile relaint cette dernière à la vanne de vidange par un raccord fileté. Quand la chaudière était bien remplie, l'aiguille du manomètre de chaudière décollait légèrement de 1,5 bar à 2 bars. La machine devait être calée car en tirant sur le régulateur, elle aurait pu rouler (multiplier 2 bars par le nombre de cm2 représentant la surface des pistons, cela fait déjà une belle poussée). Nous ouvrions alors le régulateur HP (Haute Pression). L'eau se précipitait alors dans les éléments surchauffeurs ( les éléments surchauffeurs ont 2 orifices: par l'un rentre la vapeur saturée, venat du dôme de vapeur par l'intermédiaire de la table ou des soupapes du régulateur; aprés son parcours , elle ressort en vapeur sèche et se dirige vers les boites à vapeur et les distributeurs. Le collecteur est en 2 parties. Les éléments sont fixés au collecteur par un boulon à tête trapézoïdale qui s'encastre dans des rainures de même forme sur le collecteur et bloqué par un écrou borgne. L'étanchéïté est métal sur métal). Toutefois, certains éléments faisaient étanchéïté avec des joints "métallos" -locomotives de l'ex.AL où les éléments étaient couchés sur le collecteur qui se trouvait derrière l'échappement. On les appelait "les macaronis", et ce n'était pas le fricot pour les interventions. S'il y avait une fuite, l'eau gouttait aux joints sur le collecteur. Si l'élément était crevé, le plus souvent au culot qui était la partie se trouvant directement en contact avec les gaz chauds du foyer, on s'en apercevait rapidement à l'épreuve: l'eau coulait dans le foyer à la plaque. A l'aide d'un schéma fait à la craie, à l'intérieur de la porte de la boite à fumée et représentant les éléments par un rond, pour faire bonne mesure, nous mettions des croix dans des ronds d'éléments qui ne nécessitaient aucune intervention, car le temps imparti pour le démontage et le remontage d'un élément était de 1h. Bien entendu, noud descendions grilles à flammèches, couronne du souffleur et échappement (les 230 K avaient un échappement variable à trèfles, commandé de la cabine de conduite). Ce dernier était transporté à l'ajustage pour décrassage et remise en état le cas échéant. Pour la frime, nous faision des traces de clés à douille sur les écrous, nous colmations les fuites avec un mastic spécial de notre fabrication, boulons cassés, écrous usagés et roudelles récupérées à la ferraille mis en évidence sur le tablier. En plus, nous faisions faire un bon de sortie par notre chef d'équipe de boulons, écrous et rondelles du magasin, qui correspondaient en nombre exact aux matériels déteriorés ou comme tel. Ce matériel neuf allait directement dans le fond d'un collecteur d'égout (au moment où la matière première manquait: sabotage). Nous laissions sécher nos joints factices. En fin de journée, à une heure qui correspondait au temps imparti, nous allions demander à M. Curé, notre contremaitre, de venir contrôler le travailet partant de se porter garant de la bonne exécution du travail et de l'étanchéïté parfaite du groupe surchauffeur. Il était toujours en bleu impeccable, bien repassé,chemise blanche et cravate. Il ne montait jamais sur le tablier de la machine pour inspecter de prés: il se serait sali les mains (et cela nous le savions par expérience), et se contentait de regarder à distance respectueuse le "salon" éclairé par les lumières blanches de nos 2 lampes à acétylène. Minos ouvrait la prise d'eau, tout juste pour gonfler le tuyau en toile. De ce fait, il y avait en ouvrant le régulateur HP une pression nulle. Les joints bidons tenaient le temps qu'il fallait à M .Curé de constater la bonne exécution du travail. Jamais de compliment, pas un mot. Il repartait les mains dans le dos. Avec le recul du temps, peut-être n'était-il pas dupe, mais il n'en laissait rien voir; d'ailleurs, il n'a pas eu de problèmes à la Libération. Comme je plains les pauvres chauffeurs, l'ayant été moi-même par la suite, brélant de la houille de mauvaise qualité, suant sang et eau pour avoir du gaz avec une machine défectueuse. C'était notre résistance à nous, les humbles, les rampants, les sans gloire, les sans grades, seulement le n° 216. 216 à la plaque de cuivre des bleus, 216 sur la lampe à acétylène, 216 sur tous les outils à l'inventaire de notre caisse à outillage, 216 sur les jetons d'outillage qui permettaiant d'avoir de l'outillage spécial. Toutes ces petites opérations, ce sabotage, car il faut bien appeler les choses par leur nom, etaient faites dans l'ombre. Personne ne le savait, ne s'en doutait; mais avec le recul, je pense avoir participé avec mes faibles moyens à abattre la formidable machine de guerre nazie et peut être plus que certains résistants de la dernière heure bardés de médailles et du grade qu'ils s'étaient attribués. J'eus plusieurs chefs d'équipe: Dourland, dit "le Rat Blanc", Bergé, dit "le Mouton", Sarzacque, dit "Jules". Quand je fus en horaire décalé -matinée - soiréee- nuit (3 x 8), j'avais comme chef C.. dit "le Léo", le Léopard, une carne, s'il peut y en avoir une égale à Gratte Cul. Tout le monde se promettait de lui faire la peau à la libération. Il n'osait s'aventurer la nuit dans les rotondes car comme par enchantement des balais enflammés de pétrole tombaient sur lui, ou des briquettes de 10kg s'échappaient des tenders à son passage. Il ne sortait que rarement de son gourbi qui était à la sorti du couloir à droite en rentrant dans la rotonde Est. C'était un être bizarre. Il donnait le bon de travail, ce dernier étant le plus souvent sur des machines en pression, dehors en relais ou en attente de sortie au grill, la nuit, le jour, dans le froid, la neige, le gel, le vent, la pluie, dans des fosses sales ou remplies d'eau, de cendres et de m‰chefers chauds. J'ai trainé une fois dans la neige seul avec une chaine un accouplement; pour le remonter, du travail de forçat, comme l'a décrit mon camarade Roger Habert. Les machines rentraient et repartaient aussitôt. Le travail était exécuté seul. Il fallait bien faire attention et veiller à sa propre sécurité, car quelques fois le mécanicien de dépot faisait se heurter les machines en les classant. Cela défiait la sécurité, et personne ne faisait de sentiment à cette époque. On ne parlait pas des chères têtes blondes ni du "stress" de nos étudiants au moment des examens. Je revenais parfois au bout d'une demi-heure, ayant bataillé pour faire un boulot où il aurait fallut être 2 (par exemple remettre en place des vis de pipes de graissage derrières les rayons des roues). Il aurait fallut avoir 3 mains et je n'y arrivais pas. Le Léo une fois me traita de fainéant, de mauvais compagnon. Je me suis retenu pour ne pas lui rentrer dedans, et il ne bougea pas d'un poil de sa cagna. Je repartais donc et revins à l'heure prévue de sortie de la machine. Je le revois, léchant son pouce pour prendre le bon de travail, croyant celui-ci terminé. Mais à l'annonce de la non exécution de la réparation, alors là seulement, il s'agitait, ranimant sa lampe à acétylène en la secouant pour raviver la flamme et venait m'aider. Bien entendu, la machine sortait en retard ou une autre la remplaçait, ce qui nécessitait des manoeuvres supplémentaires pour le mécanicien de dépot. Les demandes d'explications pleuvaient sur le Léo. Il payait les retards sous forme d'amendes et de diminution sur primes, car l'arme répressive à la SNCF a longtemps été de toucher les agents au porte-monnaie. Nous sûmes à la Libération que le Léo était le seul chef d'équipe du dépot de Noisy à avoir retardé un nombre important de sortie de machines. Il n'a pas de ce fait été inquiété, bien au contraire. Lui aussi avait bien caché son jeu. Un travail coriace à faire et qui revenait très souvent était la réfection des joints des tuyaux de communication des 4000 -140 A - qui étaient placés derrière les pare-fumée. A froid, ce n'était déjà pas pratique, mais sur une 4000 en pression, il ne fallait pas avoir les mains sensibles. Pour les brûlures, nous n'avions pas de gants et ce n'était pas facile de faire prendre des écrous sur des goujons brulants en travaillant sans visibilité, au pif. Un aprés-midi, je ne me rappelle plus la date, un grand boum dans la rotonde Est. La 230 K 220 avait déserté son box pour venir musarder dans la plaque tournante qui bien entendu n'était pas en position de la recevoir, se couchant dedans de tout son long, immobilisant par là-même la totalité des machines garées dans cette rotonde. Grand remue-ménage du coté des prussiens, police, Gestapo, j'en passe et des meilleures. Personne autant que je me souvienne ne fut arrété. Pourtant, elle n'était pas partie seule, quelqu'un avait dé l'aider, bien qu'elle fut retrouvée avec le régulateur fermé et marche au point mort. Il fallut faire un énorme échafaudage avec des traverses pour la remonter par palier avec des vérins, ce qui demanda plusieurs jours. En décalage, nous étions aussi d'astreinte au wagon de secours. Un soir, vers 21.30, alors que notre période de travail se terminait à 22.00, la sirène d'atelier donnait 6 coups annonçant le départ imminent du wagon de secours. Le chef de feuille communicait ainsi avec le personnel, avec des nombres de coups conventionnels, mécaniciens de dépot, allumeurs ou entretien courant. En cas de déraillement pendant les heures de fermeture de l'atelier, c'était nous qui partions. La destination prévue était la gare de Changis St Jean entre Trilport et La Ferté sous Jouarre où suite à un mitraillage et un bombardement de l'aviation anglaise, les 2 voies étaient obstruées, plus rien ne passait. Notre premier réflexe à moi et à mes camarades car nous étions relevés à 22.00 était de ne pas partir, et nous comptions échapper à la corvée. On partait mais le retour n'était pas prévu. Les absences pouvaient durer un temps indéterminé, plus de 48h. Ajouter à nos 10h de travail, cela ferait un score non négligeable. Le wagon de secours ne comportait absolument rien comme commodités, hormis l'outillage de relevage: pas de cuisine ni lavabo, ni rien pour se relaxer ne fussent que quelques heures. Mais le chef de service de nuit, si ma mémoire est bonne M. R..., dit "le Prussien", voulait garder l'équipe de relève fraiche pour assurer le service normal d'entretien courant de nuit. Nous eémes beau dire que nous étions fatigués et que nous n'avions rien à manger, rien n'y fit et il nous répondit que nous n'avions qu'à nous taire et à obéir, et que de toute manière, il en référait de suite au chef de dépot allemand qui résidait avec sa famille dans un pavillon probablement réquisitionné ou volé à des juifs à Villemomble, et qui avait une ligne directe avec le dépot. Ce dernier, bien entendu, confirma l'ordre de départ et nous partîmes dans une vieille voiture à essieux, dite "cage à poule", à 5 compartiments sans couloir et à portières, sans lumière. Le chef de dépot allemand monta avec nous au passage à Villemomble, ne fit aucune allusion à nos véléïtés de refus, mais avait dé donner des ordres en conséquence. L'arrêt fut marqué en gare de Vaires- Torcy- Noisiel-Brou et un gradé cheminot monta avec nous, provoquant le départ du chef de dépot allemand. Ce cheminot allemand nous expliqua en trés bon français et en termes plus conciliants que son homologue français "le Prussien" que nous aurions compensation de nos heures supplémentaires et que le nécessaire était fait pour notre ravitaillement. De fait, un camion de la Wermacht arriva sur le quai, des soldats déchargèrent une manne céleste: pain, vin, saucisson, jambon, sardines, café, sucre et eau de vie, un véritable pactole. Nous étions remorqués par une antique 030 B. 030 B Construites de 1895 à 1896. 15 locomotives en service, 3001 à 3014. 9 en service en 1938. La dernière réformée: la 030 B 9 à Vaires en 1952. Prévue pour le musée de Mulhouse mais sans suite et c'est dommage. Aventure à Changis - St Jean (Ligne 1 ). Aprés un arrêt prolongé à Meaux pour prise d'eau et se reniper, car il devait y avoir belle lurette qu'elle n'avait fait autant de kilomètres, et si je me souvient bien, une roue chauffait, nous arrivâmes à Changis vers les 3h du matin. A 5h, aprés diverses manoeuvres et conciliabules, nous pémes accéder à proximité du chantier. Un bien triste spectacle s'offrit à nos yeux: wagons de marchandises déraillés, enchevétrés, criblés de balles, certains brulés avec des morts et des blessés coincés dans les planches et la ferraille. D'autres se trouvaient dans les champs, tués alors qu'ils fuyaient la mitraille. C'était des ouvriers qui partaient à destination du Reich. Je n'en ajouterai pas plus. Aprés environ 36h de travail sans aucun arrêt et l'appoint d'une grue de 50t venant de Chalons sur Marne et qui travaillait coté La Ferté sous Jouarre, une voie fut dégagée. De toute manière, les wagons avariés ou hors service étaient purement et simplement basculés dans les champs. La circulation put reprendre à voie unique admettant en priorité les trains sens Chateau Thierry - Paris. Notre rame de secours fut garée et le lent défilé des convois se poursuivit toute la journée, sans que nous puissions prévoir notre retour; priorité aux trains allemands. Mes collègues et moi dormirent dans l'herbe. Les pompiers de Changis vinrent ravitailler la 030 B en eau. Pour ce qui est de notre ravitaillement, nos provisions étant épuisées, deux repas furent pris au restaurant. Il y eu un intermède divertissant pour nous: un train de permissionnaires remontant au mur de l'Atlantique stationnait en gare, attendant le déblocage du précédent. Il faisait très chaud. Tous ces messieurs étaient dans les voitures en petite tenue, short, slip. Tout à coup, un grondement précurseur d'avions . "Tomies, Tomies" criaient les verts de gris, qui, craignant un mitraillage, se dispersèrent comme une volée de moineaux dans les champs alentour. Mais aussi bien pour eux que pour nous, celà ne devait pas les intéresser: plusieurs escadrilles passèrent, points brillants dans le ciel, pour aller sur un autre objectif. Il fallait se méfier, car quelques fois, ils faisaient demi-tour au moment où on ne les attendait plus et celà faisait mal. Au déblocage, la locomotive siffla longuement pour annoncer la reprise de marche, comme il était d'usage à tous les trains militaires. Il fallait voir les fridolins revenir en courant et regrimper dans les voitures. Alors que la queue du convoi disparaissait dans la courbe, à droite surgirent, les yeux hagards, comme fous, 3 soldats en slip, baragouinant et levant les bras au ciel. Plus de train, plus d'habits et le pire pour un militaire, sans armes. Ils furent récupérés par les "colliers de vache", Feldgendarmerie allemande (police militaire) avec rudesse et sans ménagement. Ils finirent certainement leur odysée chez le petit père du peuple Joseph Staline. Le front de l'Est était la terreur des soldats allemands, la punition suprême. J'allais aussi de temps en temps faire des remplacements à la grue de 50t. Là, nous avions une voiture à bogies avec couchettes, cuisine et réfectoire. Le père Henry, le charron, l'homme à tout faire et un bon cuisinier, Sansom. Le contremaitre était M. Cholas. Il y avait une équipe attitrée, faisant l'objet d'un planning affiché en permanence, car c'était là un travail de spécialiste pour le calage de l'engin et sa manoeuvre. Un simple essieu et une grue mal calée, et la grue se couche; ce qui est arrivé au déraillement de Fismes (14 Juin 1956). J'ai participé à des travaux de relevage, mais je ne me rappelle pas de tous. Un train ambulance allemand, saboté avant la gare de La Varennes - Jaulgone sur la ligne 1. Les voitures étaient retournées en bas du ballast dans des espèces de marais. Un train de ballast, dont la machine, une TP, avait pris en écharpe un banlieue vide qui manoeuvrait en gare de Persan - Beaumont. La machine du banlieue était le cul en l'air, enterrée jusqu'à la cheminée, la machine du ballast était couchée sur le coté gauche et le mécanicien de cette dernière n'ayant pas eu le temps comme son chauffeur de sauter fut dégager coicé sous le petit tablier cassé en deux. Je passe aussi les détails, la veuve étant présente au moment du relevage. Une autre aventure sans rapport avec les précédentes: celle du cognac. J'habitais à ce moment chez mes parents à Thorigny, gare de Lagny - Thorigny - Pomponne. Le nombre des trains de banlieue était réduit au strict minimum et il m'arrivait de rentrer fréquemment sur la machine d'un marchandises montant sur Chalons sur Marne. En principe, les marchandises s'arrêtaient en gare de Vaires - voyageurs pour prise ou échange d'agent de train ou de machine, puis à Lagny, les allemands redoutant le bombardement du triage, qui eut lieu d'ailleurs. Ce jour là, le train avait un arrêt prévu à Vaires - voyageurs pour prendre l'agent de train pour l'étape Noisy - Chalons. La 140 A de Noisy était montée par l'équipe Georget -dit "Tonton" avec qui je roulerai par la suite comme CFRU, faisant fonction de mécanicien (mécanicien autorisé) et Brusson, faisant fonction de CFRU (chauffeur autorisé), car pendant l'occupation, je crois qu'il n'y avait ni nomination, ni titularisation. Notice 140 A dites 4000 . 3 à 75 livrés de 1905 à 1914. Toutes en service en 1938. Locomotives à marchandises à 4 cylindres compound groupe HP à l'intérieur, groupe BP à l'extérieur. Vitesse limite: 75km/h. Etudiée pour trains de marchandises lourds, cette série a constitué pendant de nombreuses années la cavalerie lourde de marchandises de la Compagnie de l'Est dans le bassin jusqu'à la venue des 150E. La distribution intérieure HP était défectueuse et prenait du jeu. La réfection des garnitures des tiges de pistons AR nécessitait le démontage des glissières au nombre de 4. Les fuites étaient fréquentes aux joints des tuyaux de communication HP et BP, situés derrière les pare-fumée. Avec l'arrivée des 141 R, elles disparurent rapidement. 1er Juillet 1948: 149 en service. 1er Juillet 1951: 47 en service. Toutes réformées en 1954. Ce train était complet pour le grand Reich, ne comportant que le fruit des vols et rapines opérés par nos amis, aidés en cela par le marché noir parallèle (café, beurre, sucre, huile, farine, vins, tissus, etc...). Brusson à la mise ne tête avait repéré un wagon complet de cagnac, le 8ème de tête. Premier arrêt: Gagny, où nous fimes une tentative avec Brusson pour desserrer l'écrou du boulon qui maintenait ferméle loqueteau. L'extrémité du boulon était matée, et il aurait fallut avoir 2 clés. Comble de malchance, un "dodor" occupait une vigie sur un des véhicules suivants. Le convoi redémarra à faible vitesse pour s'arréter un peu plus loin dans la tranchée du Chenay - Gagny qui était à cette époque une halte, pas encore une gare, et l'urbanisme alentour était presque nul. Mais là encore, impossible d'arriver à nos fins: des spectateurs sortis d'on ne sait où et en quête d'une aubaine attendaient que la porte soit ouverte pour se jeter à la curée. Redémarrage et arrêt sur carré fermé au beau milieu du traige de Vaires; en même temps, alerte aérienne, ce qui nous obligea à abandonner la machine et à aller aux abris. N'entendant aucun vrombissement, nous retourn‰mes au wagon. L'allemand dans la vigie avait disparu, mais nous étions déjà épiés et surveillés par des dizaines d'yeux. Redémarrage. Comme le train avait un arrêt obligé au BV de Vaires, normalement la queue aurait dé se trouver à peu prés à la hauteur du dortoir des agents de train pour faciliter le service et limiter l'arrêt au strict minimum. Mais voulant à tout prix opérer le wagon, Tonton fit en sorte que le fourgon de queue soit à la hauteur des quais du BV, ce qui obligeait l'agent de train à faire environ 800m à pied, ce qui nous donnait le temps d'ouvrir le wagon sans crainte, étant dans la nature, et ce malgré les signaux d'arrêt du chef de sécurité et ses coups de sifflet. Le boulon fut cisaillé avec un burin et le tranfert se fit rapidement vers la 4000, par caisses complètes et du Martel s'il vous plait, 3 étoiles! Certaines furent enterrées dans la houille du tender, d'autres furent démollies à coups de casse-coke (marteau servant à casser les briquettes), paille et planches d'emballage filant directement dans le po'le. Les bouteilles étaient alignées et rangées derrière les briquettes de réserve. Le chef de service vint en vélo et une discussion orageuse s'engagea avec Tonton. Pendant ce temps, à grand renfort de souffleur, des flamèches sortaient bien droites de la cheminée de la 4000. L'air décidé et peu amène de Georget et de Brusson incita le chef de sécurité à faire une retraite précipitée à son PC en ronchonnant, car je crois que s'il avait insisté, il lui serait arrivé des bricoles et cela aurait été sa fête. Pour mon compte, un peu avant la gare de Lagny, je balançais 2 caisses dans le fossé que je revins récupérer avec une brouette la nuit tombée. Bombardement du dépot de Noisy. C'est au cours de l'année 1943 que je fis partie officiellement d'un groupe de résistance, le "Front National", pas celui à Le Pen, et par la suite aux Milices Patriotiques. Ces mouvements étaient d'origines communistes. Cette même année, le 19 Juillet 1943, m'était délivrée ma carte de travail du service obligatoire (STO), loi du 6 Février 1943: sursis prolongé jusqu'au 1er Octobre 1943 et ensuite 31 Décembre 1944. Je n'ai jamais su qui nous dirigeait, je ne connaissais que le camarade qui m'avait contacté. Je n'ai non plus jamais tué d'allemand. Je me bornais à faire des réparations d'armes et de véhicules dans un atelier désaffecté de Bondy. Le plus difficile était quand je rentrais et que c'était l'heure du couvre-feu. Le trajet de Bondy à Noisy, à la Place Jeanne d'Arc était long. Craignant toujours une patrouille allemande et même française qui était encore pire, car bien que possédant un "ausweiss", je ne tenais pas à tomber entre leurs sales pattes car i laurait fallut que je justifie ma présence en des lieux o je n'avais rien à faire et en dehors de mes heures de service du chemin de fer. Puis ce fut la terible nuit du 19 au 20 Avril 1944. J'ai eu une veine insensée, encore ma chance. J'en ai eu beaucoup dans ma vie, ce qui me permet d'écrire ces lignes et mon nom devrait figurer dans la pierre sur au moins 2 monuments aux morts. Ce jour-là, je finissais une période de soirée 12-22 et je déclinais l'offre de mon camarade et ami Roger Tafforin qui habitait à Noisy, rue des Bergeries, de venir casser la croéte chez lui. Sa femme et ses enfants étaient en Bretagne et il avait toujours ce qu'il fallait, ce qui était rare. Il savait aussi que j'était seul. Il me disait: "Mon vieux Gabriel, j'ai une bonne cave voétée à l'épreuve des bombes". D'ailleurs à chaque alerte une cinquantaine de personnes du quartier s'y retrouvaient. Je rentrais donc dans mon pigeonnier au 6ème étage sous les toits et je dégustais une boite de singe (boeuf en boite) volée aux allemands, m'étant fait une petite réserve on ne peu plus illégalement et en prenant beaucoup de risques. Je mangeais à la lumière d'une lampe à acétylène, elle aussi prise de guerre. L'électricité était coupée la nuit par mesure d'économie. Quand la sirène de la Mairie qui se trouvait à la huteur de mon vasistas de cuisine retentit, je n'y prétais aucune attention particulière; on avait l'habitude. Malgré tout, je me levais et jetais un oeil: le noir total, un noir d'encre à faire peur, sauf un grondement sourd qui allait en s'amplifiant. Rien, pas de projecteurs fouillant le ciel, pas de tirs de DCA (Défense Contre Avions). Je me remettais donc à mon festin quand d'un seul coup la pièce fut innondée d'une lumière blanche, crue, insoutenable, iréelle. Les fusées éclairantes, des grappes de lumières descendant lentement des nues. Je savais ce que celà signifiait. Aprés les autres centres ferroviaires, le notre allait subir le bombardement des américains. Les grappes continuaient à descendre comme à regret, mais désignant inéxorablement aux avions leurs cibles, feu d'artifice sinistre qui se terminerait dans une apothéose d'explosions, de flammes et de morts. Alors la DCA se déchaina. Je soufflais ma lampe et aprés avoir pris un petit sac renfermant mes papiers et quelque argent (prévu à l'avance), je dégringolais les 6 étages plus celui des caves de l'immeuble où se trouvaient déjà tous les locataires, et les premières bombes tombaient. Je ne me rappelle pas du tout le temps que dura le bombardement, mais celà me parut une éternité. La cave tanguait comme un bateau dans la tempête. Une odeur de souffre, de phosphore et de gaz l'envahissait, des femmes criaient, les enfants hurlaient, d'autres priaient. La terreur fut à son paroxysme quand quelqu'un cria: "Les gaz!". Il fallut l'autorité douce mais ferme de certains hommes pour mettre un terme à cette peur collective qui étreignait ce troupeau humain, abruti, hébété. Mais enfin, nous étions en vie. Tellement heureux d'être encore vivant qu'avec Jean Parent, qui était tourneur à l'époque et devint ensuite mécanicien puis chef de conduite, nous vidâmes une bonne bouteille sur le champ. Nous n'avions encore aucune idée du spectacle terrifiant qui nous attendait dehors. Une vision dantesque digne de l'apocalypse. Nous crémes un moment que l'immeuble s'était effondré sur la cave et que nous étions ensevelis vivants. Il fallut d'abord essayer d'ouvrir la porte qui était coincée dans le couloir par des débris de toutes sortes: pierres, gravats... Aprés maints efforts, j'accédais au couloir. Plus de porte. Il était éclairé par la lueur des incendies qui faisaient rage. Une conduite de gaz brulait au milieu de la rue. Tant bien que mal, je remontais à mon perchoir avec grand peine. Plus une porte ni une fenêtre, toutes soufflées, disparues. Les plafonds effondrés ou fissurés. Les murs avaient tenu bon. L'immeuble n'avait pas était frappé de plein fouêt, mais tout était sens dessus-dessous, recouvert par une épaisse couche de poussière et de pl‰tre. Je n'avais plus rien à faire là. J'époussetais mon restant de casse-croéte, je rallumais ma lampe et je redescendais pour essayer d'être d'une utilité quelconque et de porter secours. Je me retrouvais seul entre des murs de flammes, des grésillements, des charpentes qui s'effondraient d'un seul coup dans des gerbes d'étincelles et la fumée qui prenait à la gorge. La première personne que je vis était un homme coincé à 4 ou 5m de haut avec une énome poutre en travers de la poitrine, la tête en bas. Il devait mourir peu aprés qu'il fut dégagé. Impossible de se frayer un passage dans les rues que d'ailleurs je ne reconnaissais plus. Aucune possibilité de circuler avec un moyen de transport quel qu'il soit. Avec beaucoup de peine et des escalades, j'arrivais à l'endroit où aurait dé se trouver la rue des Bergeries. Plus de rue. Plus de maisons. Des décombres. Ce quartier constitué de vieilles maisons était littéralement nivelé. Celle de mon camarade Tafforin était là où elle n'existait plus. Une bombe était tombée dessus de plein fou't sur la cave. Aucun survivant. Je procédais quelques jours plus tard à la reconnaissance de son corps ou de débris et je pus l'identifier à un morceau d'une de ses cuisses portant un reste de caleçon court. 52 personnes avaient été tuées écrasées d'un seul coup. Pour compléter le décor, ce furent ensuite les vbombes à retardement qui tuèrent des sauveteurs et de ce fait retardèrent et génèrent considérablement les opérations de secours et de recherches, augmentant le nombre des morts et des blessés, retardant aussi le sauvetage des ensevelis vivants. Les autorités déclarèrent Noisy le Sec ville morte et fut évacuée entièrement. 10jours aprés le bombardement, des habitants furent retrouvés vivants dans une cave ensevelie sous leur immeuble Avenue de la République. Il s'en fallut de peu qu'un train de banlieue ne fut pris sous le déluge en gare où il stationnait. Dès les premières explosions, des voyageurs furent tués à la sortie. Le mécanicien démarra rapidement son convoi vers Bondy (les 141 TB pouvaient faire des démarrages rapides). Le bombardement avait été effectué par les américains. Les premières bombes tombèrent à Romainville sur un axe allant jusqu'à Bobigny et sur une largeur allant de Pantin à la limite de Bondy, à très haute altitude. De ce fait, n'ayant pas la précision des bombardements effectués par la RAF (Royal Air Force), 2 jours aprés, le trafic reprenait. En ce qui concerne le dépot, l'ossature Eiffel des rotondes avait résistée à l'impact des bombes; les piliers n'avaient pas bougé exceptés les toitures qui étaient complètement soufflées. Le plus spectaculaire, c'était les machines en pression sur lesquelles des bombes étaient, avec leurs chaudières éventrées montrant leurs tubes en éventail. Destruction des locomotives dépot de Noisy les Sec 18 et 19 Avril 1944: 43 machines, 9 tenders, 8 autorails (Document SNCF de 1947). Nous fûmes employés aux travaux de déblaiement, en évitant tous les endroits repérés par un drapeau rouge où des bombes non éclétées reposaient sous les décombres. on ne les voyait pas mais de temps en temps cela pétait dans un coin ou un autre et même à des endroits non repérés, au dépot, en gare, dans le triage et en ville. Malheur à celui ou à ceux qui se trouvaient à proximité. Chaque bombe non éclatée et repérée était dégagée à la pelle et à la pioche avec des précautions par des prisonniers de guerre français et par des russes, tous sous la garde de soldats allemands qui se tenaient à distance respectueuse au cas où... Je crois me souvenir que lorsqu'ils avaient réussi à désamorcer un certain nombre de bombes, ils étaient libérés (les français); pour les russes, j'en doute fort. A moins qu'ils n'y aient laissé leur peau avant, ce qui arrivait. Les bombes étaient quelquefois jusqu'à 2 ou 3m de profondeur avec toujours de la terre, ce qui ne facilitait pas le travail de neutralisation car il fallait accéder au détonnateur et bouger l'engin. A l'aide de la grue de 50t qui n'avait pas été touchée, je participais au déblayage du triage de Noisy le Sec. Des prisonniers russes servaient de manoeuvres. A ce sujet, une petite anecdote: nous avions récupéré 3 tonnelets d'alcool à bréler que nous planqu‰mes derechef dans des coffrages de commandes rigides d'aiguillages et notre intention étaitde récupérer le tout sans se faire voir par les fridolins. Le lendemein, surprise: les allemands ne nous avaient pas vu mais les russes si, et nous sémes par leurs gardiens que l'alcool était passédans les gosiers des popofs pendant la nuit. Sans commentaires. Bien que nous souffrions du froid et de la faim, les journées de travail étaient longues, tristes, noires, mais que tout celà était doux en comparaison de ce qui était infligé aux déportés, qu'ils soient juifs, communistes, résistants ou même tout simplement contre le régime nazi. Que l'on soit d'une race, n'importe laquelle, le simple fait d'être opposé au régime hitlérien faisiat de l'individu un futur prisonnier, torturé, déporté, ou tout simplement un être qui devait mourir. Il ne faut jamais oublier les longues files d'hommes et de femmes, d'enfants, de vieillards allant à pied encadrés par les SS et leurs chiens, parqués sur les quais de gare et ensuite littéralement entassés, enfournés à coups de bâtons et à renfort de coups de crosses pour le voyage sans retour, de la majorité d'entre eux, vers les sinistres camps de la mort (nuit et brouillard). La région de l'Est a eu le triste privilège de la remorque de ces trains de la mort. Des wagons aux volets d'aération obturés par des barbelés, les appels des famillles séparées, les lamentations, les derniers sourires des amis venus les embrasser ou les serrer dans leur s bras une dernière fois. Ils ne devaient pas insister car les SS n'hésitaient pas à embarquer tout le monde sans explications. Trains de cauchemars. Et je pense qu'au moment où j'écris ces lignes, certains disent encore que c'est faux. Pour M. Le Pen, un "détail" de l'Histoire. Une aventure qui aurait pu m'être fatale. Triage de Pantin - Bobigny. Aprés le bombardement de Noisy, la résistance avait su qu'un wagon chargé de pistolets espagnols et de leurs munitions était immobilisé sur une voie du triage. Nous avions l'ordre, moi et d'autres, de récupérer une partie de ces armes et munitions, une manne pour la résistance. Le wagon n'étant pas surveillé dans le chaos existant, les pointus ignoraient peut-être son chargement. Je partais donc dans l'aprés-midi avec un sac en toile (sac de pommes de terre). Je trouve mon wagon sans problème, rien de suspect alentour, pas de garde. Je grimpe et je jette en vrac pistolets et chargeurs. C'était très lourd, les pistolets étaient énormes, le sac devenait de plus en plus lourd. "Arrête", me soufflait une petite voix en moi. Je risquait un oeil: rien à l'horizon immédiat. J'agrippais le sac et descendais quand un "Halt!" rauque me figea sur place. Une sueur froide m'innonda, mon sang se glaça dans mes veines. Me retrouvant avec un canon de Mauser entre les deux homoplates, un film panique défila à une vitesse record dans ma tête: arrestation, torture, prison, fusillade ou déportation. Je vous prie de croire que cela fait drôle. Il faut y être passé pour se rendre compte de l'impression. L'allemand parlait un français chatié mais très compréhensible, et me fit vider à ses pieds le contenu du sac. Que pouvais-je fournir comme explications? Il baissa son arme, me regarda dans les yeux et ne prononça qu'un mot: "Rauss!". Je ne me le fis pas dire 2 fois et je ne me confondis pas en remerciements. Je filais mais je m'attendais à la balle dans le dos, car c'était un raffinement et une manière élégante des allemands de laisser partir le prisonnier et de tirer ensuite. De ce fait, j'aurais eu droit à une belle affichette bordée de noir affichée un peu partout avec le label made in Germany "Terroriste tué en cours d'évasion". C'était le faire-part classique. Je m'enfilais comme un chat sous la première rame et je courrais jusqu'à ce que mes jambes ne puissent plus me porter. Je revenais de loin et je devais avoir eu à faire à un des nombreux alsaciens - lorrains enrolés de force par les allemands. Un refus ou une fuite de leur part et des représailles étaient prises à l'encontre de leurs proches, allant jusqu'à la déportation. Soldat français en 1939, prisonnier en 1940 et allemand ensuite par suite de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine lorsqu'au cours du mois de Juin 1940, les armées allemandes ont envahi la France. Le régime imposé aux départements du Haut Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle et par voie de conséquence au personnel de la SNCF en résidence dans ces 3 départements fut complètement différent de celui appliqué aux autres départements de France. Alors que ces derniers sont simplement des territoires occupés restés sous l'administration française, les 3 départements de l'Est sont considérés par l'occupant comme "terre allemande libéré". Ainsi, toutes les mesures prises par lui ont pour but de faire disparaitre au plus vite tout ce qui rappelle la France et de réaliser le rattachement définitif à l'Allemagne. Il faut signaler qu'un des traits caractéristiques de l'administration allemande était la séparation complète de l'Alsace et de la Moselle. Cette séparation qui trouvait sa meilleure expression dans l'inimitié farouche des 2 gauleiters Burckel et Wagner se reflétait dans toutes les administrations. Il en résultait une divergence profonde des mesures prises en Moselle et en Alsace pour aboutir au même but :" terroriser la population pour la ramener dans le Reich". Les trains directs de marchandises sans arrêt à Noisy - Triage transitaient par l'évite - Noisy de Bobigny à la bifurcation de Villemomble. Dans ce sens, la rampe était sévère (10mm/m) et en courbe, et des riverains graissaient les rails. Les machines patinaient et faisaient "culs". C'est alors que les auteurs du graissage se précipitaient et ouvraient les portes des wagons de charbon. Ce dernier disparaissait avant que la police ou les allemands n'interviennent. Le charbon était revendu au marché noir. Un jeune noiséen de mes copains dont je tairais le nom a eu une jambe coupée au cours d'une de ces opérations. Pendant que je suis dans la houille, à noter aussi les déchargements ultra-rapides des tenders dans le dépot. A chaque rentrée, les machines faisaient le plein selon criblés, menus, briquettes. Le plus souvent du poussier, la briquette était allouée proportionnellement au chargement total. Une quantité spéciale était chargée pour les allumages si la machine était de lavage ou en stationnement prolongé, froide pour réparations. La plupart du temps, il se trouvait que les allumeurs ne trouvaient aucune briquette sur les tenders à l'allumage. Elles étaient toutes envolées, même les gros morceaux de criblés prenaient le même chemin. Il ne restait que le menu. Les machines furent alors chargées en sortant, et la briquette d'allumage amenée avec une voiture àbras au moment de l'utiliser. Le tas de briquettes était gardé par des militaires allemands. Des débuts décourageants. Je fis mon stage de chauffeur comme le prévoit le réglement, car tous les agents des dépots sauf cas médical devaient être aptes à la chauffe. Mes premières armes se firent comme il se devait sur la série maison du dépot de Noisy le Sec: la 040 TA dite 4900. Notice 040 TA alias 4900. 909 à 990. Livraison de 1907 à 1912. Locomotive-tender de manoeuvre de gare à vapeur saturée, de dispositions techniques déjà largemant dépassées (tiroirs plans, échappement à valves). Le double sabot grinçait sans arrêt entre les essieux 2 et 3, la cuvette des soupapes était obstruée en permanence par le poussier. Cette série eut une longue vie car on n'avait rien pour la remplacer. Au 1er Janvier 1957, il en restait encore 75 en service. 4 de ces machines étaient en roulement régulier et ce toute l'année au garage de l'entretien de l'Ourcq. La relève se faisait sur place, les machine ne rentrant au dépot que pour la charge et les lavages. Ma première tache fut de procéder au nettoyage des feux des machines en roulement, chacune à leur tour et à des heures précises pour chacune d'elles. Personne ne m'avait initié, ni montré, ni expliqué la façon de m'y prendre. "Démerde-toi!" m'avait dit le chef de feuille. Il fallait basculer le feu, nettoyer le cendrier dans des fosses minables, dans la poussière de la cendre, le remontage du feu était un exploit et n'était pas une mince affaire car il n'y avait ni criblé, ni gros morceaux, la briquette ne connaissait pas les 4900. Pas facile pour un chauffeur chevronné, alors pour un novice, un vrai défi de remonter un feu au poussier! Les " os " mâchefers avaient plusieurs centimètres d'épaisseur qui la plupart du temps restaient coincés dans la bascule. Il fallait alors des cendre dans la fosse et dégager par en dessous. Celà dégringolait d'un seul coup, les cendres chaudes volaient partout, s'incrustant dans les yeux, les oreilles, et je ressortais de là dessous comme un fantôme tout blanc et en sueur. Pour remonter le feu, il fallait y aller par petites pelletées, à grand renfort de souffleur, et le feu une fois monté était déjà sale. La poussière de houille utilisée ne prenait même pas l'eau, et glissait dessus sans rentrer. C'était le bas de l'échelle dans les combustibles avant les cailloux. Par la suite, je fus classé en roulement comme chauffeur à ce même entretien à la machine n°1. Le travail consistait à tirer les rames voyageurs banlieue, rapides, express, aprés leur formation par la machine n¡2 pour les refouler sur le faisceau de départ et cela pendant 8h sans arrêt (exceptées les prises d'eau). Pas de pause, ni de casse-croûte. J'avais comme mécanicien un de ces vieux ronchons qui proliféraient à cette époque, acariâtre, qui n'ouvrait la bouche que pour gueuler et rouspéter. Mes débuts furent déplorables. J'avais tellement enfourné de houille que le feu s'était étouffé. Seulement quelques feux follets bleus qui virevoltaient de place en place. Il y en avait jusque sous la voéte, on ne pouvait même plus passer le croc. Le vieux ne s'intéressait pas à moi, prenant un plaisir sadique que je voyais sur sa face d'abruti (le pinard était passé par là). il n'y a que quand la pompe à air s'arrêta qu'il daigna s'occuper de la situation. Nous étions à 5 bars et l'eau dansait à la bague, le tout éclairé par un misérable lumignon à huile car ma première semaine avait commençé de nuit. Quelle joie! Nous dûmes aller sur fosse et le vieux dut s'y coller pour basculer entièrement. Nous perdîmes du temps pour le mouvement des rames. Heureusement, le chef de service du chantier, devant ma mine déconfite, préleva momentanément une autre machine qui nous remplaça environ 1h. Comme cette première nuit fut longue! Bousculé en avant, en arrière à chaque arrêt ou accostage. Le dessus de ma main droite était en sang, celle qui tenait la pelle dans sa partie haute, car la cabine n'était pas grande et n'ayant pas l'habitude de mettre au feu, elle allait heurter une cornière. L'autre main ne valait guère mieux. Brulées et raccornies à l'intérieur par l'usage fréquent du croc, le tout dans les fuites de vapeur et la fine poussière qui voltigeait. Un véritable cirque pour faire fonctionner les appareils, les tamis étant fréquemment obstrués par la houille. A ce stade, le chauffeur était un paria, une bête de somme, pire qu'à l'entretien courant et même à l'équipe à Gratte-Cul. Jamais une de ces vieilles badernes ne donnait un conseil ou un encouragement. Au bout d'une quinzaine, je commençais à me défendre plutot mal que bien, mais cela allait mieux. J'avais compris qu'il fallait éviter les grosses charges, lire dans le feu, ne pas bourrer l'avant. J'en arrivais à des stades de découragement regrettant presque de vouloir faire carrière sur des machines. Aux périodes de pessimisme succédaient celles d'optimisme. Je n'aurais jamais pu croire que le métier et l'environnement furent aussi durs et inhumains. Les plus forts résistaient, les autres abandonnaient et je pensais "Ici, tu n'es qu'aux manoeuvres; alors, à la route, ça doit être pire". En quoi je me trompais lourdement. Aprés mon stage aux 4900, je roulais de temps en temps aux 030 B qui faisaient les embranchements Nord en partant de Pantin Zone, ligne de La Plaine St Denis à Pantin, Magasins Généraux, embranchement des Hainguerlot. Cette ligne partant de la gare de La Plaine passait dans les dépendances des Magasins Généraux de St Denis où nous allions sur les embranchements des Hainguerlot. Elle fut très utilisée pour les trainsde la déportation. La 030 B était une machine avec tender. Le travail était exclusivement de jour et raisonnable. Elle avait un foyer plat, pas de bascule. Il fallait nettoyer le feu en sortant les m‰chefers avec une grande pelle par la porte. Vint le Débarquement. En ce qui concerne la libération de la région de l'Est, il n'est pas possible de fixer une date car c'est une opération qui s'étale sur 8 mois, d'Août 1944 à Avril 1945 et d'ailleurs, quand certaines installations sont enfin libérées par l'ennemi, elles sont presque exclusivement employées à l'usage des troupes alliées qui livrent une bataille gigantesque qui s'achèvera en Mai 1945 par l'effondrement total de l'adversaire. Pour mémoire: Tués Blessés MECRU 15 63 CFRU 6 62 Agents de dépot 34 144 Total 55 269 (Document SNCF 1947 "La Région de l'Est, 1939-1945"). A noter aussi que la reprise du service commercial - but essentiel de l'entrreprise- se réalise moins rapidement qu'aux deux remises en marche d'Octobre 1939 et de Juillet 1940. Il en résulte également un rétablissement moins rapide qu'en 1940-41 de nos installations, dont les démolitions sont beaucoup plus importantes et pour la réparation desquelles on ne dispose plus que de moyens d'action réduits. Sur la Ceinture défilaient des trains de wagons plats; sur de la paille et en plein soleil gisaient blessés et morts allemands. La libération de notre secteur fut précédée de la part des allemands par des minages et des destructions massives d'ouvrages d'art. Quand le ch‰teau d'eau du dépot de Noisy le Sec sauta, je me trouvais dans la rue, seulement séparé par un mur et je n'eus que le temps avec M. Clerc (dit "le Bouc"), chef de feuille -en passant, disons qu'il était très sympathique et aimé des agents de conduite à qui il savait parler- de faire la planche le long du mur pour voir voler en dessus de nos têtes comme de vulgaires feuilles mortes les tôles du réservoir. Il y avait intérêt à ne pas s'attarder dans le secteur car les allemands ramassaient tous les civils pour leur faire creuser des trous de mines dans les raccordements de la Ceinture et de Bondy ainsi que celui de Nogent sur Marne. Ils parachevèernt leur oeuvre de destruction en plaçant des torpilles dans les cadres des portes de foyers des machines et aux 2 plaques tournantes et faisant sauter le tout. Le lendemain, plus personne. Ils étaient aprtis durant la nuit. Le bilan des destructions fut lourd. C'est bien pour cette éventualité prévue à l'avance à Londres que les Alliés débarquèrent locomotives, wagons et rails, pipe-line, etc. Dès le débarquement de leurs matériels ferroviaires, c'était eux qui prenaient en main et la conduite des trains et leur circulation plutot mal que bien, ayant évincé manu militari les agents des gares des régions du débarquement sous la menace. Situation que les cheminots français n'avaient pas connue sous l'occupation. Je ne veux pas ici répéter ce que d'autres ont écrit mais pour clore ces constations, disons nettement et sans ambage que les américains considéraient les français comme des collaborateurs et tous sans exception du fait que nous étions le seul pays d'Europe occupé par Hitler qui n'avait pas de Gauleiter et que c'était un gouvernement bien français qui se chargeair d'appliquer les lois édictées par les nazis et principalement contre les français d'origine juive, et par la livraison aux allemands des républicains espagnols et tout cela en zone libre sous la bannière du Maréchal Pétain, son aval et ses signatures. Dans un pareil contexte, les Américains nous jugeaient en bloc sans faire de détail, avec en prime la collaboration efficace de la police se chargeant des arrestations et de la remise directe aux allemands. Les Américains conduisaient leurs locomotives sans aucune connaissance du métier et se croyaient dans le Far West : n'importe qui pouvait y être affecté. Il ne respectaient rien, ni la signalisation, ni le sens de circulation. Il y eu des tamponnements, des déraillements, des prises en écharpe, des morts (St Valéry en Caux). Ils bloquaient eux-même leurs lignes de ravitaillement, compromettant leur avance, provoquant des manques de carburant à leurs blindés, en essence et en munitions et risquant de rendre le débarquement comme une opération loupée et d'être rejetés à la mer. Les cheminots français furent vite sollicités pour reprendre en main tout celà. Le pipe-line à essence venant de la côte atlantique aboutissait à la petite gare de Coubert-Soignolles (hiver 44-45) sur la ligne de Paris Bastille à Verneuil l'Etang. Je fus détaché comme faisant fonction de chauffeur au dépot de Verneuil l'Etang où avec une 141 TC de Vaires, nous acheminions les trains d'essence de Coubert à Verneuil où nous étions relayés. Nous donnions la pousse en queue pour grimper le raccordement au dessus de la ligne 4 (saut de mouton) vers Marles (par Chaumes et Fontenay - Trésigny) et ensuite Coulommiers, La Ferté Gaucher, Esternay, Sézanne, Fère Champenoise et Vitry le François. Je n'étais rassuré que quand nous étions partis de Coubert car s'il avait prius la fantaisie aux allemands de venir faire des cartons, cela aurait fait un joli feu d'artifice. Tous les trains allant vers l'Est transitaient par Boissy St Léger et Verneuil l'Etang car le viaduc de Nogent- Le Perreux sur la ligne 4 était coupé et jusqu'à sa reconstruction terminée le 14 Décembre 1946, les convois étaient formés de Paris Bastille ou de Reuilly ou de Paris Est via Le Plant-Champigny. Au début, le trafic était réservé presque uniquement aux transports US pour les quelques relations rétablies. Dès le 26 août 1944, 3 AR Paris - Noisy et 4 AR Paris Bastille - La Varennes. A la même date, un train de messagerie Paris Reuilly à Coulommiers via Verneuil l'Etang circule. Le 11 septembre, le service banlieue est prolongé jusqu'à Lagny, Boissy St Léger, Nogent Le Perreux. Le 15 Septembre, une relation voyageurs Paris Reuilly - Chalons sur Marne via Sézanne et Epernay est créée. A partir du 16 Septembre, un train de marchandises AR omnibus circule tous les 2 jours entre Mareuil sur Ourcq, Fismes et Paris via la région Nord. Un autre train de marchandises omnibus Reims - Laon PV -Paris via le Nord est créé. Le 30 Septembre circulent pour la première fois les trains de messageries AR Pajol - Reims (journalier) - Chalons - Toul (bi-hebdomadaire). Afin d'assurer la traction vapeur et de reconstituer les stocks de combustible, 34 trains de houille circulent en Septembre 1944. C'est là à peu prés tout ce qu'on peut signaler en Septembre 1944 sur une région comme celle de l'Est. Un autorail de liaison circula aussi de Paris à Nancy via Troyes ou Mulhouse de Paris Bastille, cotoyant les 131 TB, où l'on vit aussi les 141 TC et les 230 B et J, ainsi que les 141 P. Sur la ligne de Meaux et Ch‰teua Thierry, les ponts sur la Marne étaient détruits ou endommagés (documents SNCF 1947). Une nuit au dépot de Verneuil l'Etang, bien crevé d'une journée de 141 TC, alors que je dormais comme l'on peut dormir à 23 ans, les allemands connaissant l'importance stratégique de Verneuil pour acheminer les renforts alliés vinrent nous rendre une visite de courtoisie sous la forme de quelques giclées de balles, la présence de la grue de 50t y étant aussi pour quelque chose. Je fus réveillé en sursaut par le bruit des avions passant en rase-motte et nous arrosant généreusement à la mitrailleuse avec des traçantes, traits blancs qui filaient dans le noir de la piaule et me fit réaliser d'un seul coup ce qui arrivait. Mourir dans un lit, ce serait trop bête. Je n'eus pas le temps d'esquisser un geste pour me lever que tout était terminé, réalisant que j'étais en vie. Mais aprés, je m'aperçus que les balles étaient passées à hauteur de la tête de mon lit aprés avoir traversé la cloison. Une belle passoire! Je fus juste brulé légèrement au bras par une balle qui avait dé passer très prés. J'ai encore eu de la chance, une fois de plus, de ne pas être découpé selon le pointillé. Notice 141 TC. Construites en 1931. Locomotives-tenders de banlieue, avec 2 prototypes. Furent construites par les ateliers de la compagnie à Epernay en Mars 1929 et livrées en Février et Mai 1930. A simple expansion à 3 cylindres, limitées à 90km/h. Affectées à Vaires et à La Villette. Conçues pour la remorque des rames métalliques nouvelles. Démarrage énergique, liberté d'allure grace aux distributeurs à longue course. Mais un gros défaut: le manque de production de vapeur consécutive à la faiblesse de la surface de grille et à l'insuffisance de l'échappement. Peu appréciées des agents de conduite qui préferaient les 141 TB / 4400. Au 1er Janvier 1957, toutes en service. En 1961, toutes réformées. La 141 TC 740 de l'Ouest est préservée à Mulhouse. Le démon du changement et l'envie de l'évasion me prirent comme beaucoup de jeunes à la Libération venant de passer la dure période de l'Occupation et puis j'en avais plus que marre de cette vie décousue, de ce métier sale, dur, mal rétribué, commandé comme des chiens (où là au moins je serais mieux payé). Je ne voyais pasà brève échéance la réalisation de mon rêve initial: devenir mécanicien. Alors pour la seconde fois, je m'engageais dans l'armée de l'air. Mon engagement signé, je fus environ 6 mois avant d'être incorporé définitivement, touchant ma paye de cheminot et ma solde d'engagé. Mon ordre de départ arriva, je me rendais donc à la caserne Mortier, à la Porte des Lilas, où il me fus signifié que mon engagement était selon un décret pris par le gouvernement résilié d'office et sans me demander mon avis, plaise ou pas,suite à un accord passé entre le SNCF et l'Etat. J'étais remis à la disposition de l'administration ferroviaire et réintégré dans mes fonctions premières. Ce fait est unique en France: la SNCF ayant une telle hémoragie de jeunes et d'autres parts étant pressé par le gouvernement pour une remise en état rapide et vitale pour l'économie du pays, du chemin de fer et partant de notre industrie, un décret gouvernemental résiliait tous les engagements des jeunes gens travaillant dans les industries clés. je devenais donc indispensable. On commençait à s'intéresser à nos modestes personnes, par intérêt bien sur, mis le fait est à notre. Retour à la source. La cause était entendue, je revenais à mes premiers amours, les locomotives. Mais maintenant, j'étais décidé à mettre les bouchées doubles, ne perdre aucune minute, à m'activer sérieusement et à prendre le taureau par les cornes. Quitter l'atelier le plus rapidement possible car il y avait des places à pourvoir à la conduite; il fallait s'engouffrer dans le créneau grand ouvert. Je me mis donc à potasser les réglements avec assiduité, je passais rapidement l'examen de chauffeur (j'ai été reçu et autorisé à l'examen de CFRU le 28 Mai 1945) et j'étais nommé à ce grade le 1er Octobre 1946, 10 ans jour pour jour aprés ma rentrée au chemin de fer au dépot de Nogent - Vincennes qui régnait en maître sur la ligne V, fief des 131 TB. Le dépot de Nogent était blotti, caché des regards indiscrets, dans la verdure, ombragé par de grands arbres, entouré de taillis, de buissons et de haies. Son unique rotonde était celle d'origine du dépot de La Villette, remontant à la construction de la section de ligne de Paris à Meaux en 1849, démontée et réédifiée en même temps que la mise en service de la section Paris Bastille à La Varenne le 22 septembre 1859. A l'origine, le service des trains n'était assuré que sur la section précitée. Aprés 1870-71 , ouverture des sections de La Varenne à Sucy - Bonneuil, le 3 Septembre 1872 et à Boissy St Léger le 5 Aoét 1875. A l'ouverture de la ligne en 1859, le service était assuré pae 2 machines du type 120 à tender séparé de la série 223 à 228 construites par Koecklin à Mulhouse en 1853/54. Remplacées en 1872 par des locomotives-tenders série 261 à 276 construites en 1867 qui assurèrent le service jusqu'en 1881. Vinrent ensuite les 031 T série 613 à 683 et 731 à 742, puis V 613 à V 683 type 131 T par transformation de la série précédente qui circulèrent jusqu'en 1923. Puis les 131 TB légères, séries 32001 à 32050 jusqu'en 1962 et enfin les 141 TB série 4401 à 4462. Le service était assuré par 144 agents: 85 roulants et 59 sédentaires, 24h sur 24 avec une cavalerie de 48 machines entre 1939 et 1945. Notice 131 TB. Locomotive-tender apte à tous les services, sur les lignes secondaires. 2 cylindres à simple expansion, surchauffe, puissance modérée (950 à 1050ch), 16t à l'essieu, grande liberté d'allure, stable, vitesse limite 90km/k. Mises en service sur la ligne V sur laquelle elles remplacèrent les V 600, elles assurèrent le trafic jusque vers 1962 où elles furent remplacées par les 141 TB libérées par l'électrification de Paris Est. Les roulants nogentais préféraient les 131 TB aux 141 TB parce que plus économiques, plus souples et plus énergiques au démarrage. La 131 TB 448 fut détruite au bombardement de Noisy. En 1962, 7 en service aux CFS (Chemins de Fer Secondaires); en 1964, 4 en service sur le même réseau. La 32031 est conservée au musée de Mulhouse. Il est dommage que la rotonde de Nogent - Vincennes ait été ferraillée car elle aurait pu figurer en bonne place comme monument historique au musée de Mulhouse. Chapitre IV. DEBUTS DE TRACTIONNAIRE EN TITRE CFRU. Je débutais au service des manoeuvres en gare de Fontenay. Nommé en même temps que moi, le "seigneur Brandemeyer", qui était le chef au bénéfice de l'âge. Donc lui au manche en fer, moi au manche en bois; monsieur ne m'a jamais donné le manche, et moi je ne me serais pas abaissé à le lui demander. On aurait cru un seigneur, la machine même n'était pas digne de le porter et moi de le servir. Une nuit que le vent et la pluie soufflaient de son coté, qu'il était trempé et gelé pendant que moi j'étais installé confortablement sur les briquettes le long de la boite à feu, un sac en jute à mon coté de cabine me protégeant efficacement du vent et de la flotte, il s'abaissa à me demander de le remplacer. Alors, avec un sourire de circonstance, je l'envoyais se faire voir. Depuis ce jour là, nous nous supportions et c'était bien ainsi, car moi, je ne perdais pas mon temps à la manoeuvre. La 131 TB était facile pour la chauffe et je potassais ferme mes règlements, me préparant à l'examen préliminaire qui me donnerait accés à l'école des mécaniciens de Vaires - Torcy où je rentrais au printemps 1947. La ligne V était une ligne non régulée, un chemin de fer à part, un petit royaume dans un grand état Est. Tout s'y passait en famille, même le lavage du linge sale ne passait jamais par la grande maison, l'Arrondissement, qui savait mais ignorait tout. Le principal était que la ligne tourne, et elle tournait. J'eus quelques moments difficiles à la chauffe. C'étaient mes premiers trains en ligne, en l'occurence un marchandises de nuit pour Verneuil l'Etang. Le profil m'était complètement inconnu. Cela grimpait de Sucy - Bonneuil à Limeil - Brévannes, redescendait sur Villecresnes et remontait sur Santeny - Servon et en dents de scie jusqu'à Verneuil l'Etang ( rampes de 6, 10, 12, 13, 9 ) et ce n'est pas évident quand l'on débute surtout sur un train sans arrêts et avec un compagnon que l'on voit pour la première fois. Bien heureux pour moi, j'ai eu à faire à Nogent à des mécaniciens compréhensibles,qu'ils en soient remerciés ici. Les 131 TB étaient de vaillantes petites machines, mais le chauffeur, bien que vaillant lui aussi, n'était pas encore un champion de la pelle. De Paris - Reuilly à Verneuil, il y avait exactement 51,970km, avec une prise d'eau à Brie Comte Robert. En 1946, les "Bidel" étaient encores reines sur la ligne V: en bois, à étage, à portières latérales; en bas, on accédait à la partie supérieure, l'impériale fermée à couloir central, par un escalier extérieur, noir à souhait. Il ne fallait pas être trop grand. L'hiver, le signal du départ devait être donné à proximité de la machine car les rames étaient noyées et disparaissaient dans un véritable nuage de vapeur provenant de la mauvaise étanchéïté des demi-accouplements de chauffage et des multiples fuites. Les voyageurs se plaignaient rarement et nous faisions l'heure. Les 131 TB, à une époque que je n'ai pas connu, brulaient des houilles menues mais avec des projections de suie sur les impériales ouvertes qui ont conduit à l'emploi du coke. il y avait parait-il aussi 2 cases à combustible. Le coke était utilisé à la sortie de Paris - Bastille car les fenêtres des immeubles étaient à hauteur des trains, la houille était utilisée sur le reste du parcour et vice-versa. Cela, je l'ai appris à Nogent, et le feu s'encrassait très vite. Curiosité de la gare de La Bastille: celle-ci n'ayant pas d'aiguillages aux butoirs, un chariot transbordeur changeait la machine de voie, ce qui obligeait à une voie libre en permanence. Un mouvement venat tous les jours de Villeneuve St Georges, sorte de répartiteur de wagons,, desservait Vincennes - Fontenay, laissant et reprenant des éléments et allant ensuite à Paris - Reuilly où il faisait de même. La machine était PLM. Il arrivait qu'il eut beaucoup de retard. Un dimanche, c'était moi qui était au manche, en l'absence de Brandemeyer, et j'avais comme chauffeur Moreau, manoeuvre au dépot. Le chef de sécurité m'informe d'un retard indéterminé du mouvement PLM et me demande si je voulait aller chercher la rame à Paris - Reuilly -5,590km- bien que ce ne soit pas réglementaire, car il était interdit à un chauffeur de circuler en principale, sauf pour les HLP de machine Fontenay - Dépot et vice-versa. Normalement, j'aurais dé refuser mais alors, je ne me trouvais plus dans l'esprit de la ligne V. Tous les autres chauffeurs y allaient, pourquoi pas moi? Je ne suis pas plus bête que les autres, et puis un tantinet, on va voir ce qu'on va voir. Et me voilà donc parti ventre à terreà Reuilly; le roi n'était pas mon cousin. Mise en tête d'une trentaine de wagons. De prime abord, difficultés à me mettre au régime à la CG (Conduite Générale). Il faut dire que la pompe était asthmatique- c'est pour celà qu'elle était aux manoeuvres- et que le matériel remorqué était dans le même état en ce qui concerne l'étanchéïté des wagons sortant de la guerre. Aprés un essai de frein "d'auvergnat", c'est à dire douteux, machine au timbre, signal de départ, et nous voilà démarrés en nous propulsant à petite vitesse entre les 2 souterrains de Reuilly et de Picpus. Le carré de sortie est fermé. On en profite pour remonter les actions, et que je te regonfle tout celà, chaudière et CG. Le TIA n'existait pas, les machines pissaient et quelques fuites musardaient allègrement de ci et de là dans le foyer. Le carré s'ouvre. Coups de patins. La rame était certainement mal débloquée, enfin, cela bouge, on roule. Mais c'était vraiment dur; on aurait cru que la gare de Reuilly était accrochée en queue. Nous franchissons la gare de Paris - Bel Air à faible vitesse. La pression baisse, l'aiguille du manomètre de la chaudière se couche de mon coté, l'eau joue à m'as tu vu dans le tube. En conséquence, la pompe à air donne elle aussi des signes de faiblesse, l'aiguille du RP flirte avec celle de la CG et se superposent et nous plantons un chou. Et où? Dans le milieu du tunnel de St Mandé (251m). Nous sommes couverts par le BAM (Block Automatique Mécanique) qui équipe la ligne. Dans le boir avec une pauvre loupiote, à moitié asphyxiés, bloquant les voies, il fallut reniper le chaudron non sans mal, à renfort de coups de crocs et de souffleur. Moreau était un novice. Au bout d'une vingtaine de minutes, nous pémes repartir, aidés en celà en queue par la machine du banlieue derrière nous qui avait compris la situation, histoire sans paroles. Nous nous trainâmes jusqu'à Vincennes. J'appréhendais ce dernier tunnel de Vincennes (418m) et j'arrivais en gare de Fontenay. Pour rentrer au triage, il fallait refouler la rame en rampe et avant d'entreprendre la manoeuvre, il fallut encore se reniper. Je n'avais pas un poil de sec. La rame refoulée, et aprés presque 55mn de retard répercuté sur les trains de banlieue sens pair et impair confondus, car sur la ligne V c'était comme sur un circuit miniature: en gare de Paris - Bastille, il fallait libérer les voies au fur et à mesure (sans commentaire, la belle pagaille). ce dimanche là, en me référant à l'horaire de 1946, départs de Paris Bastille à 8.40, 9.00, 9.25, 9.45, 10.20. Pour couronner le tout, il me fallait aller au dépot car je n'avait plus d'eau, ou je basculais en gare de Fontenay. Je voyais déjà ma carrière à peine entamée brisée, les foudres de mes supérieurs s'abattre sur moi, ayant l'expérience du dépot de Noisy. Et là, j'avais beaucoup à apprendre de cet univers délirant. Etait-il possible qu'il existe un oasis? Et bien oui: le dépot de Nogent - Vincennes! Un état d'esprit vraiment à part, en dehors du commun, un petit monde clos qui ne demandait rien à personne et encore moins aux grands voisins de Paris, et qui réglait ses problèmes en famille. Car aussi bizarre que celà puisse paraitre, je n'en ai jamais entendu parler, pas de demande d'explication écrite, pas un mot du chef de feuille, du chef de dépot, ni du chef mécanicien. Il ne s'était rien passé sur la ligne V ce dimanche là. Il y avait accord tacite entre l'exploitation et la traction et je suppose qu'avec la voie il en était de même. Des bouches cousues souhaitant qu'on ne se mêle pas des problèmes de la ligne V, même à l'Arrondissement. Retour au dépot de Noisy. En Octobre 1947 (encore en Octobre), je réintégrais le dépot de Noisy aprés une année d'absence. Il était de règle de ne pouvoir demander sa mutation à son dépot d'origine aprés une nomination qu'aprés une année. Entre temps, j'avais été un mois à l'école des mécaniciens de Vaires (les premières écoles). Pour une meilleure compréhension de certaines de mes prises de position ou de mon comportement dans des circonstances particulières, il est de mon devoir d'indiquer brièvement mes options politiques et syndicales qui se mélangent parfois avec le métier: ma mère institutrice socialiste, mon père radical-socialiste, mon arrière grand-père maternel franc-maçon. Aux jeunesses socialistes à 14 ans. Déçu par la position du Parti Socialiste, par son abandon pur et simple de la république espagnole, je fus attiré par le Parti Communiste (qui devait lui aussi dès 1974 me décider à l'abandonner , pas de commentaires). Bien entendu à la CGT en 1944, que je n'ai jamais quitté malgré des divergeances de vue, délégué au comité mixte local, délégué à la sécurité et ensuite délégué des agnets de conduite du 1er arrondissement de Paris Est avec mon collègue René Dumont de Culmont - Chalindrey. Nous avions en charge à l'époque les dépots de La Villette, Noisy, Vaires, Chateau Thierry, Gretz, Sézanne, Verneuil, Longueville, Troyes, Chaumont et Chalindrey. Il est évident que la grande grève de 1947 au cours de laquelle nombre de mes camarades furent révoqués me toucha au plus profond de moi-même. Je ne referai pas l'historique de cette dernière (voir "Les cheminots dans l'histoire sociale de la France"). Les grèves ayant commencées pendant mon stage à l'école de Vaires, nous fémes tous remis à disposition dans nos dépots respectifs. Beaucoup ne la firent pas de peur d'être marqué à l'encre rouge et d'être recalé à l'examen. Il est de fait que, malgré mon arrêt de travail qui était dans ma ligne de conduite, je fus reçu la première fois et dans de bonnes conditions, que ce soit à l'écrit, à l'oral ou à la pratique en ligne. Le plus cocasse est que la plupart de ceux qui étaient non grévistes furent recalés. A l'époque, nos patrons étaient bien loin d'être avec nous, sinon que de n'être que les champions du paternalisme. Ces grèves furent très dures. Des bagarres eurent lieu avec ceux qui travaillaient et même avec les voyageurs. Il faut dire que nous n'y allions pas de main morte: les machines étaient coupées des trains en principales et basculées sur place, et nous étions poursuivis à coup de pierres par les voyageurs et la police. Pour le centre de Noisy, la grève se termina un matin au foyer des agents de conduite où une trentaine d'irréductibles furent cernés par les CRS (Compagnie Républicine de Sécurité) qui nous retirèrent tout ce que nous avions sur nous (papiers, etc). Ensuite, nous dûmes aller les récupérer un par un au bureau de notre chef de dépot avec les compliments d'usage et les menaces succinctes. Je crois que ce fut la plus grande humiliation de ma vie. Puis tout se tassa. Je fus classé comme chauffeur avec Roland Judas qui,lui,venait d'être nommé mécanicien avec la 140 C 217, machine timbrée à 12 bars mais munie d'une pompe alimentaire. Notice 140 C 1 à 70 et 101 à 370. Origine Etat: 70 en service en 1913, construites chez Schneider, SACM et Fives - Lille. 200 locomotives livrées en 1916 / 1918, construites en Angleterre du fait de la guerre. L'Armée ayant retenu ce type de machine pour la traction de l'artillerie lourde sur voie ferrée en commanda 70 en Grande Bretagne entre 1915 et 1920: ces 140 C s'appelaient aussi ALVF. Les allemands entre 1939 et 1944 en prélevèrent un grand nombre. En ce qui concerne l'Est, seule la 140 C 11 ne revint pas. Locomotive pour service marchandises à simple expansion, 2 cylindres, surchauffe. Première locomotive puissante créée par le réseau de l'Etat aprés fusion avec l'Ouest. Bonnes machines, fortes, simples, peu d'entretien, conduite facile, liberté d'allure, et des gazeuses. Les 140 C, avec les 141 R, sont les dernières locomotives à vapeur ayant été utilisées en France par la SNCF. Au 31 Décembre 1970, 26 machines étaient encore en service. En 1971, 7 à Belfort, 6 à Sarreguemines (dernier bastion de la vapeur), 11 à Verdun. Le 28 Septembre 1975, les 140 C 38, 287 et 314 en provenance de Gray (CFTA) étaient réformées, marquant définitivement la fin officielle de tout trafic vapeur sur voie normale sur les lignes de la SNCF. 140 C 34 au musée de Mulhouse. 140 C 231 AJECTA à Longueville. 140 C 314 FACS. Etant en service disponible, nous allions à Chalons sur Marne, Reims ainsi que sur la transversale de Reims à Chalons sur Marne via Mourmelon, à Troyes, Sézanne et Montereau. Aux tournées de Troyes, nous revenions fréquemment avec un train d'autos Peugeot de Sochaux. La marche était serrée et nous roulions à la vitesse limite de 80km/h. Le train n'était pas lourd, il n'y avait pas encore les wagons à étage modernes. La houille avançait toute seule avec le mouvement de lacet de la 140 C dépourvue de roues porteuses. Il fallait bien tenir en équilibre sur ses jambes pour mettre au feu, sans cela gare aux coups de pelle dans le cadre de la porte et aïe pour les poignets. Pour la chauffe manuelle, il fallait être rapide pour empécher l'air froid de pénétrer dans le foyer. Il fallait aussi savoir disposer sa pelle à l'entrée du gueulard pour lire son feu et éventuellement détecter les trous et les garnir rapidement. Si la charge était bonne et bien placée, à la fermeture de la porte un beau panache noir devait sortir de la cheminée. Dans le cas contraire, la houille n'avait pas été bien placée et dans les minutes qui suivaient l'aiguille du manomètre de la chaudière s'inclinait du mauvais coté.Le travail du feu est un art. Un bon arrière au ras de la porte, de bons flancs avec de bonnes "moustaches" à l'arrière, peu de feu à l'avant; la houille avec la pente de la grille et les trépidations descendait seule. de temps en temps une ou deux pelletées en pluie à l'avant. La condition première d'une bonne conbustion était l'arrosage copieux du combustible. Cela peut paraitre bizarre pour un profane, mais cela avait 2 avantages non négligeables: -le premier est que, comme nous chargions pas mal de menu, cela l'amalgamait et on mangeait moins de poussières. -d'autre part, l'eau (H2O) contenant de l'oxygène facilitait la combustion. Quelquefois, c'étaient des pelletées de boue que nous enfournions. Nous avions un service régulier aller et retour sur 2 journées Noisy - Montereau acheminant une rame vide et ramenant une chargée. C'était du sable pour la réfection du triage de Noisy. A l'aller, Noisy - Flamboin Gouaix, changement de bout et tender avant jusqu'à Montereau; 27,6km par Les Ormes sur Voulzie, Vimpelles, Châtenay, Noslong, Marolles et Montereau. Nous faisions l'inverse au retour. Un orage nous prit un jour au départ de Flamboin. Nous arriv‰mes trempés comme des canards. Judas s'était perché sur le changement de marche et moi coincé dans mon coin d'où il fallait que je sorte pour mettre au feu et faire de l'eau. A Montereau, dépot PLM, c'était les équipes titulaires qui garaient leurs machines, vidaient la boite à fumée et le matin basculaient le feu mis en réserve la veille avant de le remonter. Le réfectoire avait 3 tables en bois recouvertes de fer blanc et des bancs. Des bidons à carbure vides servaient de poubelles (sans couvercle). Une porcherie! Bien que nos réfectoires à l'Est ne brillaient ni par leurs aménagements, ni par le confort, la propreté ou l'hygiène, Montereau, c'était le mémorial, l'apothéose de la crasse, des mauvaises odeurs et le royaume incontesté des mouches. En lisant le livre de Marc Baroli "Les Cheminots", p.85 et 86, il est écrit qu'en 1875 le dépot de Montereau était déjà cité en exemple dans ces termes:" les dortoirs voisins des latrines sont pleins de vermines et envahis par le bruit des machines". Peu de changements en 72 années. Le dortoir était commun. C'était une pièce sombre avec des bas-flancs en éventail comme une écurie. Il y régnait une odeur pestilentielle de crasse, de sueur, de vieux tabac froid, de moisi, de chaussettes sales et j'en passe, le tout agrémenté de la compagnie de charmantes bestioles, des punaises qui profitaient de notre sommeil pour casser la croéte sur nos personnes. Il fallut de nombreuses réclamations en haut lieu pour faire remédier à cet état de choses. A noter que les équipes PLM étaient aussi sales que leur réfectoire et leurs machines, ils ne se changeaient pas , contrairement aux agents de l'Est. Seulement un coup aux mains et le bout du nez. Pour ne citer qu'un exemple, dans les années 60, utilisant une chambre en double avec des dijonnais au dépot de Culmont - Chalindrey, et arrivant au 409 de Paris à 22.00, je refusais de coucher dans la chambre tellement cela sentait mauvais avec en plus les housses du matelas noires de saleté: ils s'asseyaient dessus avec leurs bleus de chauffe. J'aimais aussi les tournées de Sézanne car nous ne revenions que le lendemain, la ligne étant fermée la nuit. Et quand c'était l'époque, nous rapportions des escargots blancs qui pullulaient dans les talus en remontant la ligne en direction de Fère Champenoise. La ligne était d'un profil relativement facile. A l'aller, nous avions environ une soixantaine de wagons vides pour faire la répartition à Coulommiers, La Ferté Gaucher et Esternay. Le parcours était de 120km. Le retour était souvent effectué HLP. Le repos était de bonne qualité, calme et propreté avec l'équipe de Noisy qui arrivait à l'autorail de Paris à 21.40 et repartait le lendemain matin à 6.47. Puis avec Judas nous eûmes la 140 C 45 en remplacement de la 217. La 45 était timbrée à 14 bars mais 2 injecteurs en charge. Celle-ci, comme la 217, était toujours rutilante, astiquée, bichonnée, son long corps cylindrique passé au suif, les cercles en cuivre du robage briqués au Miror, les tabliers nettoyés au pétrole. L'éclairage de la cabine était chiche: nous n'avions qu'un pauvre quinquet à huile qui jetait une vague lumière sur les manomètres et le tube à eau. La modernisation se fit sous la forme d'une lampe "Butin" à acétylène, accrochée au plafond de la cabine, menant une sarabande effreinée au dessus de nos têtes au gré de la vitesse, des courbes et des appareils de voie, ainsi que du mouvement de lacet de la C. Je décidais donc de ma propre initiative d'installer un éclairage fixe et plus puissant. J'avais dégoter un générateur à acétylène, installé des conduites, avec éclairage au plafond avec un superbe "bec-papillon" et une dérivation vers le tube. Quel crime de lèse-majesté n'avais-je pas commis! Il existait déjà des cheminots d'opérette, des technocrates bornés et imbéciles, en verve de se faire mousser, n'ayant rien d'autre à faire, qui ne savaient même pas ce que celà était la nuit sur une locomotive, dormant ou dans leur lit ou au bureau. Un beau jour, une de ces illustres nullités sortant de je ne sais où de l'Arrondissement et voulant faire du zèle, ne devant pas être capable de faire autre chose, me donna l'ordre de démonter le tout sur le champ sous peine de sanction car, me dit-il avec beaucoup de sérieux, cette machine était une ALVF et ne devait subir aucune modification. Je n'avais plus qu'à tout déglinguer. Plusieurs mois aprés, toutes les 140 C furent munies d'un générateur à acétylène et d'une installation similaire à la mienne. Je pense que ce scribouillard a dé reprendre à son compte mon installation en faisant valoir que c'était le fruit de son imagination. Peut être a-t-il été décoré de la Légion d'Honneur? Revenant de congé, je me trouvais disponible en attendant de reprendre ma place avec la 45. Je faisais donc une petite tournée de Ceinture pépère avec Deschappes dit "Charlot" avec une C dont j'ai oublié le numéro. Au retour, n'ayant fait qu'un train Noisy - Valenton et retour HLP, la visite fut faite en jargon du métier "avec un appareil-photo". Le soir, nous étions commandés Charlot et moi pour le train VT 1113, étape Vaires Triage - Troyes et quelle ne fut pas notre surprise à notre prise de service vers les 0.30 de reprendre la C de la veille. Celà n'aurait été rien si nous nous étions rendus compte à la visite que les tuyaux des sablières étaient cassés au ras du tablier des 2 cotés. Pour se résumer, pas de sablières du tout. Le VT 1113 était un train très lourd et toujours complet en longueur et en charge et nécessitait une machine de pousse non attelée de Vaires à Villiers sur Marne . Aller à Troyes sans sablières était une gageure, mais il était trop tard pour reculer. Le vin était tiré, il fallait le boire et jusqu'à la lie. Nous allions payer notre négligence et ce fut ce qu'on appelle "une belle nuit d'amour". La 140 C tint bon sur ses pattes jusqu'au milieu du raccordement de Villiers, et bien heureux pour nous le carré de la bifur avec la ligne 4 était ouvert. La machine de pousse ne connaissant pas nos problèmes nous lachait d'un seul coup. La danse commença, et Charlot de jouer du régulateur. J'ouvre, je referme. Nous voila au pas. L'apothéose fut quand la C s'engagea dans les appareils de voie. Là, elle s'arrêta totalement puis, à la réaction du train, elle reprit pieds et alors nous descendîmes tous les deux de la machine, chacun d'un coté jetant sous les roues ballast et sable de la piste (les gars de la voie ont dé se demander si des sangliers étaient passés par là). Cette séance dura jusqu'au pont à la sortie de la gare, environ 250 à 300m. Je remontais de temps en temps charger le feu et faire de l'eau et rebelote. Au tape à mort le feu était incandescent, les soupapes hurlaient à la mort car il y avait du gaz mais moi je savais que cela ne durerait pas : avec les coups de patins qui avaient tamisé le feu, il y en avait beaucoup à l'avant. Aprés une séance pareille, il ne pouvait en être autrement et avec un feu sali, malgré une bonne adjonction de briquettes qui me permit de gagner le profil plus favorable, je battis cette nuit là une "bringue" mémorable jusqu'à Troyes, coups de secouette, croc, coulades et perte de temps ( 80mn). Une paille. Il n'y eut pas besoin de me bercer pour m'endormir. Les réparations furent effectuées à Troyes pendant notre repos écourté. Nous revenions le soir même au VT 1146 pour Vaires, toujours aussi lourd et long mais là sans problèmes. Bien entendu, rapport de Charlot au bulletin de traction, demande d'explication 7P1 à la clé. Nous démes acquitter comme il se doit la facture. A la vapeur, l'équipe était solidaire pour le meilleur comme pour le pire. Les sanctions touchaient invariablement le porte-monnaie. La diminution sur prime était variable selon les degrés de responsabilité de l'équipe mais sur une somme donnée, 2/3 pour lemécanicien, 1/3 pour le chauffeur plus blâme avec ou sans inscription au dossier. A cette époque survint l'accident mortel d'un collègue jeune mécanicien. Anclin fut tué par un pont en allant chercher des briquettes à l'arrière du tender entre Ozoir la Ferrière et Gretz - Armainvilliers, chauffeur Paulet. Puis arrivèrent les 141 R qui allaient s'imposer et évincer de nombreuses sériesde machines indispensables jusque là. Notice 141 R. Le 20 juillet 1945 sortirent les premières 141 R de l'usine Lima loco works au Canada. La 141 R 466 fut la première déchargée à Marseille le 17 novembre 1945. Au cours du transport de ces machines, 17 locomotives et 17 tenders finirent au fond de l'Atlantique Nord le 13 avril 1947 par suite du naufrage d'un cargo norvégien, le "Belpamela", pris dans une tempête au large de Terre Neuve (1220 à 1235 et 1241). Le premier contingent de machine fut attribué à l'Est, pauvre en machines mixtes et fortement éprouvé par les ponctions allemandes. 24 locomotives à Chalons sur Marne, 40 à Blainville ; ensuite, Noisy reçoit ses premières 141 R avec robinet H6, frein 6 et self-cleaning. Il fut livré 1823 machines au total ayant parcouru 1 800 000 000km, soit 45 000 fois le tour de la Terre sur le rail français. Pourquoi une telle commande ? A la Libération en 1944, sur les 17249 machines figurant aux effectifs en 1938, 6000 seulement appartenant à des séries hors d'âge étaient encore en état de marche. Environ 1/10 des 2946 confisquées par la DB avaient été récupérées. Le reste inutilisable du fait de sabotages, bombardements, détériorations effectuées par l'armée allemande en retraite. Locomotive 141 R type Mikado, puissante, robuste, simple, bonne tenue en service du mécanisme et des organes auxiliaires, entretien commode et peu couteux, chauffe au stocker, conduite facile favorisant la conduite en banalité, étonnement des équipes de conduite pour le confort de la cabine et des sièges dignes de ce nom. Bonnes à tout faire : marchandises de 1500 à 1800t à 60/70km/h, messageries de 800t et plus, trains de voyageurs express. Elles furent limitées à 90km/h puis vers 1947-48 à 100km/h. Toutes dépourvues du Flamant en arrivant en France. La dernière 141 R utilisée en service régulier fut la R 73 le 28 mars 1974 à la remorque du RO 51083 Béning - Sarreguemines. Quelques 141 R furent louées aux chemins de fer helléniques. Je suis classé aux machines à vis. Je fus classé aux 141 R avec Lucien Gueldry, non sans avoir à la lecture du classement des équipes demandé audience avec mon patron pour lui demander la raison de ce changement de série de machine, car j'étais tellement habitué à ma vieille 140 C à pelle que je connaissais bien et où, ma foi, je me trouvais heureux. J'avais du gaz comme je voulais et quand je voulais et j'étais bien ainsi. Le chef de dépot me dit textuellement "Bonnin, il y a des chauffeurs plus jeunes que vous. Il faut qu'ils goutent à la pelle avant d'aller aux machines à vis. Cela leur sera salutaire car je me suis rendu compte que beaucoup d'entre eux se sont trouvés d'un seul coup une vocation de chauffeur depuis qu'ils savent que les machines à stocker arrivent. Alors, pas d'état d'âme ! Vous irez aux 141 R". Nous faisions très bon ménage Lucien et moi, mais il ne me donnait jamais le manche et beaucoup de vieux mécaniciens faisaient de même, ayant la trouille de faire du gaz au stocker. Pourtant, bien menées, les 141 R étaient des gazeuses et encore plus la série des 1000 à condition d'avoir bien entendu un combustibl adéquat et de faire un bon réglage des jets de vapeur de la table de distribution nervurée ; surtout ne jamais bourrer l'avant, car alors elle chutait vite de pression, charger à la pelle de temps en temps les falncs et l'arrière. J'avais un calepin auquel je tenai comme à la prunelle de mes yeux. J'y avais noté les réglages de jets de toutes les machines (bien qu'il y eut un réglage de base), ce qui fait que pratiquement je connaissais le réglage à faire pour avoir un beau feu plat en tenant compte du calibrage du combustible. Surtout aux R éviter les émissions de fumée noire : elle devait être grise. En cas d'encrassement du feu, car le combustible n'était pas toujours de bonne qualité, il fallait jouer des secouettes (grilles à secousses) et au premier arrêt basculer le feu, ce qui était fait le temps d'une prise d'eau. Bien que formellement interdit par le sacro-saint réglement et le manuel de chauffe des 141 R à l'usage des mécaniciens et chauffeurs, il m'est arrivé à moi comme à beaucoup d'autres de profiter d'une bonne coulade (régulateur presque complètement fermé où le train pousse la machine, utilisation rationnelle du profil de la ligne) pour basculer en ligne sans arrêt. La grille était divisée en 4 parties mobiles commandées de l'intérieur dans la cabine. Il fallait faire très vite car l'air froid s'engouffrait par le cendrier et la porte du foyer faisant chuter rapidement la pression. Cela se passait en plusieurs opérations et de la façon suivante : -se faire une petite réserve de feu propre à l'arrière, une bonne douzaine de pelletées. -basculer les parties avants droite et gauche. -remettre les secouettes en place et avec le croc pousser le feu propre mis en réserve à l'arière à l'avant. -semer rapidement du charbon frais en pluie dessus. -basculer l'arrière, ramener le feu de l'avant à l'arrière en sement en pluie du charbon à la pelle. -n'utiliser le stocker que quand toute la grille était pesque entièrement recouverte de houille qui brulait. -ne pas oublier d'arroser les scories dans le cendrier, ce dernier se trouvant souvent porté au rouge, provoquant sa déformation et des difficultés pour son bon fonctionnement. Cette opération devait être faite en 2 mn au plus. Au premier arrêt sur fosse, on le vidait, car la commande se trouvait à l'extérieur et ne pouvait être manoeuvrée qu'à l'arrêt (coté droit). Pourquoi ces méthodes interdites ? Eh bien pour éviter des paperasses, rapport au bulletin de traction pour justification de l'arrêt (il était répondu invariablement sauf exception, "mauvaise conduite du feu", le combustible ne devant jamais être mis en cause); et puis, il fallait sauver l'honneur, ne pas piquer de chou. Malheur si au cours d'un basculage en ligne, un morceau de brique de la voûte restait coincé dans les grilles et de ce fait impossibilité de refermer le plan de grille (cela m'est arrivé aux 141 P et j'en parlerai le moment venu). Un dimanche matin, nous arrivons à Reims avec un RO (marchandises en Régime Ordinaire) Vaires Triage - Betheny Triage.. Avant nous était arrivée l'équipe Jéchoux - Alexandre avec leur 3100 en service facultatif. Jéchoux était un fêtard et un joyeux luron et comme c'était la foire à Reims, il ne se coucha pas et vers 11h du matin vint réveiller son compagnon Alexandre pour continuer la java, aprés avoir sorti tout le monde des bras de Morphée. Le dortoir était alors une baraque en bois, le nouveau local en dur n'était pas encore reconstruit. Vers 18h, retour de la fine équipe dans un état comateux. Gueldry et moi étions commandés pour 22h pour la remorque d'un RO Betheny - Vaires et l'équipe Jéchoux avec leur 3100 en double traction en 2ème machine pour éviter un HLP. Comment s'est passée la préparation de la 3100 ? Mystère, mais ayant une machine titulaire, elle pouvait éventuellement faire un AR sans être regraissée (300 km). Avant l'essai de frein à Betheny, Gueldry me demanda d'aller voir si les organes de frein de la 3100 étaient bien disposés pour la DT (Double Traction). Bien mal m'en pris car à peine avais-je mis le peid sur le marche-pied que mon Alexandre me recevait en braillant et en brandissant sa pelle. Je fis illico-presto un replis stratégique sans insister, connaissant le caractère emporté et assez violent d'Alexandre, surtout en dehors de son état normal (il avait fait de la boxe étant jeune). Au demeurant un bon camarade et d'autre part un excellent chauffeur. En période de pointe, il faisait des express pour Nancy ; en vitesse, il était imbattable. L'essai de frein se fit dans la sérénité. Jusqu'à Fismes, 26km de Reims, le profil est facile. A partir de Bazoches, la rampe est de 6mm/m jusqu'à Fère en Tardenois par Mont Notre Dame et Loupeigne (15km). Et voici la 3100 derrière qui se déchaine et s'anime, se mettant à tirer le train et à pousser la 141R. Une démente ! Sa cheminée n'était pas assez large pour laisser échapper un volcan de scories du foyer en furie. Plus Lucien repoussait le régulateur de la R, plus Alexandre poussait. En haut de la côte, à Fère en Tardenois, 15mn d'avance, alors que la tolérance est de 3mn. Dégringolade jusqu'à La Ferté Milon, arrêt prise d'eau et départ à l'heure. J'en profite pour rendre visite à Alexandre, qui a l'air un peu mieux, et je lui demande ne pesant mes mots avec des formes de ne pas tirer dessus de pareille façon un filet de vapeur pour ne pas vous trainer. Un coup d'oeil dans la cabine : Jéchoux est allongé le long de la boite à feu, en travers de la cabine. Je ne vois que sa tête, le reste est enfoui sous la houille. Sous la lumière blafarde de la lampe à acétylène, on dirait un cadavre. Ensuite, jusqu'à Vaires, c'est une 3100 fantôme que nous trainons en plus du RO. Rien n'indique qu'elle est montée, pas une lueur, pas de fumée, pas un reflet comme il s'en fait quand on ouvre une porte de foyer la nuit. A l'arrivée à Vaires, nous les garons sur une voie contiguë. Ils sont commandés HLP Noisy Dépot mais hélas l'eau est à la bague et 6 bars de pression, le feu dans un état tel qu'il nécessite des fagots que j'aide Alexandre à aller chercher pendant que Jéchoux prépare quelques briquettes, et nos deux oiseaux dormeurs renipent leur machine de manière à réintégrer Noisy de leurs propres ailes. J'ignore s'il y a eu des suites mais certainement pas car nous aurions été interrogés. Quant à nous, un train de liaison nous attendait pour Paris Bobigny. Pendant la période de congé de Lucien, ce fut le gros "Rossignol" dit "Rossi". Rossignol était son nom de famille. Un bien brave homme mais ayant le sang lourd. Il était obèse et piquait du nez. Il regardait à l'intérieur, il maniait le robinet de frein, le gros, comme un enfant de choeur, et moi qui ortait tout fraisémoulu de l'école des mécaniciens, j'en étais malade de le voir martyriser les trains. Nous avions toujours des incidents de frein et par suite logique des repos réduits hors et à la résidence. J'en avais ras le bol. Entre temps, j'avais passé avec succés l'examen de mécanicien : écrit et oral à l'arrondissement, technique en ligne 141 TB à la banlieue, 140 G américaines de 1914 aux marchandises omnibus (je me rappelle qu'elle avait la conduite à droite et que le changement de marche était un grand levier cranté), 141 R aux marchandises et 230 K aux express. Revenons à Rossi, comme on l'appelait famillièrement. Un matin, vers 5h, en descendant Chalifert sur ligne 1 entre Esbly et Lagny avec un marchandises long et lourd, il piquait du nez comme de coutume. Je guettais le panneau de BAL dans la courbe à droite, donc de mon coté, qui précède la ligne droite avant la gare de Lagny. En règle générale, il était en position d'avertissement et annonçait le panneau d'entrée de la gare de Lagny au carré, un train de banlieue partant devant nous. Je criais "Jaune". Rossi, surpris, envoya d'un geste auguste la poignée du H6 à l'urgence,au dernier cran s'il vous plait, pas de détails. Réalisant mais un peu tard sa bêtise, au lieu d'attendre que cela se passe -risque sans importance de marquer l'arrêt- il débloqua en première position et tira sur le régulateur qu'il venait de fermer ce qui se traduisit sur nos 1800t et nos 80 wagons par un déblocage partiel à la tête alors que la queue ne commençait qu'à serrer (Rossi n'y connaissait rien avec les vitesses de propagation de l'air sur un train long), le tout auréolé par une superbe secousse qui aurait fait la joie d'un sismographe, annonciatrice sans aucun doute possible et à la vue de la CG (Conduite Générale) d'une rupture d'attelage. Le pauvre avait des gouttes de sueur qui ruisselaient. Il alla se rendre compte du bilan, revint environ 20mn aprés soufflant comme un phoque. Pendant son absence, j'avais rempli la demande réglementaire de secours par l'avant. La première partie du train fut descendue en gare de Lagny, la deuxième partie tant restée en pleine voie couverte par le BAL. Une belle pagaille avec les trains de toutes sortes s'entassant derrière nous. Il fallut instaurer une VUT (Voie Unique Temporaire) par pilotage entre Esbly et Lagny. Nous retournâmes tender en avant à contre voie récupérer la deuxième partie, mai en arrivant dessus, la surprise : au lieu d'avoir comme il se fait en pareil cas la première partie avec le wagon avarié, dans son affolement, Rossi l'avait laissé en tête de la partie à redescendre. Nous avions alors 2 options : descendre le wagon seul et revenir une deuxième fois chercher le reste. Il y avait environ 600t à ramener avec un attelage de fortune que je bricolais moi-même avec les chaines qui se trouvaient dans les coffres des R et celles que j'avais piquées à la grue de gare de Lagny par prudence, au cas où... Une chance : le demi accouplement de frein pendait au bout de la conduite générale et n'était pas cassé. La rame fut regonflée et Rossi démarra sur chaines. Le profil était favorable, cela descendait et la deuxième partie fut refoulée sur la voie en impasse qui se trouvait à gauche aprés le BV. A l'arrêt, avec la douceur de Rossi, bien que je lui ai conseilleé de refouler très doucement, il bricola tellement que les chaines cassèrent et bien heureux que la rame était munie sans cela le butoir sautait et les WC auraient subis le même sort. Nous sommes repartis de Lagny à midi. Une vrai fiesta. Je passe aux 141 P ( Les petits P ). Roger Vançon était le patron de la 141 P 238, avec Robert Graisely comme chauffeur. Ce dernier étant promu élève mécanicien, je lui succédais, quittant les 141 R. A cette période, être MECRU ou CFRU était le sommet au dépot de Noisy (MECRU : Mécanicien de Route ; CFRU: Chauffeur de Route ; ELEMEC: Elève Mécanicien). Notice 141 P 1 à 308. Dernières Mikados PLM, livraison de 1942 à 1951. Locomotive à 4 cylindres, compound à BP intérieure, chauffe au stocker, vitesse limite : 105km/h. Service mixte. La plus évoluée et la plus performante des locomotives mixtes françaises. Aptes à la remorque de tous les trains. Pourquoi furent-elles limitées à 105km/h ? Mystère. L'une d'elles a roulé à 125km/h sans problème. Puissantes et économiques, elles assuraient à l'Est les roulements les plus nobles et les équipes de conduite les préféraient sans hésitation aux 141 R malgré leur manque de confort. Aucune ne figure au musée de Mulhouse. Sur l'Est : En 1948 : 33 ; en 1951 : 116 ; en 1957 / 1962 : 178 ; en 1966 : 73 ; en 1968 : 5. Surface de grille : 4,28 m Surface de chauffe : foyer: 15,7 m2 tubes: 183,2 m2 totale: 198,9 m2 Tubulures: gros tubes : 30 de 125 x 133 petits tubes: 125 de 49 x 54 Timbre: 20 Hpz. Diamètre des roues : 1,01 m / 1,65 m ; 1,37 m Diamètres des cylindres : HP extérieurs : 0,41 m BP intérieurs : 0,64 m Course des pistons : 0,70m Inclinaison des cylindres : HP: 32% BP: 132% Longueur des bielles motrices : HP : 3,40 m BP: 2,10 m Masse: à vide : 103 t en charge : 112 t d'adhérence : 76 t Puissance à la jante - indiquée : 2700 ch - mesurée : plus de 4000 ch Effort de traction : en compound : 22,4 t en simple expansion : 28,2 t ( avec pour ces 2 indications une pression au réservoir intermédiaire de 8 Hpz). Chauffeur avec la 141 P 238 (MECRU : Roger Vançon). Roger était un grand colosse, bon camarade de travail, bon vivant, excellent mécanicien, pas une vieille baderne comme il en existait encore quelques exemplaires en voie de disparition (heureusement, aucune au musée de Mulhouse). La 141 P 238 était une machine en or qui ne nous a donnée et à tous ceux qui l'ont montée que des satisfactions. Je connaissais très bien la série, y ayant fait de nombreux remplacements. Les petits P étaient moins sensibles que les R pour la conduite du feu et elles avaient moins de primage (entrainement d'eau). Le premier mécanicien qui me laissa le manche aux P était Raphaël Fournier, un MECRU de la vieille école, sévère, austère, mais qui connaissait parfaitement son métier. Quand il avait dit quelque chose, il ne fallait pas discuter mais obéir. Attention aux émissions de fumée trop abondantes, attention aux levés de soupapes, pas trop d'eau et machine toujours au timbre, il travaillait à la marche et régulateur grand ouvert. Dans son genre, il s'émerveillait. C'était un artiste. On ne pouvait, et encore plus un débutant comme moi, que l'admirer. C'était une période où le train de messageries 4043 Noisy - Troyes empruntait la Grande Ceinture jusqu'à Sucy - Bonneuil pour prendre la ligne de Paris Bastille à Verneuil l'Etang et là rejoindre la ligne 4, le viaduc de Nogent - Le Perreux n'étant pas encore remis en service (sa reconstruction a été achevée le 14 décembre 1946). Une autre fois, je faisais équipe avec le mécanicien Vroux, dit "la Torche", grand, sec, noueux, ronchonnant sans cesse contre tout, qui ne devait rire que quand il se brulait. Nous faisions ce soir là le 4017, messageries Noisy - Blainville Damelevières via la ligne 27 de Toul à Blainville par Chaligny, Neuves Maisons, Marrons et Pont St Vincent. Il était direct Bar le Duc, 250 km avec arrêt facultatif à Chateau Thierry pour prise d'eau éventuelle, cela faisait environ 376 km. Nous l'avons ensuite remorqué jusqu'à Sarrebourg avec arrêt facultatif à Bar le Duc, 423 km. De belles tournées vapeurs. Comme il était de rigueur à la vapeur et aux grandes roues, j'arrivais à la machine une bonne demi-heure avant la prise de service normale, je sortais les bidons d'huile et je procédais au remplissage des burettes. Nous utilisions 3 sortes d'huiles : -la surchauffe pour pistons et distributeurs, épaisse, qu'il fallait faire chauffer l'hiver pour remplir les graisseurs mécaniques (travail en principe exécuté à la rentrée du train précédent). -celle à bielles et petits mouvements. -celle pour les dessous de boites d'essieux de roues. Je prenais une allumeuse (lampe des plus simples ne comportant qu'un réservoir et une mèche trempant dans du pétrole, ne s'éteignant pas même par grand vent et sous la pluie, ni en tombant) et je me glissais dans la "cage aux fauves", à l'intérieur de la machine, dans le mouvement BP, pour y graisser les grosses têtes de bielles et les patins de glissières sans oublier la pince à épinglettes (tige d'acier calibrée qui jouait le rôle de piston dans le siphon de graissage, montant et descendant à chaque tour du vilebrequin). Alors que je m'affairais à l'intérieur, j'entends brailler comme un ‰ne dans la cabine : " Ma burette, à un train direct, ma burette, mon compagnon". Exaspéré, je sors de la cage en vitesse pour réintégrer la cabine o l'autre beuglait toujours la même litanie "Ma burette, un train direct, ma burette, mon compagnon", et là j'explosais : "Ecoutez-moi bien ! Si vous n'êtes pas satisfait de moi, je ne pars pas ! Allons directement au chef de service et vous lui direz vous-même que vous ne voulez pas moi comme chauffeur parce que je ne suis pas votre chauffeur et que, scandale, j'ai pris votre burette pour graisser !". Quand il se rendit compte que je le prenais très mal, il se mit à ronchonner et à bafouiller dans sa moustache à la gauloise, et il me dit " : C'est bon, c'est bon !" Et nous en rest‰mes là. Pas un mot jusqu'à Blainville. Surprise à l'arrivée : aprés avoir fait un somme, il me paya un pot, ce qui était vraiment exceptionnel de sa part, ayant la réputation d'avoir un porte-monnaie "en peau de hérisson". Je finis la décade avec lui et aprés cela a été comme sur des roulettes. J'avais appris à ne plus me laisser faire et de me regimber le cas échéant. Sans cela, le chauffeur, avec certains, était vite asservi et faisait ni plus ni moins partie que de l'outillage de la machine. Pour mieux situer les rapports entre mécaniciens et chauffeurs dans certains dépots de la région de l'Est, je citerais l'histoire de mon plus jeune frère, Pierre, alors ouvrier au dépot de Noisy et qui finit sa carrière comme sous-chef d'atelier à l'Ourcq. Il fut détaché au dépot de Metz Frescaty comme faisant - fonction de chauffeur et fit comme il était d'usage pour un chauffeur : il prépara son feu, mais ne graissa pas la machine. Le mécanicien se présenta 5mn avant l'heure de sortie et dit à Pierre " : Alors, compagnon, on est prêt ?"Mon frère lui répondit : "Moi, je suis prêt !" L'autre compris aussitôt et se mit dans une belle colère, car l'habitude sur l'ex-AL était que le chauffeur fasse tout. Monsieur le Mécanicien était le Seigneur. D'ailleurs, dans les dépots ex-AL, il y avait des plaques dans les piaules à la tête des lits "mécanicien", "chauffeur", car l'heure du réveil n'était pas la même pour chacun. Le"nègre" se levait le premier, le "seigneur" plus tard. Avec le mixage par le truchement de nominations, des ex-AL se retrouvaient en dehors de leur fief naturel et des parisiens, eux, étaient nommés là bas, ce qui permit de faire disparaitre peu à peu ces méthodes d'un autre âge, que je qualifierais de racisme d'un certain genre. Revenons à la 141 P 238 et des aventures du trio que nous formions avec elle, Roger et moi. Un jour, notre train supprimé, nous remorquions un mouvement consécutif à des déplacements de CRS avec leurs matériels sur des wagons plats. Les hommes eux étaient dans des voitures situées directement derrière la machine. Il faisait très chaud, nous roulions vers Chalons sur Marne, les glaces des voitures étaient baissées, ces messieurs le pif à l'air, en petite tenue. Nous ne les aimions guère, trop de mauvais souvenirs étaient accrochés à leurs basques dont les cheminots avaient fait les frais, et moi me souvenant particulièrement de leur gentillesse en 1947. Alors, avant la traversée du souterrain de Germigny entre Trilport et Changis St Jean, me vint une idée lumineuse amis mauvaise. J'arrosais copieusement avec l'arroseur de houille la voéte (il n'y avait pas encore les ficelles). Quand nous sort"mes de l'autre coté, les voitures dégoulinaient de boues noires, les clients avaient dû être servis. Une autre fois, j'en repérais 2 (CRS) qui montaient la garde et faisaient les 100 pas sur le quai de la halte de Troissy (km 122, située entre les gares de Dormans (km 117) et Port à Binson - Chatillon (km 126)). Vite, je faisais un tas de poussier près du portillon et au passage à leur hauteur, un coup d'arroseur direction quai : ils eurent droit à de belles décorations. Toujours sur ligne 1, au cours de la remorque d'un RO de Chalons sur Marne à Vaires, que voyons-nous ? Une noce sur un pont, avant la gare de Port à Binson - Chatillon, avec la mariée toute en blanc qui regardait passer les trains. Quelle idée un jour de mariage ! Nous arrivions à petite vitesse -45 à 50 km/h- régulateur entr'ouvert, pas de fumée. A proximité du pont, une boánne charge avec la vis, le souffleur, et Roger en abordant le pont passe la machine en démarrage séparant HP et BP. Un superbe panache noir surgit brutalement de la cheminée, faisant disparaitre le pont et ce qu'il y avait dessus ; nous aurions bien voulu connaître la suite. A noter que pour ces petites histoires de fumée, les familles des CRS (encore eux) qui habitaient les HLM entre Villiers sur Marne et Nogent Le Perreux sur la ligne 4 (Paris à Mulhouse) étaient bien servies, mais il fallait que le vent souffle du bon coté et rabatte bien la fumée qui s'en donnait à coeur joie pour s'engouffrer allègremet par les fenêtres ouvertes et donnait au linge sur les séchoirs la blancheur "lion noir". Il n'y eut jamais de plainte. C'était simple : en direction de Paris Est, cela descendait. Une charge bien ajustée, on refermait le régulateur et le tour était joué. Ces HLM, pour le malheur de leurs habitants, étaient placés dans un triangle formé par la ligne 4 et la Grande Ceinture. Bien rares étaient les tournées où nous ne revenions pas selon les saisons avec soit des escargots de Troyes ou de Chalons sur Marne, des pissenlits voire des champignons. Nous connaissions les bons coins et quand c'était l'époque, rames à haricots, à petits pois ou à tomates et même sapin de No'l, le tout bien arrimé sur le tender. Nous avions repéré de superbes piquets à tomates prêts à l'emploi au bord de l'évitement de Nogent l'Artaud, sens pair au km 85 (Paris - Strasbourg), mais il fallait attendre la journée du roulement qui, à un RO, avait dans sa marche un garage à l'évitement. Ce jour arrivé, le train immobilisé en face les 2 yeux rouges du panneau, nous voila tous les deux dévalant le remblai. En bas, il y avait des fouilles avec de l'eau, la Marne étant proche. Des fascines dissimulaient l'eau stagnante. A l'aller, pas de problème. Au retour,, chargé, je passais en prenant un bon bain de pieds, les branches s'enfonçant sous mon poids. Mais mon Roger, grand et lourdement chargé lui aussi, s'enfonça dans les branches et dans l'eau jusqu'aux genoux, ne pouvant ni avancer, ni reculer, les pieds prisonniers. C'était marrant et je rigolais mais pas lui. Il lui fallut se décharger de ses piquets sur place pour sortir de là, et c'est à 4 pattes en pateaugeant que nous récupér‰mes ses piquets. Il dé retirer ses souliers et son pantalon, ne gardant que son caleçon, et mettre le tout à sécher au plafond de la cabine et sur le collecteur des prises de vapeur. C'est dommage que je n'ai pas eu un appareil photo. Une nuit d'hiver, au train de messageries 4017 Noisy - Sarrebourg, aprés l'arrêt à Bar le Duc pour prise d'eau, Vançon fut pris de douleurs dans le bas du ventreen montant la rampe de Loxéville et il me demanda de le remplacer au manche, lui-même prenant ma place à la chauffe où il pouvait rester assis. Je n'étais pas très rassuré, la nuit était brumeuse, et quand nous bascul‰mes à Ernecourt Loxéville -km 276- et déboulèrent sur Lérouville - km 289-, un épais brouillard me permettait tout juste de voir l'avant de la 238. La main sur la vigilance et guettant les signaux de direction, car à Lérouville il ne s'agissait pas d'aller sur Metz au lieu de Nancy. Avec 800t au derrière, il faut réagir rapidement. A Toul aussi -km 320-, nous empruntions la ligne 27 pour rejoindre la ligne 1 à Blainville Damelevières en évitant Nancy et ma foi nous sommes arrivés à Sarrebourg à l'heure. Bien heureux pour moi, je connaissais bien la ligne, l'emplacement des signaux et surtout ce qui était primordial à la vapeur : le profil. Mais faire un train pour la première fois la nuit au manche, cela diffère totalement de le faire à la chauffe. J'étais quand même content de moi, mais bien content d'arriver. Aprés la journée passée au lit, Roger repartit le soir au train de retour, le 4008, mais quelques jours plus tard, il eut de nouveau un malaise à Chalons sur Marne et dé être rapatrié en voiture à son domicile. Les 141 P possédaient de petits déflecteurs ou glaces mobiles sur les 2 cotés de la cabine. Ces petites glaces nous permettaient de jetter un oeil dehors et ce par tous les temps. Un coup de chiffon dessus et ils étaient propres. Il était très difficile de les faire remplacer en cas de casse par l'atelier, le magasin n'en ayant pas en stock. Un matin, vers les 3h, avant de faire le 44105 et le HLP Noisy - Juvisy et Juvisy - Bar le Duc, en me glissant le long de la cabine pour accéder au tablier et descendre graisser les BP, je me rends compte que le déflecteur manque, celui du coté de Roger aussi. J'ai d'abord cru qu'ils avaient été cassés par le service intérieur mais aprés examen, il y avait les supports mais plus de glaces. En passant mon doigt sous la partie inférieure des supports, je ne sens pas les marques faites au burin, en regardant de plus prés les boulons de fixation, la peinture est partie et écaillée : quelqu'un a fait un échange, m'a mis ses 2 montants sans glaces et m'a piqué les miens. Cela me pris quelques jours mais je visitais systématiquement toutes les P de Noisy et de Chalons sur Marne les unes aprés les autres en prenant soin de noter leurs numéros, et ma foi, au bout d'une huitaine, je retrouvais mes 2 déflecteurs sur la P de l'équipe Pouplin - l'Hermitte. Je ne dis rien, je procédais illico au démontage de mes glaces, supports y compris et j'accrochais les leurs avec un fil de fer bien en vue sur la cabine de leur P, au volant de réglage de vapeur du moteur du stocker, sans commentaires. Quelques temps plus tard, nous nous trouvâmes avec l'équipe Pouplin au réfectoire de Chalons sur Marne, pas à la même table car c'était l'un et l'autre 2 ours mal léchés. Bien accouplés, avec Roger nous parlions à haute voix en disant que nous avions une très bonne pompe ACFI fonctionnant à la perfection mais que nous avions fait souder les boulons de fixation de peur que quelqu'un fit un échange à notre insu. Les 2 autres, sinistres oiseaux, ne pipèrent pas le nez dans leurs auges, n'ayant sans doute pas très bonne conscience ( en ce qui concerne le vieux l'Hermitte, le chauffeur à Pouplin, mon voleur de glaces, j'en reparlerais plus tard alors que mécanicien, je remplaçais Pouplin. C'est une autre histoire). Parlons un peu, pour changer, des marchands d'huile et de combustibles, cela vaut aussi son pesant d'or. Avec Rogeret la 238, nous étions déficitaires et nous faisions rappeler à l'ordre à ce sujet régulièrement, dépensant trop d'huile. Mais nous n'en avions cure, la 238 ne connaissait pas l'huile récupérée que certains mécaniciens faisaient ingurgiter à leur machine par l'intermédiaire des boites à lettres qui graissaient le petit mouvement et qui de temps en temps avaient des tuyaux bouchés par la "merde" et en prime une bague qui limaillait (il y en avait qui en trainait des bidons pleins à l'arrière du tender, d'huile récupérée). Il y avait aussi les économies de combustibles. Nous étions dans la moyenne qui était de 13 à 14 kg/km. Certains étaient dénommés les marchands de houille et pour cause. L'équipe sanglante qui pulvérisait tous les records avec la P 143 : mécanicien André Grangé, chauffeur Jacques Bonnin (mon frère). De tout temps, la consommation de houille était proportionnelle à la consommation d'eau et mathématiquement la P 143 aurait dé aller à Sarrebourg sans prendre d'eau à Bar le Duc (tender 34 m3), ce qui était impossible avec les charges offertes et la morphologie d'une machine normale. A les entendre, c'était la meilleure machine du dépot et je crois aussi de tous les petits P de France et de Navarre. Mais ce qu'ils oubliaient de dire, c'est qu'avec le bon combustible montait un autre bon lui émis par la Banque de France ; le billet pouvait aussi se trouver, pure coïncidence, dans un disque à pétrole, j'en passe et des meilleures. Roger et moi avons toujours réprouvé ces pratiques que je qualifierais de malhonnêtes en ce sens qu'elles pénalisaient les équipes qui ne traficotaient pas sur la prime de combustible et par conséquent sur la fiche de paye et plus grave pour le calcul de la retraite. Un autre exemple : un soir de Noël, aprés avoir chargé et envoyé le bon de combustible, Roger, par gentillesse et parce que c'était Noël, mis un billet en arrivant en haut du toboggan au destinataire. Celui-ci le remercia et lui demanda s'il voulait de la houille en plus. Il se fit aubader de belle façon par Roger. J'étais syndiqué à la CGT, Roger était lui à la FGAAC. Il arrivait que les mouvements soient unitaires, d'autres fois chacun faisait selon les directives de son organisation syndicale. Cet état de chose n'a jamais posé de problèmes en ce qui concerne notre travail et notre bonne entente à tous les deux. Lors d'une tournée de Blainville, retour au 4008, il y avait grève à partir de 0.00 pour une durée de 48h (grève unitaire). Nous décidâmes d'un commun accord de ne pas laisser le 4008 dans la nature et de l'assurer jusqu'à son terminus. Nous serions grévistes le soir et à la maison, car ce n'était pas toujours très agréable de faire des grèves de plusieurs jours coincés dans des dépots étrangers. Il faut savoir qu'il fallait aprés une grève reprendre son service là où on l'avait arrêté. A Toul, en sortant de la ligne 27, ralentissement et rappel de ralentissement. Nous rentrons dans les garages. Bizarre. A l'arrêt, le chef de sécurité nous avise : "Ordre du PR de Nancy de laisser le 4008 à Toul et HLP Bar le Duc pour assurer le 1118, un express à découvert au départ de Bar le Duc. Vançon lui répondit : "dis au régulateur de Nancy que c'est le 4008 Paris ou rien du tout". Ce même régulateur dit à Vançon : "Tu te débrouilleras à Bar le Duc avec le régulateur de Chalons sur Marne". Nous voilà donc partis HLP Bar le Duc. A la rentrée au dépot, Roger s'annonce, demande au chef de feuille de nuit ce que l'on fait : "1118 Paris" ; Gabriel range tout et l'on s'en va, remettant lui-même les clés de la 238 au chef de feuille en disant "la machine est à vous mais pas l'équipe". Nous revinmes en voiture de notre propre chef par le fameux 1118 fait par je ne sais qui, puis revinmes chercher la 238 3 jours aprés en revenant en voiture à Bar le Duc. J'aimais particulièrement la tournée de Blainville. Nous arrivions vers les 4h et l'été, aprés toilette et casse-croûte, je m'installais dans une barque sur la Meurthe qui coulait à coté du dépot et je taquinnais les poissons. Ayant toujours été un piètre pécheur, il m'arrivait de m'endormir dans le fond du bateau ; c'était agréable (bien heureux que personne n'ait jamais eut l'idée de détacher le bateau). Et la mirabelle ! Un nectar ! Nous allions la chercher chez le cordonnier, eau de vie odorante. Dans les vestiaires à Noisy, rien qu'au parfun, on savait que l'équipe du 4008 était rentrée ; même le tender sentait la gnole. Cette tournée de Blainville s'est toujours allongée au changement de roulement, toujours plus, toujours plus loin. A une époque, au service d'hiver, un stratège des roulements avait eu une idée lumineuse : aprés le 4017, HLP Mont sur Meurthe -km 381- pour revenir tender en avant avac le train ouvrier avec deserte de tous les postes et chantiers du triage de Blainville, et pour faire bonne mesure, il nous avit supprimé la visite de la machine à la rentrée. C'était encore du temps de grignoter, sachant très bien que l'équipe ne laisse à personne le soin de la visite, car le soor, c'est nous qui repartions au le 4008. Et tout cela était pour nos pieds. C'était vraiment très agréable de faire 6 km tender avant en plein hiver. Aprés avoir rouspété très fort, cela fut retiré. A la tournée du 4029 / 4028 Noisy - Mézières Charleville - km 239- avec découché au dépot de Mohon, puis plus tard au dépot de Lumes, nous repartions le soir du petit triage de Vrigne Meuse. L'aller et le retour comportaient une voiture poste que l'on allait chercher à Paris Est. Au retour de Vrigne Meuse, elle nous était amenée par une navette de Charleville Gare, car ensuite nous empruntions le raccordement direct pour Reims évitant le passage en gare voyageurs de Charleville. Avec Roger à Lumes, en arrivant l'été au petit matin et dans la brume montant de la Meuse, dans la rosée des prés, nous allions tremper le fil et chaque fois une petite friture agrémentait le menu de midi, avant d'aller faire un somme réparateur pour repartir le soir. A Lumes, c'était le calme absolu de la nature, ce qui était rare. Le 4029 était un train toujours complet en longueur et en charge. Au triage de réception en gare de Mézières - Charleville, la voiture-poste était coupée et refoulée sur le quai PTT. En principe, nous refoulions sur voie libre, jusqu'au jour qui n'était pas comme les autres ou un wagon de draisine était resté dans le croisement et c'est à vive allure que nous l'envoy‰mes en bout de voie de débord directement sur le heurtoir, ce qui se traduisit par une avalanche de cageots les uns sur les autres. Bien entendu, le destinataire refusa le chargement. Comme il se doit, une enquête eut lieu pour établir les responsabilités, et une partie de celles-ci fut retenue contre nous, pour ne pas nous être fait informer du thème de la manoeuvre. Le délit d'habitude, et ce jour-là n'était pas comme d'habitude ; sans vouloir faire de jeu de mots, c'était le pépin. Le sacro-saint réglement prévoit qu'aucune manoeuvre ne doit être éxécutée sans que le mécanicien ne se soit renseigné ou à défaut informé par l'agent chargé de la dite manoeuvre (et vlan ! dans les dents). Cette petite aventure pouvait aller chercher de 1/12ème à 1/24ème de nos gratifications de fin d'année. Ce fut M. Rosier, sous-chef de dépot et chef de feuille de jour qui fut chargé de l'enquête pour la traction, et par-là même de notre défense. Notre bonne étoile veillait sur nous ainsi que sur nos collègues de l'exploitation car un nouveau chef de gare entrait en fonction à Charleville. IL amnistia tout le monde (Ouf ! Le boulet n'était pas passé loin !). L'odysée du 44 105 Juvisy - Bar le Duc - Lérouville. Départ de Juvisy au 44 105. Mise en tête aprés le HLP de Noisy. Départ au timbre. Le train est lourd : des wagons à étage chargés de voitures. A peine démarré, en passant en gare d'Athis Mons, la pression descent lentement mais surement... Bizarre. Le feu est beau. Que se passe-t-il donc ? Et, surprise, dans la première courbe, la porte de boite à fumée s'ouvre en grand. Il ne me reste plus qu'à faire de la gymnastique sur le tablier, passer le long des écrans pare-fumée et refermer la porte sans marquer d'arrêt et en faisant attention aux ficelles. Il y a des choses que l'on ne doit jamais oublier. Nous croyions, Roger et moi, que l'autre avait vérifié la fermeture de la porte, alors que rien n'avait été vu. Ce fut une bonne leçon pour l'avenir. Certaines tournées, tout tourne rond au départ et d'un seul coup, l'imprévu. En principe, au 44 105, nous étions direct Bar le Duc avec arrêt facultatif à Chateau Thierry pour prise d'eau. Ce jour-là, tout va bien, les robinets de jauge du tender nous indiquent que nous pouvons filer sans arrêt à Bar le Duc. Il ne faut pas perdre de vue qu'à la traction vapeur, relancer à 100 km/H un train de messageries de 800t et de 100 essieux coutait très cher en combustible. Passé Chalons sur Marne, la 238 a du mal aujourd'hui à tenir le timbre. Mauvais. Je n'aime pas du tout cela. J'arrête le stocker et je donne un coup d'oeil à mon feu en le regardant à travers un écran rouge : il commence à se pourrir. La houille n'est pas fameuse, beaucoup d'ardoises. Si nous avions eu une R, il y a belle lurette que nous aurions planté un chou. Une bonne séance de grilles à secousses, elle remonte un peu. Mais cela ne dure pas. A Loisy sur Marne, avant Vitry le François, il faut employer les grands moyens : une coulade. Et je commence l'opération, qui doit être très rapide, de basculer le feu sans arrêt (formellement interdit par le réglement). En quelques minutes, ce sera chose faite, mais manque de chance, un morceau de brique réfractaire de la voéte coince le plan de grille avant droit et m'empêche de la remettre en position normale de fermeture. Il faut arrêter à Vitry le François, ce que Roger fait à hauteur de la grue hydraulique car avec cet arrêt non prévu, nous devons maintenant nous compléter en eau pour ne pas risquer la panne sèche avant Bar le Duc, avec un démarrage et un profil défavorable pour la reprise de la vitesse. Pas de fosse ; il nous faut au moins 10 mn pour décoincer le morceau de brique dans un nuage de cendres chaudes et en sueur. Qui dit arrêt non prévu et perte de temps dit paperasse. Roger nous tira de là sans qu'il nous en coéte pécunièrement avec seulement un bl‰me du chef de service sans inscription au dossier. Au retour, quand nous remorquions le 44 105 jusqu'à Lérouville où nous prenions notre repos, le soir nous repartions avec un marchandises pour Vaires et nous avions la pousse non attelée d'une 141 TB de Lérouville jusqu'à Loxéville. Un de mes beaux-frères avait une résidence secondaire à Tanqueux, hameau situé entre La Ferté sous Jouarre et le village de Chamigny. En revenant de Chalons avec un PV ( marchandises Petite Vitesse ), et connaissant notre heure de passage, ayant nous même pris de l'avance et circulant à vitesse réduite, il nous descendit d'un pont sous lequel nous passions au bout d'une ficelle un paquet contenant des gauffres et une bouteille de vin. A l'époque actuelle, on connait les magouilles vulgarisées par les journaux, les médias, la télé, mais il y a plus de 40 ans, elles existaient déjà. Pour exemple, voici une magouille vraie, mais dont personne n'a parlé : Ce jour-là, le 4017 était complet. En vérifiant l'attelage entre le tender et le train, je regarde l'étiquette : des oranges provenance Espagne destination Francfort sur le Main (Allemagne). Comme il n'y avait plus d'agent d'accompagnement, c'était le mécanicien qui avait la responsabilité des écritures. 4 jours aprés, faisant la même tournée 2 fois de suite dans le roulement, au 4008 de retour sur Paris, nous avons retrouvé notre train d'oranges revenant de Francfort et les mêmes écritures, des mandataires avaient dé s'en mettre plein les poches. Chapitre V AUTORISE AUX FONCTIONS DE MECRU LE 1er DECEMBRE 1953. J'avais été autorisé aux fonctions de chauffeur de route en 1945 et en 1947 je passais avec succés l'examen de mécanicien. Pourquoi ce décalage, alors que j'aurais dé être promu mécanicien plus tôt, à 26 ans ? C'est à la suite d'un accident très grave survenu au raccordement de Port d'Atelier avec une machine HLP conduite par un jeune mécanicien de mon âge, ayant franchi un carré fermé par suite d'un freinage tardif et de l'enrayage de la 141 R qu'il montait. Le discrédit fut jeté sur les jeunes par les chefs d'arrondissements, qui étaient responsables des nominations. Je relaterai brièvement cette catastrophe : il était exactement 22.11, le train ED Dijon - Metz s'apprétait à entrer en gare de Port d'Atelier. Il descendait le palier situé entre Faverney et Port d'Atelier et abordait la pointe de l'embranchement des voies qui relient Aillevillers - Port d'Atelier à la grande ligne 4 de Paris Est à B‰le. A ce moment arrivait sur cet embranchement venat de Vesoul et se dirigeant sur Aillevillers, Epinal et Blainville une machine HLP, la 141 R 811, qui regagnait la gare de Blainville et que montait le mécanicien Schaaf et l'élève mécanicien Faivre, tous les 2 du dépot de Belfort. La machine tamponneuse prenait en écharpe la machine du train ED, provoquant la catastrophe. Le train ED était remorqué par une machine du dépot de Nancy, la 231 B 8, montée par le mécanicien Derhé de Nancy et le chauffeur Bernard. Le convoi avait été signalé au poste d'aiguillage précédent à l'heure exacte de son horaire. Il roulait à allure normale : 70 km/h. Bilan : 40 morts et une centaine de blessés. Je quitte donc la 238. C'était un avancement en grade mais un net recul au point de vue rémunération. Mon traitement de base certe était en augmentation, mais d'autres parts je subissais une forte perte sur mes primes de traction et la suppression temporaire de mes indemnités de déplacement, me retrouvant comme chef mais aux manoeuvres de gare où à faire le dépot ou même graisseur. C'était la dure loi de la vapeur, le passage obligé. C'était une chose unique en son genre à la traction : on accédait à un grade supérieur et polyvalent en plus, car une période intermédiaire plus ou moins longue permettait au chef de feuille de nous employer comme chauffeur ou mécanicien avec un salaire inférieur à un chauffeur de route. A noter par exemple qu'un chauffeur de 241 A à La Villette gagnait plus qu'un mécanicien de banlieue et pour la retraite de même. Pas mal d'anciens préférèrent rester chauffeurs chauffeurs aux vitesses pour cette raison. Dès ma nomination, je fus classé avec une machine de manoeuvre titulaire, ce qui était très rare, la 040 TX 35, et comme chauffeur Leclerc dit "Alfred". Notice 040TX. Locomotive mise en construction par l'administration allemande en 1944 dans l'industrie française, 67 construites de 1944 à 1947. Elles ne figurèrent jamais aux effectifs de la DR. Les 2 dernières furent réformées en 1971, la TX 25 à Reims et la TX 28 à Chaumont. De construction simplifiée, avec absence de métaux non ferreux, sauf pour le régulage des coussinets. Bonnes locomotives de manoeuvres, simples, robustes, économiques d'entretien, faciles à conduire, bonnes gazeuses même avec du combustible de mauvaise qualité. Le petit défaut était les ennuis avec les injecteurs aspirants. Certaines furent munies d'injecteurs en charge. Particularité: la soute à eau entre les longerons sous le corps cylindrique. Soute à combustible à l'arrière de la cabine, frein à main à contre-poids. Soupapes de sécurité à levier et contre-poids, graisseur mécanique dans la cabine coté gauche, échappement fixe, régulateur à soupapes dans le dôme, simple expansion, surchauffe, distribution Walshaert, distributeurs cylindriques Nicolaï, indicateur de vitesse limité à 45 km/h. Sur l'Est : 1945: 14 ; 1951: 20 ; 1957: 36 ; 1966: 11 ; 1968: 4 ; 1970 : 2. Surface de grille : 1,84 m2 Surface de chauffe : -foyer : 8,80 m2 -tubes : 79,30 m2 -totale : 88,10 m2 Surface de surchauffe : 31 m2 Tubulures: -gros tubes : 22 -petits tubes : 113 Timbres: 12 Hpz Diamètre des roues : 1,10 m Diamètre des cylindres : 0,520 m Course des pistons : 0,550 m Masse: -à vide : 42,5 t -en charge : 57,1 t Dans ce poste intermédiaire, l'élève était la bonne à tout faire du dépot. Il était aussi, aprés le séjour obligé aux manoeuvres, tout désigné pour assurer s'il était autorisé aux vitesses les remplacements aux grandes roues et certains vieux mécaniciens vicieux et retords ayant une bielle ou une roue douteuse n'hésitaient pas à prendre un jour ou deux de congés ou repos en retard pour que la gamelle retombe sur le dos de l'élève et de brailler à leur retour au chef de feuille que leur machine était HS (Hors Service). Quelle hypocrisie ! Le patron et les chefs mécaniciens de tout celà ne voulaient rien entendre, connaissant la musique : un vieux mécanicien était intouchable ; à l'élève de se démerder et de faire ses preuves. Un jour, un de ceux-ci voulut me faire le coup, mais en graissant, j'avais vu des traces suspectes de limaille et je le faisais constater au chauffeur titulaire, le prenant à témoin, le prévenant que la machine ferait la tournée et que je ne porterai pas la réparation au 504 (cahier où les mécaniciens portaient à la rentrée les réparations éventuelles à affectuer à l'atelier). Et ce fut le mécanicien titulaire qui se tapa une bielle grillée. Bien entendu, je fus appelé par mon chef mécanicien, Jean Parent, pour lui fournir des explications. Lui expliquant les faits, je me suis fait bien engeuler, et l'affaire en est restée là. Il n'était pas dupe, mais les vieux étaient cotés. J'écopais à une certaine période de la 141 P 87 et mis en roulement qui comportait des messageries directs et la tournée du 409 et 410. C'était une machine qui avait déraillé. Ayant eu ses longerons faussés réparés, la pauvre ne s'en était jamais bien remise et restait avec un handicap : le chauffage de la grosse tête de bielle BP droite et de la boite de roue correspondante. Que de soins, de graisse sur les congés et de descentes dans la cage à tous les arrêts car il fallait qu'elle tourne sans cela le patron vous virait purement et simplement du roulement et même de la série de machine. Et puis, il y avait son honneur en jeu. A la vapeur, on ne faisait pas dans la dentelle. Aprés cet intermède aux P, il est temps que je revienne plus prosaïquement aux manoeuvres. Ma première journée de travail comme chef fut plutôt une nuit aux ateliers de voitures qui touchaient le dépot avec en fin de période un échange de rames avec l'entretien de l'Ourcq où nous ramenions les voitures révisées et d'où nous ramenions pour les ateliers des voitures en révision ou en grand levage. Pour ce service, nous avions une 141 TB plus puissante qu'une TX. Alfred avait un penchant qui ne me plaisait pas pour le jus de la treille. Je n'ai jamais été le dernier pour faire des tours de cochon aux autres. Une nuit, un esprit malin me murmura à l'oreille un bon tour, secondé en cela par mes collègues de l'exploitation. A l'entrée des ateliers coté Paris, il y avait des mouvements de camions de la SCETA (filiale de la SNCF) et une barrière gardée de jour comme de nuit. Le gardien dormait. Je disposais sur les rails 3 pétards en quinconce devant sa guitoune, je dispersais de l'étoupe imprégnée d'huile et de pétrole (la guitoune était en briques et armature en fer, rien à craindre), j'y mettais le feu et remontais en vitesse sur la machine, démarrais en écrasant les pétards. L'autre sortait en chemise, réveillé en sursaut par les explosions et la lueur des flammes derrière les vitres. Nous n'avons pas été reccueillir ses impressions mais nous avons bien rit. Heureusement qu'il n'était pas cardiaque. Des jours, je faisais les matinées au pont 24, un des chantiers de la gare de Pantin. 6.00 à 14.00 avec la TX 35, pour la desserte exclusive des embranchements Sud qui comprenaient les Grands Moulins de Pantin, Félix Potin, les Modernes ( vins), l'Intendance (magasins de l'Armée), les Papiers de France et la Chambre de Commerce. Pour la desserte de Félix Potin, nous circulions dans la rue en forte déclivité le long de chez Bourgeois (les parfums). Nous rentrions des citernes pleines de vin et nous remontions les vides. Le vin au dépotage coulait dans des rigoles en ciment avec une couleur et un parfum peu engageant, une boue rouge‰tre qui ne donnait aucune envie d'en boire à part quelques assoiffés et poivrots notoires qui buvaient à genoux à même la rigole. Faire les embranchements n'était pas désagréable et amenait de petites compensations : casse-croéte gratuit servi au Papier de France, des bouteilles de vin aux Modernes, la pièce chez Rauscher proportionnelle au nombre de wagons rentrés ou sortis. La voie était du type tramway avec rails à gorge et par moment nous roulions autant sur la route que dans la gorge où il y avait cailloux et terre, et c'était pire l'hiver, mais nous n'avons jamais déraillé. Il est vrai que nous roulions au pas. La TX 35 était une bonne petite machine, rustique, courageuse, facile au gaz, toujours briquée comme une machine de route ; c'était d'ailleurs la seule dans ce cas aux manoeuvres. J'avais tout un arsenal de clés plates pour refaire moi-même les garnitures ou resserrer des joints. Un matin d'hiver, coup de téléphone au chef de sécurité du pont 24 : la Chambre de Commerce signale l'impossibilité d'accés des embranchements, la neige durcie rendant très aléatoire la circulation. Mais Rauscher a 2 wagons à sortir, des grumes qu'il voudrait expédier et un wagon chargé de bois en plateau à rentrer. Le chef de sécurité me demande si je veux bien y aller sans toutefois m'en donner l'ordre formel, ne voulant pas se mouiller : "C'est toi le mécanicien !". Reniflant un bon pourboire, j'accepte (car, entre paranthèses, ce que j'ai su plus tard quand j'étais délégué du personnel, c'est l'intérêt du Chef de Gare de Pantin d'assurer une desserte régulière des embranchements parce que lui, en fin d'année, ce n'était pas un casse-croéte ou un pourboire mais des étrennes bien sonnantes et trébuchantes plus que confortables qui tombaient dans son escarcelle en provenance de tous les embranchés Sud et Nord, s'ajoutant à sa prime de fin d'année). Je fais mettre devant la 35 le plat chargé de planches, un 4 pattes américain (2 bogies). Et en avant, et en arrière ! Le plat tressaute, tangue, danse la gigue mais son poids l'empêche de sortir des rails et petit à petit nous frayons notre chemin, dégageant ainsi la voie au fur et à mesure. Tout est bien qui finit bien, mais quand j'y repense, j'étais gonflé car il en aurait été tout autre si la 35 était sortie des rails. Nous avions un chef de manoeuvres, le père Sergent, qui aimait bien le pinard. Ainsi, un jour qu'il était particulièrement allumé, je le ramenais des dessertes à l'avant de la 35 et pour éviter une chute attaché à la porte de la boite à fumée avec une corde. Il nous faisait des signaux qui n'avaient rien de commun avec ceux en usage à la SNCF. Il fallait avoir du caractère pour ne pas se laisser entrainer sur la pente de la boisson. Ne buvant pas de vin en dehors des casse-croûtes, je n'étais pas bien vu de certains de mes collègues de l'exploitation qui trouvaient que j'étais fier parce que je ne voulais pas boire avec eux. Mon stage aux manoeuvres étant terminé, je fus classé comme mecanicien à la banlieue pour y former de jeunes stagiaires comme chauffeurs, c'est à dire à des débutants à qui il fallait tout apprendre de A jusqu'à Z. Ceratins venaient d'être embauchés à la SNCF, ou des ouvriers de l'atelier ou même des manoeuvres faisant le stage obligatoire et périodique ou de retour du service militaire, car dans les dépots tout le personnel sédentaire exceptés les administratifs et reconnus aptes médicalement à la visite de sécurité obligatoire elle aussi pouvait être pris à n'importe quel moment pour le remplacement d'un chauffeur, ou en période de pointe pour assurer des trains supplémentaires (vacances, Noël, trains de neige, etc...). C'était le réservoir du chef de feuille qui ne se privait pas. Le prélèvement se faisait souvent les veilles de fêtes ou le vendredi et le lundi ou mardi retour à l'atelier. Cette manière de faire n'était guère prisée mais celui qui voulait faire carrière sur les machines avait tout intérêt à accepter à de se taire. Et puis, quelques déplacements en plus à la paie n'étaient pas à dédaigner (taillables et corvéables à merci). Il y avait même certains ouvriers qui allaient pleurer dans le giron du chef de feuille pour rouler au grand désespoir des contrema"tres. Alors c'étaient des prises de becs épiques, des empoignades verbales entre la feuille et le chef d'atelier. L'un disait : "Il faut que je fasse rouler les trains" ; l'autre rétorquait " : moi, il faut que je répare ce que vous cassez !". Avec les débutants, ce n'était pas le fricot car au début du stage le mécanicien devait tout faire, le graissage, apprendre les mesures de sécurité au jeune, la préparation du feu, être vigilant pour deux. En ligne, il fallait assurer la bonne conduite du train tout en participant à la conduite du feu avec la pelle, le croc et le souffleur, faire de l'eau car le péché mignon de tout débutant est d'envoyer toujours trop de houille à l'avant du foyer et de le bourrer, ce qui se traduisait inévitablement par une chute de pression et une belle purée. Alors, il fallait employer les grands moyens : le croc pour dégager l'avant, boucher les trous dans le feu le cas échéant, recharger les flancs, piquer l'arrière ; mais toutes ces pratiques salissaient le feu. La surveillance des signaux ne devait pas se relacher pour autant, et à la banlieue les arrêts et les démarrages sont fréquents, surtout les arrêts qui doivent être rapides et ajustés. Procéder au montage d'un feu était un art, une technique. D'abord, avoir un talon propre et une grille dégagée de toutes scories, m‰chefers ou cendres que l'on évacuait par la bascule, préparer la briquette, la casser en 2 ou en 4 ou encore dans le sens de la largeur selon que l'on veuille qu'elle s'enflamme plus ou moins vite. Puis aprés avoir mis un léger filet de souffleur, allonger l'arrière sur toute la longueur de la grille, ensuite enfourner la briquette toujours en commençant par l'avant et en revenant vers l'arrière. A cette partie de la grille, on mettait la brique en deux ou toute vivante (entière). Il ne restait qu'à fermer la porte et le souffleur et laisser la briquette s'enflammer doucement (mijoter comme un bon plat). Puis au fur et à mesure charger les flancs et l'arrière. Dans les 141 TB et en principe dans les machines à foyers longs, il fallait monter un feu "en bateau" : des flancs à hauteur de la porte qui allaient en s'amenuisant vers l'avant ; en ligne, maintenir toujours un bon arrière et des fancs exempts de trous. Pour l'avant, les trépidations de la machine faisaient descendre le combustible tout seul, une pelletée en pluie de temps en temps. Quand je roulais avec les 140 C, cela m'est arrivé de voir la grille à l'avant. Dans le roulement de banlieue, une variante du dimanche comportait un AR Paris Est - La Ferté sous Jouarre, 132 km dans les marches suivantes : 3941 3938 Paris Est 14.20 18.17 Meaux 15.21 17.17 Trilport 15.31 17.09 Changis 15.41 16.59 La Ferté 15.49 16.49 A cette tournée qui était dure pour une 141 TB, je fus affublé de St Martin, le plus mauvais faisant - fonction de chauffeur qui pouvait exister au dépot de Noisy. Il aurait cassé un bocal s'il y avait eu un plus fainéant que lui à l'intérieur pour prendre sa place, une vraie couleuvre. Et je me tapais l'aller et le retour alternativement du coté gauche et du coté droit, manche en fer et manche en bois, car je préférais faire le feu moi-même pour ne pas avoir à basculer le feu à La Ferté sous Jouarre. J'eus quelques temps un vieux chauffeur qui devait être nommé sous peu mécanicien, Jean-Baptiste Gauthier dit "La Libellule" car il avait une vieille bagnole rafistolée que l'on appelait la libellule car quand elle roulait on aurait cru que des morceaux allaient s'envoler. A midi, nous faisions le 335, départ de Paris 12.00, direct Le Raincy - Villemonble 12.15 et omnibus Lagny 12.39. L'horaire était serré ; c'était lui qui était au manche en fer, faisant moitié-moitié. Il me fit un démarrage de PAris sur les chapeaux de roues et arriva au Raincy avec 30 secondes d'avance et moi, l'eau à la bague, je redressais la situation et je ne soufflais mot mais je pensais lui rendre la monnaie de la pièce. La semaine suivante, au même train, c'était moi qui étais au régulateur et je me pointais au Raincy avec 1mn d'avance. Il eut du mal à s'en remettre. Il me regarda, me sourit et me dit " : Tu sais rendre la monnaie". A une autre tournée, aprés repos HR (Hors Résidence) à Vaires, nous relevions vers les 3.00 du matin une équipe de Noisy rentrant avec une 141 TB, repiquant aprés chargement pour un HLP Meaux afin d'assurer le premier train pour PAris, le 1300, départ 4.52, omnibus Paris, arrivée à 5.31. D'un commun accord, l'équipe précédente procédait au graissage complet de manière que l'équipe de relève n'ait que la petite goutte à mettre. A la mise en tête à Meaux, un coup d'oeil à l'attelage et petit tour avec la burette. Et là, je m'aperçois qu'il n'y a plus de frein, ni goupille, ni de contre-clavette à l'accouplement moteur droit. Depuis où et depuis quand manque-t-elle ? Trop tard pour tenter quoi que ce soit, et pas question de demander la réserve : cela coûte trop cher. A chaque arrêt, je descendais pour sonder ma clavette. A Meaux, je lui avais asséné quelques bons coups de massette. C'est à Noisy que j'eus une superbe frousse. J'ai eu cette fois encore : étant dans l'entrevoie, un direct que je n'avais ni vu, ni entendu me rasa les fesses et il s'en fallut de peu que je ne me retrouve en pièces détachées. Il y avait une tournée particulièrement prisée par les agents de conduite de la banlieue de Noisy et de la Villette : celle de Coulommiers. Au gré des changements de roulements, elle allait alternativement à l'un des 2 dépots. J'aimais bien la ligne de Sézanne, surtout l'été. On ne faisait pas d'excés de vitesse, on s'arrétait partout. Presque la détente. La ville de Coulommiers était agréable, les nuits au dépot calme (la ligne était fermée la nuit). Si mes souvenirs sont bons, l'horaire était le suivant : Aller train 933 Retour train 906 Paris 18.30 Coulommiers 5.46 Noisy 18.42 (Prend des voyageurs (Omnibus) sans en laisser) Gretz 6.46/50 Emerainville 19.05 Emerainville 7.03 Gretz 19.18/21 (Direct) Tournan 19.26 Paris 7.30 Marles 19.38 La Houssaye 19.43 Mortcerf 19.50 Dammartin 19.56 Guerard 20.01 Faremoutier 20.07 Mouroux 20.14 Coulommiers 20.19 Au changement de roulement et ce pour la deuxième fois consécutive, Noisy conservait les 2 journées (933 et 906). Nous allions en voiture à Paris et à pied au dépotde la Villette où nous prenions la machine qui devait être chargée au maximum (140 km AR) car il n'y avait pas de combustible à Coulommiers. Une équipe de Noisy dé une fois être coupée à Gretz pour charger au dépot, entrainant de ce fait un retard important et une belle pagaille. C'est volontairement que le chargement avait été négligé à La Villette pour prouver que les Noisy n'étaient pas capables de faire la tournée dans de bonnes conditions, voulant récupérer les 2 journées. Des ordres venus de l'Arrondissement furent donnés à La Villette pour que le chargement soit fait au maximum pour éviter de nouveaux déboires. Ce fut alors d'un extrême à l'autre : quand l'équipe de Noisy arrivait à la machine, il était impossible d'ouvrir les portillons pour accéder dans la cabine. Il fallait faire de l'escalade pour atterrir sur une couche de houille mélangée à la briquette et il fallait un bon moment pour mettre de l'ordre dans tout cela. Mais depuis, étant membre du Comité Mixte d'Etablissement, j'avais été élu dans la foulée délégué à la sécurité. J'intervins directement auprés du Chef d'Arrondissement de l'époque, M. Masson, et l'affaire fut vite réglée. En tant que délégué à la sécurité, j'intervenais directement en cas d'accidents, qu'ils soient corporels ou matériels ou les deux à la fois, et j'eus malheureusement à intervenir dans 3 cas où il y avait mort d'homme et des orphelins. Un samedi, dans une variante d'un roulement de banlieue (car le samedi, nombre de trains de banlieue ne roulaient pas, ainsi que le dimanche où c'était encore différent des autres jours ), j'allais faire des manoeuvres à l'entretien de l'Ourcq avec une 040 TX, là où j'avais fait mes premieres armes de faisant-fonction de chauffeur. Le travail n'avait pas changé et consistait toujours à remonter les rames voyageurs du faisceau de réception et à les refouler au départ. Je me mettais en tête d'une rame et je tirais au butoir qui se trouvait dans le talus des voies principales. Il n'y avait aucun espoir de le défoncer. A proximité de ce dernier, une petite dépression. Rien ne se passe, la rame continue à pousser. Je mets directement à l'urgence, mais cela continue à pousser inexorablement la TX sur le butoir. Et comme il se doit, bien que roulant à faible vitesse, les 600 t de la rame se rient des 45 t de la TX. Le choc fut plutot brutal, la rouille et la poussière s'en donnèrent à coeur-joie pendant que la première voiture qui était un wagon-restaurant grimpait allègrement sur le tablier de la TX et en prime deuxième et troisième voitures mariées ( tampons se chevauchant). La règle générale à l'exploitation est de toujours rendre le mécanicien responsable. Le chef d'entretien arrive rapidement sur les lieux, ne fait pas de dérogations en m'accusant verbalement devant témoins que j'avais serré trop tard. Au fil des années, mon caractère s'était affirmé et je n'étais pas de nature à me laisser faire. Et je lui faisais constater en le tirant par le bras, chose qu'il n'avait pas l'air d'apprécier devant son personnel, que seule la première voiture était munie (que le frein à air comprimé était relié à la machine) et que les 14 autres voitures n'étaient pas accouplées pneumatiquement et que, ma foi, son service ait l'extrême obligeance de prendre ses responsabilités en ce qui concerne les dégats et les retards, le réglement des manoeuvres ne prévoyant pas d'essai de frein de quelque sorte soit-il. Je l'avisais que par-dessus le marché, outre mon rapport normal de mécanicien relatant les faits sur mon bulletin de traction, en tant que délégué à la sécurité, j'établissais à son encontre un rapport de sécurité en 4 exemplaires (dépot, arrondissement, délégué régional à la sécurité, et l'intéressé). Il n'y a pas que les autres pour faire des bêtises, mais il faut savoir les reconnaitre et en assumer toutes les retombées, administratives et pécunières le cas échéant. J'eus l'honneur, si l'on peut dire, de commencer la destruction du parc à combustible de Verneuil l'Etang, par ma faute et mon inexpérience dans la manoeuvre de tournage des 140 C. Nous assurionsla remorque d'un chiffonnier (marchandises omnibus qui manoeuvre dans toutes les gares de son parcours) de Noisy Triage à Verneuil l'Etang via Nogent Le Perreux, Le Plant Champigny, Champigny et la ligne V (Paris Bastille à Verneuil l'Etang), le 23971. C'était le seul train y circulant dans le sens impair et la semaine seulement, la ligne ayant été fermée à tout trafic voyageurs sur la section restant en service de Boissy St Léger à Brie Comte Robert le 18 mai 1953 aprés un sursis de 10 ans dé aux hostilités. Ma première machine de route titulaire, la 140 C 45, figure sur le livre sorti aux Editions du Cabri en gare de Coubert - Soignolles en mai 1960 et il semblerait que le chauffeur soit Lamorlette. Donc, à l'arrivée à Verneuil l'Etang, nous passons la machine à la plaque tournante car elle repatait aussitôt avec un marchandises en provenance de Longueville auquel on ajoutait les éléments de 23971 pour retour à Vaires Triage. La plaque était très juste pour une 140 C et son tender et il fallait la placer au quart de poil, sans cela, impossible de la virer à la main. La machine en place, cela tourne, mais à mi-course, une roue du tender se coince dans une pièce de bois. Impossible de bouger, ni en avant, ni en arrière. Cela arivait de temps en temps ; je l'ai su plus tard, mais il fallait que cela m'arrive à moi. La seule solution était de prendre un cric, de le placer sous un rayon de roue et de la faire avancer de quelques centimètres, mais celà, je l'ignorais. Un seul, dans le cas présent, aurait pu me le dire s'il avait été un tantinet sociable : le mécanicien Canton, qui faisait les manoeuvres et la réserve en gare et qui m'observait d'un air narquois, trop heureux de se délecter des difficultés d'un élève mécanicien. Il était d'ailleurs peu estimé de ses collègues de travail. Je remontais sur la C pour essayer de la déplacer au régulateur, mais malgré mes précautions et les purgeurs ouverts, la C bougea. Elle sauta même en avant, choisissant la liberté en sortant de la plaque pour aller s'enterrer jusqu'à la première roue couplée dans le parc à combustible. La cause était entendue : il n'y avait plus qu'à attendre la sentence. Une connerie pour la journée, cela suffisait et l'essentiel dans l'immédiat était que l'autre train parte à l'heure. Une 141 TB qui sommeillait fut sortie de sa létargie sans demander l'avis de personne, car téléphoner m'aurais fait perdre un temps précieux, et nous montâmes un bon feu pour la remorque du marchandises qui démarra à l'heure de Verneuil. Dans mon rapport de mécanicien au bulletin de traction, j'écrivais la stricte vérité et la réalité des faits et je m'en tirais avec une diminution sur prime minime pour marquer le coup et pour le déplacement à Verneuil de la grue de 50 t de Noisy pour tirer la 140 C de son piège et la remettre sur son élément naturel, les rails. Malgré cet incident, quelques mois plus tard, j'étais nommé mécanicien sur place. Idée lumineuse mais malheureuse. J'eus l'occasion, mes collègues chauffeurs et moi, de tester et d'expérimenter, à grand renfort de sueur, quelques idées farfelues de nos technocrates, tout celà au nom des économies de combustible. Pour exemple, une 141 TB dont la voûte avait été raccourcie alors que tout vaporiste digne de ce nom sait que cette dernière a 2 fonctions : protéger la plaque tubulaire et constituer une réserve de chaleur. Des " bringues " mémorables et des retards de trains couronnèrent ces essais auxquels aucune suite ne fut donnée. Notice 141 TB. Locomotives typiquement Est. Prototypes livrés à la Compagnie de l'Est par les ateliers d'Epernay en 1911 sur un marché du 9 mai 1910. 4401 et 4402. Série II, numérotées de 4403 à 4512 livrées de 1913 à 1917. Au total 112 locomotives de 4401 à 4512 série II S. Au 1er janvier 1938, il restait 110 locos (4411 et 4413 ayant disparues) Locomotive tender pour service de banlieue à simple expansion, surchauffeur Schmitt à 21 éléments, foyer Belpaire, chaudière type Est, régulateur à tiroir horizontal, échappements à valves puis à trèfles, 2 injecteurs universels, frein Westinghouse, robinet n¡ 4, VL 90 km/h. Peut circuler dans les 2 sens. Très bonnes locomotives, faible masse à l'essieu (16 t). Les 141 TB de Lérouville assuraient les renforts en queue aux trains RO sur la rampe de Loxéville. Très appréciées des roulants. Au 1er janvier 1957, 102 encore en service ; au 1er janvier 1962, il en restait 74. En 1962, aprés l'électrification de Paris-Est, elles remplacèrent les 131 TB sur la ligne V. Toutes équipées en réversibilité, elles remorquaient 440 t contre 330 t aux 131 TB. 1er Janvier 1966 : 31 en service. 31 Juillet 1968 : 26 en service. 13 Décembre 1969 : fin de la vapeur sur la ligne V et réforme de 22 machines. 5 sont louées aux CFS à Provins jusqu'en 1971 : les 141 TB 407, 447, 455, 457 et 460. La 407 est conservée par l'AJECTA tandis que la 424 est à Mulhouse. Surface de grille 2,42m2 Foyer 11,90 ou 13,30m2 Surface de chauffe Tubes 177,10m2 Totale 129 ou 130,40 m2 Schmitt 36,50 m2 Surface de surchauffe DM3 Mestre 33,70 m2 DM4 Schmitt 45,30 m2 Tubulures Gros tubes 21 de 125 x 133 Petits tubes 137 de 44 x 49 Timbre 14 hpz ou 16 hpz Diamètre des roues motrices 1,580 m Diamètre des roues porteuses 0, 920 m Diamètre des cylindres 0,550 m Course des pistons 0,660 m Masse à vide 71,7 t Masse en charge 92,1 t Masse d'adhérence 60 t Capacité des soutes à eau 77,5 m3 Capacité de la soute à charbon 3,5 t Puissance 1150 à 1250 ch Effort de traction 17,7 et 18,6 t Avant d'être nommé mécanicien, je fus classé quelques temps avec un ancien de Longueville, Marcel Fontaine et la 141 P 60. Un autre essai avait été fait sur cette machine en réduisant les espaces du treillis des grilles à flammèches : les trous se bouchaient rapidement, plus de tirage et la pression baissait à la vitesse Grand V. Nous avions à l'inventaire d'outillage (il vaut mieux en rire qu'en pleurer) un balai-brosse à rallonge démontable s'il vous plait. Il fallait alors ouvrir la porte de la boite à fumée pour nettoyer les grilles et on repartait. Nous avions quelque génie à la traction. Mécanicien à part entière et à mon compte. Dès ma nomination de mécanicien, j'allais aussitôt dans le roulement des 141 P. Nous avions 2 roulements 130 au tableau de classement mensuel des équipes. J'avais ma doublure, étant devenu délégué des agents de conduite au premier degré auprés du chef d'arrondissement de Paris Est avec mon collègue René Dumont de Chalindrey, mécanicien à ce dépot. Du fait de mes fonctions syndicales, j'étais remplacé le cas échéant et surtout en période d'examens auxquels j'assistais obligatoirement et statutairement qui concernaient les candidats aux grades de mécanicien vapeur, conducteur électricien et conducteur d'autorail. L'examen consistait, aprés avoir satisfait à un examen écrit sur un sujet traitant de la sécurité, qui était noté sur plusieurs critères (présentation, écriture, orthographe, clarté de l'exposé et véracité de ce dernier quant aux mesures à prendre dans le sujet à traiter), de répondre à toutes les questions posées et concernant la sécurité dans le sens le plus large et sans hésitation sur la circulation des trains, leur composition, leur freinage, la signalisation (mécanique, block automatique avec ou sans circuit de voie, les cantonnements par sémaphores, par carrés, par disques, téléphoniques) et tous les incidents. L'interrogation durait environ une bonne heure, faite par le chef d'arrondissement en personne (MM. Masson, Vicaire, Papot et Sadron). La technique était faite en général par un inspecteur traction (M. Gévaudan). Nous inversions avec Dumont, un jour à la réglementation, l'autre à la technique. Les examens pouvaient durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. De ce fait, j'étais à la réglementation et à la technique et jusqu'au cou. A ce sujet, je ne craignais personne. Il arrivait que dans des cas de candidats litigieux, avant de se prononcer définitivement, le chef d'arrondissement nous demandait notre avis en commentant les réponses faites par un candidat. Souvent, notre parole pesait dans le bon sens et cela, le candidat ne le savait pas. Il était alors appelé pour entendre les mots : "Vous êtes reçu !", bien entendu sous réserve de l'examen fait en ligne en principe par un chef mécanicien d'un dépot autre que celui du candidat. Je n'ai pas à ma connaissance de cas où un candidat fut recalé à l'examen technique en ligne. A ce sujet, nous pouvons dire et avec fierté que mon camarade Dumont et moi avons donné des coups de pouce en discutant avec Monsieur le Chef d'Arrondissement. Je ne citerai aucun nom et, ma foi, aucun de ceux-ci ne nous ont déçu par leur comportement professionnel en ce qui concerne la sécurité au cours de leur carrière, car nous prenions quand même de grosses responsabilités tous, patrons et délégués. Conduire des trains et êtres responsables de vies humaines, ce n'est pas rien. Il ne fallait pas s'engager à la légère. François Périou, dit "le Breton", mon premier chauffeur. Originaire de Bretagne et fier de l'être, bon camarade, bon compagnon, sérieux, consciencieux, sur qui je pouvais compter, il avait eu précédemment un accident grave qui aurait pu lui couter la vie : dans une cage BP d'une 141 P, dans les circonstances suivantes ( je tairai volontairement le nom du mécanicien responsable) : Il était dans les us et coutumes à l'arrivée à Paris Est aux voyageurs ou à Noisy Triage aux messageries de passer la machine au démarrage et de descendre dans la cage BP pour t‰ter grosses têtes de bielles BP, patins et axes de petites têtes, pour détecter un éventuel chauffage ou son début, la rentrée au dépot se faisant parfois 1h aprés l'arrivée. Ce jour-là, alors que Périou était juché dans les villebrequins (ou contre-poids des BP), son mécanicien reçu l'ordre de l'agent de l'exploitation d'appuyer un peu pour couper la rame, une partie allant à Paris Pajol. Ne se rappelant pas vraisemblablement que son compagnon était à l'intérieur du mouvement BP, il mit la marche à l'arrière, tira sur le régulateur HP de telle façon que brutalement la machine patina sur place. Je vous laisse deviner le soin de penser de ce qui advint de Périou et danbs quel état il fut retiré de la cage BP. Il fut arrêté plusieurs mois avec beaucoup de chance. Il était très croyant et l'on dit toujours que les bretons ont la tête dure. Depuis ce jour, il porte un corset. Nous avions tous les deux le verbe haut et nous faisions ceux qui se disputaient, ce qui provoquait un attroupement autour de la machine des collègues de l'exploitation. Quand nous jugions le nombre de spectateurs suffisant, nous nous présentions ensemble, tout hilares, au portillon, pour leur demander s'ils avaient besoins de quelque chose ou d'un renseignement. Un matin au 4047, messageries omnibus, en arrivant à Verneuil l'Etang, nous fîmes courir le bruit que nous avions bousculé un sanglier dans la tranchée aprés la gare d'Ozouer le Voulgis. Le soir, au train du retour, le 4044, nous sûmes que les gars de la gare et de la voie avaient cherché et battu les bois alantour pour trouver ce fameux sanglier sans succés. C'était un canular de notre part. A ce même 4047, alors que nous manoeuvrions sous halle à Nogent sur Seine, un jeune attaché d'exploitation me demanda l'autorisation de monter dans la cabine. Bien entendu, j'acceptais. Il me posa différentes questions auxquelles je répondis de bonne grace, mais quand il fut question du volant de changement de marche, je ne pus résister au désir de lui dire que cela servait à prendre les virages, ce qu'il prit pour l'immédiat comme argent comptant. Plusieurs mois aprés, à cette même gare et au 4044, je vis s'approcher un jeune fromage blanc ( chef de sécurité qui portait une housse blanche sur sa casquette d'uniforme) avec beaucoup d'étoiles sur sa casquette pour me donner le bulletin de composition et me demander de faire le frein. Il me regarda puis me dit : "Il me semble que je vous connais". Et d'un seul coup, il se rappelle " : Vous m'avez bien eu avec votre changement de marche pour prendre les virages" ; et de partir de rire tous les deux. Avec François, nous faisions moitié-moitié, surtout du fait qu'il avait satisfait récemment à l'examen de mécanicien auquel j'avais assité comme délégué. J'ai eu la satisfaction et un grand plaisir de former plusieurs de mes chauffeurs qui ont passé les examens de mécanicien avec succés. Un dimanche matin, c'était François le chef, moi je faisais l'esclave, nous assurions le 4010, messageries Chalons sur Marne - Noisy Triage. Nous nous étions chipotés la veille, je ne me rappelle pas pour quelle raison, mais mon Périou m'avait dit textuellement ces mots " : M. Bonnin Gabriel, le mécanicien et le délégué qui a une grande gueule et sait tout". Je m'étais abstenu de répondre mais mis cela en réserve dans ma poche et un mouchoir dessus : cela peut toujours être resservi, même froid. Le 4010 avait un arrêt facultatif à Meaux, c'est à dire que nous devions réduire notre vitesse pour s'arrêter le cas échéant pour prendre un véhicule et s'il n'y avait rien, le chef de sécurité nous présentait le guidon de départ au vert. Un peu avant Meaux, passé le 2ème pont aprés la gare de Trilport, mon François repousse le régulateur : 6 hpz dans les boites à vapeur. Le 4010 dévale sur Meaux. Avant la courbe à gauche précédant l'entrée en gare, je le regardais du coin de l'oeil, mine de rien. Arrêtera, arrêtera pas ? Je ne vois pas sa main sur la poignée du H7 (robinet de frein), donc aucune intention de serrage pour ralentir ou marquer l'arrêt. Et nous avalons les quais à 100 km/h. Au bout de l'évitement de Villenoy, je traversais la cabine et demandais " : Est ce que M. le Mécanicien Périou a bien consulté sa marche et sa montre ?". Un grognement inaudible me répondit, il releva ses lunettes, regarda sa marche avec un juron pendant que je regagnais prudemment mon coin. Il venait de s'apercevoir qu'il n'avait pas respecté l'arrêt facultatif de Meaux et que par-dessus le marché il circulait avec 7mn d'avance (tolérance : 3 mn). Il devint écarlate et je crus qu'il allait me tomber dessus mais il reprit vite son calme et me dit " : Tu es une belle peau de vache. Tu aurais pu me le dire. Et s'il y avait eu un wagon à prendre ?"."De toute manière, lui répondis-je, c'est toi qui payeras la facture pour toi et avec ma grande gueule. Un samedi soir, au 4049, messageries Noisy - Troyes - Chaumont, au passage à Rosny sous Bois, tous les bretons du secteur étaient munis de notre heure de passage sur le pont pour ovationner et voir passer leur digne représentant dans une auréole de lumière, de fumée et de vapeur, étant donné qu'il était l'organisateur de la fête mais que malheureusement les impératifs du roulement ne lui avaient pas permis d'être avec eux. J'eus la mauvaise idée, et ce sans méchanceté ni préméditation car je n'ai rien contre les bretons (Périou était têtu comme une mule) de lui dire que tout cela allait se treminer en orgie et en beuverie. Il me fit la gueule pendant toute la tournée. Mon malin plaisir était de le brancher sur les prétendues légendes des feux follets de la lande bretonne, lui disant que tout cela était de la foutaise. Il me foudroyait du regard et me disait " : Si tu étais seul dans la lande la nuit avec les feux follets, tu ferais dans ta culotte de trouille". Je fis équipe aussi avec René Doffin, un attaché, un charmant compagnon. Quand j'ai écrit ces lignes, je n'avais aucune nouvelle de lui depuis des dizaines d'années. Et puis au début d'Aout 1994, à Entrevaux avec le train touristique à vapeur du GECP, nous nous sommes retrouvés pour évoquer les souvenirs. Il est lui aussi en retraite, ayant fini sa carrière à l'arrondissement de Strasbourg comme inspecteur traction à la formation du personnel. A l'époque où il était chauffeur avec moi, nous discutions beauccoup technique et avions trouvé des combines inédites de paralysie du mouvement en cas de casse. Nous étions très libres ensemble et un jour il me demanda mon avis sur sa conduite à tenir : une grève se préparait. Il avait à l'époque des idées plutot à gauche. En la faisant, il se faisait mettre à l'index et marqué à l'encre rouge. Sa progression vers la maitrise s'arrêterait là. Je lui expliquais que moi-même, j'aurais pu essayer de devenir chef mécanicien, mais il aurait fallu que je fasse abstraction de mes convictions politiques et syndicales, autrement dit, "baisser ma culotte", ce qui était hors de question, et faire le "jaune" pour devenir chef. Personnellement, je lui conseillais de ne pas faire la grève, de faire son ascencion de carrière par la force de son travail mais de ne jamais oublier quand il serait patron les motifs qui poussent des hommes à la faire et de ne pas leur en tenir rigueur, d'essayer de les comprendre, d'être un chef humain. Je ne sais si c'était parce que j'avais des responsabilités syndicales, mais on me collait souvent des attachés comme chauffeur. Un de ceux-ci, qui est peut-être en retraite lui aussi et qui est devenu un patron et qui a collaborré au matériel avec mon frère Pierre se souvient certainement d'un épisode de son stage de chauffeur aux 141 P. Avec certains attachés, c'était un dressage complet à faire, ne connaissant absolument rien à la vapeur. Celui-ci était jeune et plein de bonne volonté. S'il lit un jour ces lignes, il se reconnaitra vite. Nous faisions le 4029, messageries Noisy Triage, direct Reims, Rethel, Amagne Lucquy et Charleville Mézières, bien entendu de nuit comme il se doit (on nous appelait les chouettes). Le roulement commençait à 6h du matin au 4405 et ensuite que des messageries de nuit pour finir 7 jours aprés à un AR de Paris Est à Chalindrey aux express 409 et 410. Aprés le départ de Reims, disque de Bazancourt fermé. Application immédiate de la marche à vue. "La marche à vue impose au mécanicien une réduction immédiate de sa vitesse compte tenu de la visibilité et de la portion de voie en vue de manière à pouvoir s'arrêter avant un obstacle, une queue de train ou des signaux qui lui seraient faits" (Si mes sources sont bonnes, la marche à vue est à présent limitée à 30 km/h maxi). Je donne donc l'ordre à mon compagnon de fermer le stocker (alimentation automatique de la grille du foyer), de charger à la pelle et amplement les flancs et l'arrière et ensuite de bien observer la voie, la courbe étant de son coté. Dès l'arrêt du stocker, avec un feu bien mené et les jets de vapeur de la table de distribution bien réglés, si l'on ne chargeait pas à la pelle, le feu était vite crevé. Il n'y avait plus rien sur la grille, aussi bizarre que celà puisse paraitre. Tous ceux qui ont pratiqué cette chauffe le savent bien. Je demandais à mon compagnon de redoubler d'attention et bientôt j'aperçois le feu vert du sémaphore Lartigue donc à voie libre. Aprés avoir marqué l'arrêt comme le prévoit le réglement (car la réglementation du disque prévoyait de nombreux cas), le chef de sécurité me dit " : c'est ma faute, je l'ai ouvert trop tard !". Tant mieux ! Des minutes à récupérer et de l'argent dans mon porte-monnaie ! Bazancourt est dans une cuvette et aussitot aprés, une rampe de 5 pendant 2km jusqu'au sémaphore de La Gentillerie. Avec 700t, il faut tirer dessus. Un coup d'oeil rapide à la devanture : l'eau, ça va ; mais la pression, pas du tout. Elle descent à une vitesse préoccupante et même alarmante. Je referme le régulateur à demi et j'ouvre la porte du foyer. Catastrophe: tout est noir là dedans, le feu est presque étouffé, un peu de rouge à l'arrière et par-ci, par-là. Et la vis sans fin qui tourne, enfournant du charbon qui s'entasse. Je réduis encore l'admission mais pas complètement car si nous nous arrêtons, il y a couverture (protection du train à l'arrière par des pétards). J'attrape la barre à secouettes, bascule entièrement l'avant dans le cendrier et j'étale avec d'infinies précautions le peu de houille qui brule et la balaye de déchets imprégnés d'huile, chiffons gras, pétrole des allumeuses, une planche de retenue de huoille y passe aussi. Les flammes se remettent à courir sur la grille et nous roulons toujours au pas, mais cela roule. Mon feu pris à l'avant, au tour de l'arrière d'être basculé dans le cendrier. Je répartis tout le charbon qui brule sur l'ensemble de la grille. Nous sommes à 10 bars, la pompe à air bat au ralenti, le turbo donne des signes de faiblesse. Nous roulons toujours au pas ; heureusement qu'elle ne patine pas. Enfin, la situation s'améliore, lentement mais surement. Mon compagnon, le pauvre, ne soufle mot. Je n'ai pas besoin de parler, il n'y a qu'à le regarder, comme dans la chanson à Piaf. Ma foi, pour la perte de temps, j'ai tout collé sur le dos du disque et de la marche à vue. Jusqu'à ce que j'écrive mes mémoires, personne ne l'a jamais su. A ce même 4029, je remplaçais Pouplin qui faisait équipe avec le vieux l'Hermitte, chauffeur chevronné (celui qui avait fait l'échange de mes glaces mobiles quand j'étais chauffeur avec la 238). Jusqu'à Amagne Lucquy, le train roule normalement malgré sa charge et sa longueur. A Amagne, en principe, nous prenions des wagons et repartions au maximum de charge. Je prenais la précaution de sabler en refoulant pour raccorder au train car le démarrage d'Amagne était sévère et bien connu des tractionnaires vaporistes : rampe de 10 pendant 24km. Essai de frein, remise du bulletin de composition (54 wagons, 108 essieux... sur le papier). Démarrage énergique comme il se doit, mais cela ne décolle pas comme de coutume. Quelques minutes de semées à Saulces Montclin, le faux-plat en gare nous fait reprendre 4 à 5km/h (à 8 km d'Amagne). A peine esquissée cette timide reprise, l'aiguille du Flamand se couche du coté gauche malgré l'ouverture en grand du régulateur HP et la marche au cran 5. Je déclenche encore la machine et au timbre, me voila à fond de course avant ; si cela continue, nous allons faire "cul". A ce stade, aucune hésitation, il faut employer les grands moyens. Je referme le régulateur HP et je passe en démarrage : suppression de marche en compound HP et BP séparées et allons-y, avec les 2 régulateurs dessus admission directe à chaque groupe. La main sur les sablières, sablant préventivement, la P se cabre comme un cheval fouetté, la cheminée est bien petite pour le volcan qui s'en échappe, les escarbilles roulent sur les toitures des wagons et se perdent dans la nuit, le stocker bien entendu tourne à une vitesse inusitée. Le vieux l'Hermitte ronchonne dans son coin " : Il y en a encore un de bloqué. Je n'ai jamais vu cela avec mon compagnon". Je lui rétorque que tant que cela roule, il n'est pas question d'arrêter, mais "sa houille", "ses économies de combustible", "sa machine" et "que va dire Pouplin". C'était comme si chaque coup d'échappement lui arrachait les tripes situées à hauteur de son porte-monnaie. Et de répéter : "Il y en a un qui bloque". Impossible de voir en arrière avec les courbes et les contre-courbes, la longueur du train et une sale petite brume. Nous montions à 10km/h, la P crachant toutes ses entrailles. Heureusement, les P étaient de bonnes bêtes, et c'était impressionnant, surtout la nuit, une petite P avec les 2 dessus, car en règle générale, cette méthode n'était employée que pour décoller les trains lourds de marchandises. Enfin, apparait dans un halo le feu vert du disque de Launois. Encore quelques kilomètres et ce sera la minute de vérité, blocage ou pas. Nous franchissons le sémaphore de Launois avec 25mn dans la vue. Petit signe amical du sémaphoriste qui n'a pas l'air surpris de notre retard. Bizarre, car sans cela, il nous aurait montré sa montre (histoire sans paroles). Passage en compound, l'aiguille du compteur se redresse et bascule rapidement à 100km/h. Le train pousse la machine et d'une belle façon, Boulzincourt et Lafrancheville sont franchies dans un bruit de tonerre. Nous rentrons quelques instant aprés dans le faisceau de réception parallèle aux quais du BV de Charleville. Arrêt réglementaire au croisement. Le chaf de sécurité s'approche et je m'attends à la question rituelle en cas de retard : "Le régulateur demande la raison de ta perte de temps entre Amagne et Launois". Mais non ! J'ai presque droit à des félicitations " : Le régulateur est bien content que tu sois arrivé (et moi donc), car il croyait que tu ne monterais pas la côte. Ton bulletin de traction était éronné. Il prend tout le retard à sa charge. En vérité, tu avais 60 wagons et 122 essieux, et Amagne aurait dé te donner une marche marchandises !". J'ai accusé le coup, mais pas apprécié cette façon de faire, et mon rapport au bulletin de traction fut fait en conséquence, sans beaucoup de conviction : "Les loups ne se mangent pas entre eux" (lire les pontes de la traction et ceux de l'exploitation, mais haro sur les 2 baudets de la P). Le vieux dans son coin ne pipait pas. "Alors, ce blocage ?". Réponse: un grognement. "Nous aurions eu bonne mine", lui dis-je,"d'arrêter en rampe, de faire la couverture et de chercher un wagon fantôme bloqué, et peut-être dans l'impossibilité de redémarrer et de dédoubler. On y serait encore". Au réfectoire à Lumes, avant le retour au 4028 que nous prenions au faisceau de Vrigne-Meuse, la poste étant amenée par une navette, je demandais à l'Hermitte de faire le mécanicien pour le retour, sachant d'avance qu'il refuserait, n'en étant pas capable. Il refusa net. Alors, je lui fis comprendre que, bien que je sois plus jeune que lui et d'une façon peu amène, que j'étais quant à moi capable de faire le travail des 2 cotés, que j'étais le responsable et qu'à l'avenir, il s'abstienne de tout commentaire en ce qui concerne la conduite de la machine et des trains. Le restant du roulement s'effectua comme sur des roulettes. Il n'était pas toujours évident pour un mécanicien de 32 ans de commander des vieux chauffeurs de 40 ou 45 ans, et il fallait s'imposer tout de suite sans cela ces vieux briscards vous faisaient tourner en bourrique. J'eus Kirch comme compagnon. Nous faisions très bon ménage. Un peu mou, il ne voulait jamais prendre le manche en fer (il devint plus tard conducteur). Lui aussi, j'étais là à l'épier à l'examen. Il était toujours à rouspétéer sur tout et contre tout. C'était le parfait "père la panique". Nous étions arrivés le matin à Chaumont au 4049 et nous devions repartir au 4050, train messageries - postes, vers les 2h du matin. Une grève de 2h était prévue à partir de 0h sur une période de 24h. Chacun faisait son arrêt de travail quand il le jugeait bon. Pour mon compte, le mouvement étant déclenché par la CGT, pas de problème. La FGAAC n'était pas partie prenante cette fois-là comme beaucoup d'autres. J'avais prévu de la faire à ma prise de service à Chaumont. Kirch, lui, ne la faisait pas, et c'était son droit le plus strict. Vers 22h, avant d'aller refaire un petit somme, je m'aperçois qu'il y avait plusieurs équipes de réserve alors que d'habitude il n'y en avait qu'une seule, ce qui laissait présager que le 4050 serait couvert si je faisais grève à ma prise de service à Chaumont. Je révisais donc ma position et je décidais de faire mon train. Kirch me regarda avec des yeux ronds, n'en revenant pas. "Tu fais le jus comme d'habitude". J'avais mijoté mon coup imparable à 90% de réussite. Bien entendu, le téléphone marcha et avant que je parte de Chaumont, on savait déjà à la feuille de Noisy que le délégué de la CGT faisait le 4050. A l'arrêt de Troyes, nous raccordons la voiture poste. Je procède à l'essai de frein et au moment du signal du départ, j'annonce au chef de sécurité que je suis gréviste pour 2h, car je savais qu'à Troyes, il n'y avait personne pour me remplacer. Stupéfaction de Kirch. Où va-t-on me garer ? Au triage, impossible : les aiguileurs sont en grève. Je suis donc garé en gare en 3 morceaux et ma grève ne commencera que la manoeuvre de garage terminée. Du fait qu'il n'est pas gréviste, pas de problème pour le gardiennage de la machine : mon compagnon Kirch l'assurera et moi je vais boire le café avec les postiers. 2h aprés, je raccorde le 4050. Le parcours de Troyes à Paris Est sera effectué sans gain de temps. Dans la tournée du 4044, messageries omnibus de Troyes à Gretz, un arrêt étaitprévu à Verneuil l'Etang où aprés le retrait ou l'adjonction de véhicules, nous avions un laps de temps que nous métions à profit pour casser une croéte en attendant le passage de l'express 44 pour lequel nous assurions la réserve. La manoeuvre était effectuée par les agents de la gare de Verneuil. Les agents de train, eux, à peine le 4044 arrêté, se précipitaient à l'annexe chez "Dallois", un des bistrots du coin, et on ne les revoyait qu'aprés le passege du 44. Ce dernier passe à l'heure, l'essai de frein n'a pas était fait et le chef de sécurité, aprés déblocage du 44, me donne le signal du départ. Je lui fais remarquer que l'essai de frein n'a pas était fait. Il lève les bras au ciel en rouspétant aprés les agents de train (ils étaient à l'époque 3 sur le 4044). Position neutre au H7, 2 coups de sifflet, chute brutale de la CG (Conduite Générale), trop rapide pour que l'essai de frein soit fait de la queue et par-dessus le marché, j'entends l'échappement de l'air venant du fourgon de tête sirué derrière la machine. Il n'y avait aucun bruit sur cette dernière, les jets de distribution de la houillle étant fermés. Je descends de la cabine en faisant observer calmement que le frein venait d'être donné par la tête de la CG. Le chef de train sort de son fourgon et me soutien que le frein a été donné par la queue par un de ses collègues. "Eh bien, alors ensemble voir ce collègue en queue ! De toute manière, je ne partirai pas sans un essai de frein correct". Et il est bien obligé de reconnaitre que le frein a été donné du fourgon par le robinet de vigie. Je n'aime pas que l'on me prenne pour un imbécile, d'autant plus que cette manière de faire peut avoir des conséquences graves pour la sécurité. Le chef de sécurité essaye d'arranger les choses à sa façon. Les minutes passent et le régulateur va demander des comptes. "Part comme cela", me dit-il, "C'est bon". Refus catégorique de ma part et j'exige un essai de frein partiel comme prévu dans le cas présent au règlement. Bilan: 20mn de perdues. Ce n'était certainement pas la première fois qu'ils agissaient de cette façon. Si celui qui avait vidangé la CG par l'avant avait su comment le frein fonctionne, il aurait eu l'intelligence de mettre sa casquette sur le robinet et d'actionner ce dernier doucement, et je n'y aurais rien vu. L'affaire D... : règlement de compte en privé. Parmi les agents de conduite -je ne peux parler d'un collègue-, il y avait un nommé D..., un abruti parmi d'autres. Je faisais équipe avec Marchand, dit "le Grand Louis", une armoire à glace. En arrivant pour me changer au vestiaire, il me dit " : Il y a le D... qui vient de t'arranger en t'accusant nominativement d'avoir fait des graffitis sur son armoire au vestiaire. Alors que je réprouvais moi-même ces méthodes de faibles, mes fonctions syndicales et mes idées politiques faisaient bien entendu que j'avais quelques ennemis, une mini-minorité. Je décidais donc quand l'occasion se présenterait de régler cette affaire, rondement et en homme. J'ai toujours réglé mes problèmes tant syndicaux que professionnels moi-même, sans intermédiaire ni sans chef. Les circonstances favorables se présentèrent à quelques jours de là, vers 22h.. Louis me dit " : Il est là, sur son diesel de manoeuvre, à la sortie". En revenant de l'huilerie, nous posons nos bidons et allons sur le diesel, chacun de notre coté. D... dû sentir que cela allait être sa fête. "Qu'a-tu raconté sur mon compte ?". Ses regards allaient de l'un à l'autre. Il était piégé et il se mit à bafouiller lamentablement. "De toute manière, lui dis-je, tu dérouilles : si tu dis que ce n'est pas vrai, Louis est un menteur, alors à lui de jouer ; si c'est vrai, c'est moi qui te chatouille les oreilles !" L'autre, comme un péteux, ne savait que dire, s'excusant, disant qu'il s'était trompé. Alors, je lui envoyais 4 gifles magistrales de toutes mes forces. Il avait mes doigts marqués sur la figure. "Et comme tu n'es pas un homme, et c'est pourquoi je te gifle, et en plus, je vais te tirer les oreilles !", ce qui fut fait et de bon coeur. Il se mit à pleurer, tandis que je lui promettais une autre séance plus corsée au cas où il lui prendrait l'envie d'aller se plaindre. "Moi, dit Louis, j'ai rien vu". Dans le roulement 130, nous avions pour finir un AR Paris Est - Culmont Chalindrey 409 - 410, roulement que nous eumes de nombreuses années, sauf un moment à la Villette. En période de pointes (fêtes, vacances, trains de pélerins), il arrivait que nous soyons sortis du service messageries, étant remplacés par des 141 R, pour assurer des trains express supplémentaires. A noter au passage que quand nous allions avoir un dimanche, ou nous étions sortis du roulement, ou il y avait changement de service. En aurait-il fallut des grèves pour avoir des dimanches dans l'année ! Cette tournée de Chalindrey était dure, le train lourd et les arrêts fréquents. Mais les petites P s'en tiraient très bien avec des démarrages énergiques et la chauffe au stocker. Les vieux mécaniciens n'aimaient pas cette tournée car ils disaient qu'ils allaient casser leur machine. Il en fallait plus que cela pour casser une 141P, j'en reparlerai plus loin. Au changement de roulement, la tournée fut confiée aux boeufs (241A) de la Villette, qui avec leurs grandes roues et les nombreux démarrages avaient du mal à faire l'heure, et il aurait presque fallu agrandir les tenders. Noisy eut cette tournée très longtemps, l'ayant fait comme chauffeur élève à mes débuts et comme mécanicien. En 1971, à mon départ en retraite, nous l'avions encore au roulement 130. Voici son horaire applicable du 4 octobre 1953 au 22 mai 1954. Express 409 et 410, 1ère, 2ème et 3ème classes. 18.22 Paris Est 14.25 19.02 Verneuil l'Etang 19.18 Nangis 13.34 19.35 Longueville 13.12 19.54 Nogent sur Seine 12.51 20.01 Romilly sur Seine 12.35 20.38/45 Troyes 11.57/12.05 21.12 Vendeuvre 11.33 21.32 Bar sur Aube 11.15 21.56 Bricon 22.10/14 Chaumont 10.41/44 22.39/41 Langres 10.14/16 22.52 Chalindrey 10.02 11 arrêts, 308km, à cette tournée, la P était cajolée et bichonnée encore plus que d'habitude, c'était notre train drapeau. Quand les diesels lourds 68000 firent leur apparition sur la ligne 4 avec tous les déboient que nous connémes, il fut décidé en haut lieu de laisser la tournée aux petites P et je fus classé pendant 3 mois d'affilés dans un roulement de 2 équipes qui ne comportait que les 409 et 410, 3 AR et repos avec un autre mécanicien, Lecoguiec. A ce moment, Noisy ne possédait plus de 141P et nous tournions avec celles de Chaumont qui étaient toutes en banalité, et certains jours, elles prenaient de sacrées raclées. Elles n'étaient plus astiquées, n'en couraient pas plus mal. C'était les graisseurs des 141R qui les préparaient ; nous, la petite goutte et c'était tout. Elles étaient devenues des gouffres à houille et à huile et nous démarrions dans des nuages de vapeur, mais cela se dissipait par la suite. Avec la pagaille mise sur la ligne par les diesels, nous avions souvent du retard même au départ de Paris Est. Alors, c'était des départs sur les chapeaux de roues et il n'était pas rare d'être au cran 4 à 80km/h et je n'en ai jamais cassé une. ( Quand je lis dans certaine revue qu'elles étaient fragiles ! Ces gens là n'y connaissaient rien). La cheminée était juste assez large pour les torrents de vapeur et de fumée qu'elle évacuait. L'année de ce service a servi au décompte de ma retraite, étant l'une des meilleures. Que de temps passé à l'époque héroïque de la sacro-sainte vapeur ! Cette dernière était régie par des normes de conduite amoureusement établies entre l'homme et la machine. On laissait le petit P prendre bien gentiment sa vitesse de croisière, sans la bousculer. Le temps perdu était en général amorti en montant Emerainville (Pour ne pas casser la machine, certains passaient à Noisy avec 2mn de retard qu'ils regagnaient ensuite). Avec la traction moderne, il fallait faire irrémédiablement un trait sur ces méthodes : c'était un temps révolu. J'eus comme compagnon Robert Bourgeois, un ancien manoeuvre que j'emmenais avec succés à l'examen de mécanicien. Je lui faisais toutes les vacheries possibles et imaginables pour bien lui inculquer le métier : obstruction des accouplements de frein avec du déchet, isolation du frein du tender, fermeture des robinets de la glace Klinger, neutralisation de la pompe Westinghouse... Le vent avait une influence considérable pour la traction à vapeur et au 4405 Juvisy - Bar le Duc, avec des wagons à étage chargés de voitures, le train était dur à remorquer. Entre Vitry le François et Blesmes, le compteur chutait rapidement. A ce sujet, une fois avec une 140C en allant à Troyes, j'ai failli piquer un "chou" entre Verneuil l'Etang et Mormant dans la plaine où rien n'arrêtait le vent. Remorquant un train de couvert vides dont presque toutes les portes étaient ouvertes, le vent s'engouffrait dans les wagons, provocant une résistance incroyable. Revenons à une tournée du 44105. C'était un dimanche et la variante prévoyait le retour en voiture à Noisy. Mon compagnon était Claude Marchal, faisant fonction et fils d'un de mes collègues mécaniciens. En arrivant à la feuille à Bar le Duc, on m'informe que j'étais prévu pour assurer un 11-14 deuxième Bar le Duc - Paris Est, un express avec arrêts à Vitry le François, Chalons sur Marne et Epernay puis direct Paris, avec la 141 P 60 restée HS (hors Service) pour chauffage d'axes de petites têtes HP. Je faisais remarquer au chef de feuille que bien qu'aucun rodage n'était prévu aprés intervention sur des axes de petites têtes HP, les ennuis étaient probables, surtout sur un express, la P 60 ayant déjà eu des interventions répétées depuis un certain temps ; enfin, c'est le règlement ! On verra la suite. Préparation soignée, attention particulière de ma part sur les fameux axes et, ma foi, en piste ! A l'arrêt à Vitry le François, visite du tour burette à la main. La petite tête droite fume et commence à blanchir, la gauche ne vaut guère mieux : impossible de mettre le revers de la main dessus. Adjonction d'huile, sachant que c'est en pure perte : des axes HP qui chauffent ne vont pas loin, et ce que je fais est symbolique. Claude me dit " : Nous allons être obligés de réduire la vitesse". Je lui rétorque qu'il n'en est pas question et j'avise le chef de sécurité de transmettre à Chalons ma demande de réserve (remplacement de machine), et nous voila repartis. Pas question de bricoler, il faut faire l'heure. 105km/h tout le long et j'arrive à Chalons avec 3mn d'avance, tandis qu'un des axes est presque rouge. Echange de machine, retard de 2mn au départ, Paris Est à l'heure. J'ai su par l'atelier qu'il avait fallu découper au chalumeau pour démonter les 2 bielles motrices HP et remettre en état têtes de bielles et patins de glissières. C'était cela la vapeur : prendre des risques mais faire l'heure et amener les voyageurs à bon port et dans les délais, quoi qu'il en coéte. Si j'avais eu la trouille, je ne serais pas descendu à Chalons ; alors, le temps que la réserve arrive, c'était une bonne heure et demi dans la vue. La vapeur, c'était de la sacrée mécanique et je n'ai jamais laissé un train dans les champs, même la fois où j'ai eu une rupture de tiges de distributeur BP entre Troyes et Chaumont à l'heure. C'était par un hiver rigoureux. Il n'était pas question d'arrêter la pompe ACFI (pompe d'alimentation en eau de la chaudière par l'eau réchauffée par la vapeur de l'échappement) sous peine d'un gel immédiat, tout en faisant fonctionner le Thermix pour lui éviter le même sort. Le 4050 était complet : 54 wagons, 108 essieux, 800t. Nous étions partis de Chaumont alors qu'il faisait -14¡. Nous étions frigorifiés tous les deux et à franchement parler, nous en avions marre de cette période de grand froid qui n'en finnissait pas et nous aspirions à la douce chaleur d'une pièce. Ayant 2h de retard, je décidais de ne pas aller à Paris Est avec la Poste et les éléments pour Paris Pajol. Quand nous étions à l'heure avec le 4050, nous avions un arrêt à Rosny sous Bois. La queue était coupée sur place et nous filions avec la Poste à Paris Est. Le reste du train était repris par une autre machine pour Noisy Triage. Ce jour-là, personne à Rosny. A l'arrivée à Noisy, j'annonce au chef de sécurité " : Au dépot". Sa réponse fut " : Tu vas à Paris". Je rétorque en lui disant que je ne savais pas du tout ce qui me restait d'eau dans le tender, mes robinets de jauge étant gelés (Moi, je savais que j'en avais assez, mais pas lui. Et pour s'en rendre compte, il fallait monter sur le tender). Et alors, comme le réglement prévoit que sous ligne électrique, il faut couper le courant, je commençais à remplir ma fiche de demande de consignation pour la voie sur laquelle j'étais et pour les 2 voies contigŸes, et lui faisant remarquer que s'il m'obligeait à aller à Paris Est sans que le niveau de l'eau ait été vérifié, il devrait en prendre l'entière responsabilité en me donnant un ordre écrit et signé, car si j'étais obligé de jeter le feu par manque d'eau, ce serait le secours. Ne voulant pas se mouiller, je fus rentré au dépot. 1h de gagnée. Un matin, au cours du HLP noisy - Juvisy pour le 44105, tender avant, nous roulions environ à 10km/h. Comme je passais à hauteur de mon jardin, je regardais si mes abricotiers qui cette année-là étaient surchargés de fruits n'avaient pas été chapardés. Mon compagnon regardait aussi, mais nous aurions mieux fait de regarder les 2 superbes yeux de lapin russe du panneau d'entrée du triage de Villemonble : carré fermé. Sablage, freinage, mais malgré notre faible vitesse, nous bouffons le signal. De 50cm, mais passé quand même. Pas d'explosion de pétard, donc pas de panique à bord. Une petite marche arrière, et de l'air le plus naturel du monde, je m'annonce au téléphone. "Ah oui, je t'avais oublié ! Je t'ouvre." Ouf ! Il n'a rien vu ni entendu. Il n'y a que sur la bande, mais à faible vitesse et avec un HLP, il n'y a pas trop de risques. Cela serait bien, une demande d'explication à un délégué qui bouffe un carré. Je n'avais pas la conscience tranquille et je n'aimais pas ce genre de fantaisie de ma part. Mon amour propre en avait pris un coup. Au retour, cela me tracassait et j'allais à mon jardin. C'était plus fort que moi : le poste de la Ceinture m'attirait. J'étais curieux, et je voulais avoir le coeur net de cette histoire de carré. Je montais l'escalier du poste à la bifurcation de la Grande Ceinture, de la complémentaire évite-Noisy et du raccordement vers la ligne 4. Je voulais savoir pourquoi il n'y avait pas eu explosion de pétards électriques ni de réaction de la part de l'aiguilleur. Je me présente comme étant de la maison et, ayant mon jardin à proximité, je venais voir le poste par curiosité. Il me reçut cordialement et je m'avançais non sans avoir pris la précaution de mettre mes pieds sur les patins en feutre qui attendaient les éventuels visiteurs prés de la porte d'entrée. Car à part quelques exceptions, les planchers des postes d'aiguillages étaient cirés et d'une propreté méticuleuse, ainsi que les leviers qui étaient briqués et n'étaient pris en main que par l'intermédiaire d'un chiffon propre. Les aiguilleurs étaient d'ailleurs en chaussons. Il régnait dans les postes une ambiance feutrée, troublée seulement par le déclic des enclenchements à la manoeuvre des leviers, par le tintement si l'aiguille était mal collée et par les sonneries des annonces et du téléphone. Mine de rien, jouant le rôle de celui qui n'y connaissait rien alors que je savais comment les postes à leviers fonctionnaient. J'avais fait un stage de 4 mois au service des enclanchements et participé à des révisions de postes et à des réglages de tension des fils des transmissions ou des commandes rigides. J'avais appris à souder à la forge avec Chabrérie, dit "l'Auvergnat". Je demandais à l'aiguilleur des détails de fonctionnement sur le contrôle de position des aiguilles, des mouvements des panneaux lumineux et des appareils de voie, et il vint de lui-même répondre aux questions que je me posais sans avoir à le lui demander ouvertement. Bien entendu, il avait le contrôle optique et d'occupation des voies et des trains. S'il y avait passage d'un signal fermé, il s'en apercevait, mais il ajouta aussitot qu'il avait, lui et ses collègues, des problèmes avec le fameux panneau objet de ma curiosité, celui d'entrée du triage de Villemonble, celui-là même auquel j'avais écrasé les pieds. Etant en courbe, en déclivité et mal placé, le service électrique ne suffisait pas pour remplacer les pétards. J'en savais assez pour être tranquilisé. Comme j'en ai parlé précédemment, nous avions au roulement 2 RO : le VT1113 Vaires -Troyes et le TV1146 Troyes - Vaires, toujours lourds et complets. Au VT1113, nous avions le renfort attelé de Vaires à Gretz Armainvilliers. A Longueville, la charge maximum pour la section de cette gare à Troyes était appliquée par l'adjonction de wagons tombereaux de terre glaise (argile) qui provenaient des nombreuses glaisières de la région provinoise. Ces wagons glaisiers étaient dans un état lamentable : timoneries de frein et crémaillères rouillées, tiges de cylindre de frein n'ayant pas vu, même de loin, un pinceau enduit d'huile. Avec un matériel pareil, les incidents de freins étaient fréquents. Pour mon compte personnel, j'avais résolu les problèmes afférents à cet état des choses. Entre Nogent sur Seine et Marnay sur Seine, la voie montait en courbe à droite pour le franchissement de la Seine au pont de Bernières. En regardant à l'arière du train, je décelais très vite des délinquants par les émissions de fumées. Je ne perdais pas une seconde à épiloguer sur le problème. Mon compagnon venait au manche ; nous ne roulions pas vite, la marche étant très détendue. Je descendais en marche (C'est beau pour un délégué à la sécurité, mais à la guerre comme à la guerre), j'attendais ensuite les wagons au défilé et je les débloquais à la tirette (les cylindres de frein), puis je piquais un sprint pour remonter sur la machine. Comme de bien entendu, je savais que la gare de Nogent sur Seine avait vu le ou les blocages, avertissant de ce fait la prochaine gare de cantonnement qui était Pont sur Seine, qui mettrait son disque à la fermeture, provoquant ainsi mon arrêt. Roulant à faible vitesse et étant à l'heure, je trouvais en effet le disque fermé et j'arrétais au frein direct de la machine. Le PN (Passage à Niveau) était bouché. La visite du train était faite avec le chef de sécurité et bien entendu nous ne trouvions aucune anomalie, et pour cause. En revenant avec mon collègue de l'exploitation, je lui dis " : Tout le monde voit des freins serrés". "C'est vrai", me dit-il. Mais il oubliait de me dire que les gares touchaient des primes pour signalement justifié de freins serrés ou de boites chaudes. Et moi d'ajouter : "Tu diras à Nogent qu'ils achètent des lunettes !", en riant sous cape avec mon compagnon. Une opération faite en beauté, et maintenant, à moi les minutes à gagner. Pourquoi ruser de cette façon ? Un incident de frein et à plus forte raison plusieurs au même train, cela représentait pas mal d'écritures, de paperasses et de rapports, voire un accompagnement par le chef mécanicien ou la pause en douce d'un mouchard dans le fourgon de queue. Cela commençait par la marche à pied, et bien entendu ce n'était jamais en tête du train ; isoler le véhicule ; remplir la fiche d'incident de frein ; remise d'un ou des volants au visiteur à l'arrivée ; rapport au bulletin de traction ; fiche spéciale à remplir au dépot d'attache. En général, le Matériel ne voulait jamais reconnaitre que l'incident soit imputable aux wagons ou aux voitures mais à une mauvaise utilisation du robinet de frein par le mécanicien. A la traction moderne, avec le frein à commande électrique, ces contestations permanentes disparurent comme par un coup de baguette magique. Nous avions une tournée de 2 jours sur la GC (Grande Ceinture) et nous n'étions jamais à l'heure. Et toujours le dernier train de la période, un Valenton - Vaires. J'étais le seul dans le roulement à finir à l'heure et même avant, ayant de ce fait un meilleur repos HR (Hors Résidence) à Valenton. Voici ma recette : Le dernier train à remorquer était un Valenton - Vaires en provenance du Sud Ouest, ayant un retard chronique. En calculant au plus juste ma journée de travail, j'attaquais directement le régulateur Nord au téléphone en le prévenant que vue l'heure probable de départ de Valenton, j'allais être en dérogation et qu'il ne pourrait pas objecter que je ne l'avais pas prévenu à l'avance, et à toutes les fois cela marchait. "La machine de Noisy au dépot" annonçait le haut-parleur. J'étais gagnant sur tous les tableaux. J'avais mis en agrde tous mes collègues pour qu'ils fassent de même mais ils en avaient une sainte trouille commune " : On va nous retirer les journées !". Ils se tapaient des journées de 9h30 à 10h et en plus ils repartainet le soir avec un repos réduit (en dessous de 8h). Nous avions au roulement le 4047, messageries omnibus pour Longueville aux 141R et marchandises ensuite en 30409 de Longueville à Romilly sur Seine o nous étions relevés par une équipe de Troyes. Normalement, notre repos était pris en gare, dans le local des agents de trains. Ce dernier était très propre et très bien tenu. Des travaux devant y être effectués dans les chambres, la SNCF, dans sa grande mansuétude, avait décidé que nous prendrions pendant cette période notre repos dans une ancienne baraque en bois désaffectée et datant de la dernière guerre. J'arrivais donc avec mon 30409 vers 9.30 à Romilly et décidais de ne pas coucher dans la baraque, cette dernière ayant des fenêtres démunies de volets, pas d'eau chaude et étant dans un mauvais état général. Aprés avoir mangé, j'allais voir le chef le sécurité pour inscrire au tableau prévu à cet effet mon heure d'éveillage, 18.00, pour repartir au 4044. "Vous allez dormir dans la baraque en bois", me dit-il. Refus catégorique et sans appel de ma part, et ce, poliment. Me mettant en rapport avec la permanence traction à qui j'exposais la situation et mes doléances, à savoir refus de mon repos dans ces conditions, je propose 2 solutions : on couche à l'hôtel et j'assure le 4044, ou on rentre en voiture à Noisy. "Fais ce que tu veux, mais ne me laisse pas le 4044 à découvert". Décision rapide de ma part : je me rends à l'hôtel sur la place de la gare sous l'oeil éberlué du chef de sécurité qui n'en revient pas. A l'hôtel, je me présente, décline mon identité et demande une chambre pour 2 en donnant l'heure à laquelle je dois être réveillé avec défense formelle de venir me déranger. Il fallait que je prenne mes responsabilités. Quand le chef de gare de Romilly fut mis au courant de l'affaire, il vint lui-même à l'hôtel pour nous faire réveiller et nous signifier d'aller coucher dans la baraque en bois. Refus du patron de l'hôtel en ces termes " : - Ces messieurs ne veulent pas être dérangés avant l'heure. Pour moi, ce sont des clients comme les autres". -"Oui, mais c'est moi qui vais payer !", dit le chef de gare. -"Ce n'est pas mon problème", rétorqua le patron. Le chef de gare était parait-il dans une colère noire, car à mon réveil je demandais à l'hôtelier de présenter la note à la gare de Romilly. L'équipe qui vint le lendemain suivit mon exemple et celle d'aprés de même, et notre parcours, le temps des travaux, fut limité à Longueville, ce dont personne ne s'est plaint. Le 4040 était un messageries Chaumont - La Villette avec arrêts à Bar sur Aube, Troyes et Romilly sur Seine. En principe, nous repartions complets de Troyes. Ce jour là, carré ouvert (la section était sous le régime du block par carré jusqu'à la sortie du triage de Barberey), départ. Avant la coube de Preize, avertissement en position de fermeture et carré protégeant la sortie de Barberey fermé aussi. Bizarre: à cette heure, il n'y a rien devant nous et rien ne sort ni ne rentre en provenance du faisceau ou de la voie 1 en cisaillement. Je bloque mon train, je descends de la machine, flairant un contrôle de sécurité. Je m'annonce au téléphone dans les termes prévus au règlement : "Ici mécanicien du train 4040, arrêté devant le carré n¡x en position de fermeture". Pas de réponse du poste, et pourtant je sais qu'il est occupé en permanence. Je vais donc me rendre à pied au poste dont dépend le signal comme le prévoit en tel cas le sacro-saint réglement, quand à une vingtaine de mètres, débusqués par la lumière de ma lampe, surgissent 2 individus accroupis derrière l'armoire électrique. Je reconnais rapidement l'un d'eux, M. Humbert- dit "Patoche" pour les intimes-, contrôleur de traction et un autre monsieur du service électrique. Et voici que surgit un troisième larron, un inspecteur de l'exploitation, qui était dans le poste avec l'aiguilleur, ayant pris lui-même le téléphone pour contrôler ma façon de m'annoncer et sans me répondre si elle était conforme aux termes réglementaires. "Contrôle de sécurité !", m'annonça M. Humbert. Et de me demander de suite la façon selon laquelle je m'étais annoncé au téléphone. "C'est bien, me dit-il, tu peux repartir à l'ouverture du carré". Ils ne m'avaient pas piègé et ils ne m'ont jamais eu de toute ma carrière, malgré tous les contrôles du trinôme de sécurité partant d'un principe simple qu'un disque fermé, une explosion de pétard en pleine voie, un signal éteint, fermé ou en chapeau de gendarme (ni ouvert ni fermé) donc douteux devait être considéré comme fermé. Et je considérais toutes ces situations comme des pièges du trinôme de sécurité, qui excellait dans ce genre de contrôles pour tester la vigilance et la connaissance des réglements de sécurité des mécaniciens. Et malheureusement, des collègues se faisaient prendre quelquefois, et cela coutait très, très cher. Souvent, leur présence était signalée à l'avance de gare en gare car ces contrôles étaient valables aussi pour les copains de l'exploitation qui pouvaient aussi y laisser des plumes le cas échéant, mais le trinôme se douta du truc puisque personne certaines fois ne mordait à l'hameçon, malgré une pose correcte des pièges. Ils déjouèrent par la suite ce système de téléphone arabe en se rendant sur les terrains de chasse la nuit ou le jour en voiture automobile par les chemins de terre. L'effet de surprise était total et le trio de pouvoir agrémenter leur tableau de chasse, qui se traduisait par des diminutions sur primes ou des ponctions plus ou moins importantes sur la prime de fin d'année ; pour les mécaniciens, visite psycho-technique (visite des fous) et même jusqu'au retrait de service ou rétrogradation du service des vitesses aux marchandises ou aux manoeuvres en gare. Un chef mécanicien de Reims, M. Soyard, s'était une fois planqué derrière un pont entre Fismes et Mont Notre-Dame sur la ligne 2 (Trilport - Reims). Je n'ai vu son drapeau rouge déployé qu'en arrivant dessus. Aprés un serrage énergique et l'arrêt de mon train de marchandises, j'appliquais aussi sec les prescriptions réglementaires, à savoir protection du train par l'agent de queue consécutif à un arrêt du train en pleine voie (ligne à protection obligatoire). Je sifflais donc à la couverture, quand M. Soyard arrive en courant et me dit " : C'est un contrôle de sécurité, tu peux repartir". Mais cela ne marchait pas et je le soupçonnais de me pièger. Je descendais donc de la machine, prenant les agrès de sécurité : pétards, torches, drapeau rouge. -Ou allez-vous ? me dit-il. -Le chef de train ne m'ayant pas accusé réception de ma demande de couverture, la ligne étant en courbe, le train long, je vais m'assurer par moi-même qu'il est bien parti à la couverture. Et de toute manière, il faut que je sois assuré de son retour dans son fourgon pour repartir. Je lui faisais remarquer que bien qu'étant mon supérieur, en général, les obstacles ou les queues de trains n'étaient pas derrière les ponts mais sur la voie. Aprés tout cela, je suis reparti, en appliquant encore une partie du règlement qui prévoit qu'aprés un arrêt en pleine voie et aprés avoir franchi un disque ouvert, la reprise de vitesse doit se faire dans les mêmes conditions que si j'avais trouvé le disque fermé, donc marche à vue et la suite. L'autorail qui circulait derrière moi a dé boire une bonne tasse. Je n'en ai jamais entendu parler, mais suite à mon rapport de mécanicien, il y en a un qui a dé en entendre parler : Soyard. Tournée du 409. Le chef de feuille de Noisy m'informe de la présence d'un ministre à ce train. Je n'ai aucune souvenance duquel, de toute manière, cela n'a aucune importance à mon niveau. Mais le train était ce qu'on appelle en terme traction "recommandé", noblesse oblige, et le toujours sacro-saint règlement prévoyait l'accompagnement de l'équipe traction par un chef mécanicien, mais pas l'ombre d'une roupane à l'horizon, ni au dépot, ni à Paris Est. Mon chauffeur allant à l'examen de mécanicien dans les jours qui suivaient, c'était lui qui était au régulateur. Tout va bien, il me fait des arrêts corrects et une bonne conduite. A l'arrêt de Romilly sur Seine, un boulet de canon se propulse sur la machine, un de nos chefs mécaniciens, M. Bourlier (dit "la Vapeur"), en gueulant comme il se doit. "Tu sais que ce train est recommandé, et c'est le chauffeur qui est au manche ! Reprends ta place en vitesse !". Je lui réponds calmement que le 409 est fait aujourd'hui comme les autres fois, ministre ou pas ministre. Il insiste, je reste sur mes positions et à la place du chauffeur ; j'avais confiance dans mon compagnon. Il avait l'habitude, ce n'était pas son premier train au manche. Avant l'arrêt de Troyes, Bourlier me réitère l'ordre de reprendre ma place, je lui rétorque que mon compagnon est autant capable que moi d'arrêter correctement le 409 et de positionner le tender pour la prise d'eau. Il me faisait une triste mine mais je ne bougeais pas de mon coin. Ce fut plus fort que lui : il fallut qu'il mette sa main sur la poignée du H7. Mon compagnon ne savait plus quoi faire. Moi, je guettais mon chef mécanicien du coin de l'oeil. On va bien rigoler. Et bien entendu, ce que je prévoyais eu lieu : arrêt métro spectaculaire, pas de réaction dans la rame, un arrêt de chef, au poil que l'on ne sent pas du velours. Le ministre pouvait être satisfait. Seulement un petit défaut. Minime, diront certains. Mais malheureusement, le col de cygne de la grue hydraulique se trouvait au-dessus du fourgon de tête. Bien entendu, comme tout bon chef qui fait une connerie, c'est moi qu'il engueule. Je n'avais cure de ses braillements, car s'il avait laissé faire mon compagnon, l'arrêt aurait peut être été moins folklorique mais il aurait été ajusté. Aussi rapidement qu'il était monté à Romilly, il descendit de la machine en me disant qu'il redescendait au 44 que nous croisions en gare de Troyes et fait par une équipe de Noisy avec aussi une 141 P. Je me suis arrangé ensuite avec le chef de sécurité pour la prise d'eau. Je n'ai jamais su si le ministre était toujours là, mais une certitude : mon compagnon a fait le train jusqu'à Chalindrey. Etape Noisy - Châlons sur Marne, 4115, messageries direct. J'avais avec moi un jeune chauffeur dont je tairais volontairement le nom. Il devait aller lui aussi prochainement à l'examen de mécanicien. Le train était de jour et je lui confiais le manche (je ne donnais le manche de nuit qu'à ceux étant reçus ou en passe d'être nommé élèves). Il n'était pas fléte-fléte : il finit sa journée à Ch‰lons en me bouffant un carré violet au triage et sans conséquences, car je réglais l'incident avec le chef de poste, lui donnant des circonstances atténuantes non sans l'avoir vertement repris. Il faisait partie de cette nouvelle vague qui s'était trouvée une vocation de roulant à l'arrivée des 141 R et 141 P, sachant aussi qu'ils iraient aux diesel-électriques et aux électriques. Je me lançais dans un sermon sur le chemin de fer et la sécurité. Ai-je perdu mon temps ? Je n'en sais rien. Mais il n'a guère brillé par la suite ; un conducteur au rabais. Le lendemain, 4010, train de jour, mon jeune au manche. Il y avait VUT (Voie Unique Temporaire) sur voie 2 dans le tunnel de Nanteuil Saacy, situé entre la gare du même nom et La Ferté Sous Jouarre, longueur 944m. Je lui recommandais de redoubler de vigilance, de serrer plutot en avance que trop tard. A perdre quelques minutes, sécurité avant tout. A proximité de la VUT, le TIV (Tableau Indicateur de Vitesse) à distance à 30km/h qu'il pointe (vigile) et réarme, toujours pas d'amorce de serrage de sa part. Il pointe l'avertissement fermé annonçant la fermeture en position de carré d'accés à la VUT, ne serre toujours pas. Mais je l'avais à l'oeil. Je traverse la cabine et j'amène le H7 à l'urgence alors qu'il est là comme un grand couillon à me regarder d'un air ahuri, et c'est de justesse que j'arrête le 4010 avant le panneau fermé, alors qu'un train sortait de la VUT, reprenant la voie 1. J'étais dans une rage noire. Je l'attrapais par les épaules et avec un coup de pied aux fesses, je l'envoyais valdinguer sans ménagements ni commentaires dans le coin du chauffeur. Il repassa une deuxième fois l'examen de mécanicien, ayant été recalé la première. Une vedette ! Nous avions mes collègues et moi souvent des incidents de frein aprés Chaumont et à plusieurs reprises sur des wagons isolés (conduite blanche, non soumise au frein automatique), et rien de signalé au bulletin de composition. Qui étaient les auteurs de ces isolements clandestins ? Ces isolements n'étaient pas exécutés de façon réglementaire, car pour isoler sans risque de revoir le même véhicule bloquer, il fallait procéder à la vidange totale de la CG (conduite générale), actionner la tirette du véhicule et seulement aprés fermer le robinet d'isolement. Cette opération doit être mentionnée sur le bulletin de composition du train qui est en possession du mécanicien. Je décidais d'en avoir le coeur net. Au 4042, messageries que nous relayions à Chalindrey. Tout va bien. Arrêt à Langres. Aprés cette gare, je vois dans une courbe des étincelles vers la queue : un wagon bloqué. A Chaumont, nous avons un arrêt de 15mn. Je descends sans lumière et à contre-voie. Je savais que le train était visité et bien entendu, sur qui je tombe en queue, les surprenant en pleine opération ? Les 2 visiteurs de Chaumont en train d'isoler le véhicule que j'avais vu serrer. Il s'en suivit une belle algarade et cela en resta là mais ne se reproduisit pas, car bien qu'à cheval sur le règlement, j'avais pour règle de conduite, tant que la sécurité n'était pas mise en cause d'une manière formelle, d'essayer de vivre en bonne intelligence avec mes collègues de l'exploitation et du matériel. Aujourd'hui, c'est eux qui sont en infraction, mais rien ne dit que demain, cela ne puisse être moi. Et puis cela crée une animosité entre les services qui n'est pas de bon aloi. Je concrétiserai par un exemple : alors que j'étais encore chauffeur avec la 141 P 238, ayant été en congé et ne pouvant être remis en roulement qu'aprés le repos, je faisais un remplacement aux R, et en rentrant dans le triage de Vaires avec un RO en provenance de Châlons sur Marne, la courbe étant à droite donc de mon coté, je faisais provoquer l'arrêt du train par mon compagnon car nous rentrions sur une voie occupée. Sans conséquences et en accord avec l'aguilleur et le chef de sécurité du BV de Vaires, nous refoulâmes notre train et mon mécanicien assura l'exploitation qu'il ne signalerait pas l'incident. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas : à quelques semaines de là, en sortant du faisceau de réception coté pair à Vaires avec la 238, je perdais de vue, étant occupé au feu, le carré violet de sortie qui exceptionnellement était situé à droite, le franchissant de quelques mètres à la fermeture. Résultat des courses : éclatement du b‰ti en fonte du support de l'aiguillage. Bien entendu, arrivé du chef de sécurité, les bras au ciel. "Je vais être obligé de signaler, car il faut remplacer le b‰ti". A sa surprise et à celle de mon compagnon, je lui faisais remarquer gentiment s'il avait souvenance d'un certain RO reçu sur voie occupé. "Ah ! C'était toi le chauffeur de la R ? C'est bon ! Je vais m'arranger avec les enclenchements". Quelques histoires et des vraies. Une anecdote pour rire un peu : nous avions un collègue mécanicien, un "fayot" de la plus belle eau. Quand il partait en congé, il donnait son adresse au chef de feuille (qui ne lui demandait rien) au cas o, se croyant indispensable. Nous lui envoyâmes un télégramme réglementaire dûment rempli et émanant du dépôt " : Rentrer d'urgence-Stop- Supplémentaires à assurer". Il revint toutes affaires cessantes et bien entendu pour rien et fut la risée de tous, même du patron. C'était le même qui, étant chauffeur aux 140 C, demandait à son mécanicien, un vieux bien brave (surnommé "Ban-ban") -il est mort depuis longtemps- de prendre sa place à la chauffe. Il fallait être culotté. Le même client, un jour de grève, demanda au chef de feuille ce qu'il devait faire. Ce dernier lui répondit " : Qu'est ce que tu es ? Mâle ou femelle ?" Je n'étais pas le dernier pour faire des niches aux autres. Par exemple, profiter du sommeil d'un collègue pour fouiller dans son sac et transformer les oeufs destinés à faire une omelette en oeufs durs, visser le fond des caisses en bois sur les étagères, mettre des tire-fonds dans les sacs ou des oiseaux morts récupérés sur les tabliers. Au bout de quelques jours, cela sentait fort. Et mouiller les bleus et faire des noeuds, avancer les heures au tableau d'éveillage. Il y avait un bistrot à coté de la passerelle à Bar le Duc. Nous l'appelions "La Boite à Rats". On peut dire que les vaporistes ont bouffé le fond qui faisait épicerie-buvette : le temps qu'il y en avait en train de boire le coup dans la cuisine, d'autres faisaient main basse sur un saucisson ou un fromage. Il y avait aussi je crois la mère et les 2 filles qui n'étaient pas farouches. C'était le temps des fiestas où les équipes se retrouvaient. On mettait les tables les unes au bout des autres et l'on mangeait tous ensemble. A Bar le Duc, il me faut aussi parler des corbeaux. Ces derniers nichaient dans les arbres au bord du canal où se situait aussi notre dortoir et menaient un tel tapage qu'ils empêchaient les équipes de dormir. Les pompiers venaient régulièrement les déloger, démilissant les nids avec des lances à incendie, mais les nids étaient refaits très rapidement. Impossible de s'en débarrasser. Il aurait fallut couper les arbres. Avec la modernisation, le dépot a disparu, mais les corbeaux étaient toujours là. Parlons un peu du frigo de Bar le Duc, qui fut je crois le premier dépôt de notre secteur à en être doté. C'était une petite révolution. Quelques jours aprés sa mise en service arrive une camionette en pleine journée. 2 types en bleus " : Nous venons pour le frigo qui a des problèmes. Notre patron le veut à l'atelier". On le ramène. Il était très lourd, et des équipes ont aidé au chargement. Ironie du sort : c'étaient 2 voleurs. Voulez-vous manger du bon boudin blanc, du vrai, pas de cette inf‰me mie de pain mélangée avec je ne sais quoi ? Pour cela, nous passions commande au 4028 et le soir au 4029, nous avions les paquets prêts et tout celà en gare de Rethel où l'on fabriquait du boudin blanc de première qualité, à l'époque pour l'exportation en Amérique. Chapitre VI. LA RECONVERSION : LA TRACTION DIESEL-ELECTRIQUE. Il me faut aborder maintenant l'ère de la traction moderne, changement radical des techniques et des modes de travail, une transition, une reconversion totale, un recyclage sans précédent dans l'histoire des vaporistes. Cette mutation commença en 1961 pour se terminer pour moi en 1969 par étapes et en pratiquant de la traction mixte suivant la disponibilité des engins modernes. Ici ne seront concernés que les engins thermiques, autorails et fourgon-chaudières, ainsi que les chaudières à vaporisation rapide Clarkson des 68000. Ces dernières ne furent guère appréciées à leurs débuts, ayant été lancées sur les rails et en service commercial sans essais, et non comme ce fut le cas pour les TGV. Bien entendu, il nous fallut suivre des cours de reconversion électrique et une étude approfondie du moteur diesel avec ses nombreux auxiliaires. Pour mon compte, cette période eut lieu du 6 février 1961 au début avril 1961. En traction thermique, nous n'étions pas particulièrement g‰tés car nous avions la partie électrique et la partie diesel qui comprend elle circuit d'eau, circuit d'huile, température, pression, injection, turbo-soufflante et la suite. J'étais autorisé à la conduite des : -040DE ( 63000) le 23 mars 1961. -040DG (66000) le 13 juillet 1961. -X3800 (Picasso) le 29 mai 1963 (Ecole de Nancy). -Basculage 68000 le 16 novembre 1963 (Ecole de Chaumont). -Basculage 69001 et 2 (Diesel-hydrauliques) le 29 décembre 1964. -Basculage 70001 et 2 (Prototypes diesel-électriques) le 9 mai 1969. Aprés, stage en ligne au dépot du Mans en 72000 ; autorisé en ligne sur le Nord en X4300 le 4 mai 1967. Toutes ces autorisations et ces basculages se traduisant par un travail important : étude en salle, conduite en ligne : -Ecole autorail de Nancy sur la ligne Nancy - Moncel - Chambrey et Ch‰teau Salins, ligne 66. -Ecole de Chaumont pour les 68000 sur les lignes 130, 131, 41, 139, 140 ( St Dizier, Joinville, Chauumont, Langres, Chalindrey, Is sur Tille, Dijon). -Stage en ligne au dépot du Mans sur 72000 : AR sur la ligne Le Mans - Quimper (Section Le Mans - Sablé - Angers - Nantes). Un examen sanctionnait les connaissances techniques, la conduite en ligne et la bonne utilisation du guide dépannage (détection de pannes provoquées par le CTRA). Tout le monde le savait : c'était inéluctable, la vapeur était condamnée. En sursis seulement, tant que l'on ne pourrait se passer complètement d'elle. On parlait beaucoup de ces nouveaux diesels lourds qui devaient éliminer les 141R, 141P, 241P et autres. Pour les vaporistes, c'était un nouveau métier. Apprendre tous les mystères de l'électricité, son application à la traction thermique, les génératrices, les alternateurs, les redresseurs, le shuntage, les termes barbares, les schémas des circuits électriques qui s'avérèrent pour moi faciles à faire et à lire dès que les principes de base étaient bien assimilés. Le moteur diesel, avec tout un arsenal de circuits qui gravitaient autour de lui et tout celà lié électriquement, mécaniquement ou pneumatiquement : nous étions loin de la machine compound la plus évoluée et de la simple expansion. A 40 ans, ce fut une expérience passionnante, apprenant des techniques nouvelles. N'avais-je pas entendu au cours de ma carrière qu'on ne pourrait jamais faire des trains rapides et lourds avec le diesel ? Qu'il n'y avait que l'électricité ? Qu'on ne pourrait pas faire de grande vitesse sur rail, à cause de l'adhérence et de la captation du courant ? A une certaine époque, on ne croyait plus au rail pour les grandes vitesses Pendant cette période transitoire d'école et de stages, ce furent des nuits assurées au lit et les repos le dimanche : toujours cela de gagné avec ma famille. Les premiers trains en ligne en traction diesel-électrique roulèrent sur la banlieue Paris Est - Gretz Armainvilliers avec des 040DE (63000), locomotive mixte de 400 à 600ch selon les séries, munies du shuntage. Bien que limitées à 80km/h, nous faisions aussi bien qu'avec nos bonnes vieilles 141TB limitées à 90km/h, car il y avait toujours du gaz ( à moins d'être en panne, ce qui n'arrivait presque jamais à la vapeur). La technique de conduite différait totalement. A la vapeur, tout était dans la tête ; là, tout était dans le guide de conduite ou de dépannage. Pour autant fallait-il savoir l'utiliser correctement et je dirais même scrupuleusement sous peine de se fourvoyer dans un article, un renvoi, un alinéa ou une page qui vous disait " demandez le secours ". Aucune erreur n'était tolérée au cours du sondage consécutif à une panne car le guide de dépannage était, s'il était bien appliqué, à la base même de la disparition éventuelle de l'incident. En cas de doute, ne pas hésiter à recommancer et surtout ne pas paniquer, car en panne sur un train de voyageurs, ce n'est pas évident avec les clients qui viennent à la machine vous demander pour combien de temps on est là, si on va repartir bientôt, ou est ce que j'aurais ma correspondance. Il faut avoir des nerfs d'acier. Dépannage ou demande de secours, il fallait aporter obligatoirement au carnet de bord de l'engin les pages utilisées et dans l'ordre, ce qui permettait à l'atelier de contrôler le bien fondé d'une demande de secours, de savoir si l'utilisation du guide par le conducteur avait été correcte et si la demande aurait pu être évitée (ce qui dans ce cas faisait la plus grande joie de l'atelier et en faisait porter l'entière responsabilité à la traction, ce qui n'était pas très apprécié de nos chefs, et je les comprends car cela faisait passer les conducteurs incriminés pour des cloches. En plus du carnet de bord, toutes les opérations devaient être consignées au bulletin de traction pour que le CTRA dont dépendait l'agent de conduite puisse contrôler lui aussi : l'épée de Damoclès en permanence au-dessus de la tête. Dans le cas où, malgré l'application correcte du guide de dépannage, le conducteur était amené à demander le secours, il était autorisé en attendant, et sous son entière responsabilité, s'il s'en sentait les capacités, de faire un dépannage poussé à l'aide de schémas électriques où de trucs glanés de ci de là et notés sur des calepins personnels. Les miens ne me quittaient jamais et m'ont rendu service de nombreuses fois ; ils sont encore en ma possession. J'ai souvenance qu'avec une 66000 (040 DG) sur un banlieue, j'ai eu un manque de puissance en grimpant Emerainville. Application du guide, et j'arrive à la demande de secours. Je continue la remorque à vitesse réduite jusqu'à Gretz, où je fais la demande de secours pour la suite du roulement. Ayant du temps disponible entre les 2 trains et étant curieux de nature, je démonte les capots et applique la règle immuable (bornes - fils - contact) et à la visite des fils commandant les électrovalves d'accélération du moteur, je trouve un écrou de 8 en train de se faire la malle. Resserrage, lancement du moteur, essai d'accélération à vide concluant. Et j'annule la demande de secours. Au cours de ces dépannages poussés, il fallait faire très attention à ce que l'on faisait et sur quoi on intervenait, car si l'on se dépannait et qu'un pépin plus gros survenait, c'était la sanction car le réglement stipulait que le conducteur est autorisé mais non obligé de faire du dépannage poussé, nuance qui engagé sa responsabilité. Aprés les 63000 arrivèrent début 1961 les premiers 66000, ex 404 DG, locomotives mixtes 1030 à 1250 ch. Dès que possible, ces engins sont mis en service sur la banlieue de Paris Est, sur Meaux, remplaçant cette fois avantageusement les 141 TB en puissance au démarrage ainsi qu'en vitesse. C'est aux 66000 que nous faisons véritablement nos premières armes, avec des engins diesel-électriques puissants bien que limités au début à 105 km/h. En hiver, il fallait trainer en permanence un fourgon chaudière (cocotte-minute). Un beau cadeau encore que le fourgon chaudière ! Il était muni d'un moteur diesel qui fournissait l'air et le courant électrique à une chaudière à vaporisation rapide du type américain Clarkson. Pour éviter les manoeuvres de changement de bout, les 66000 furent équipées de la réversibilité, la locomotive se trouvant toujours coté provinbce avec le fourgon chaudière. Le surnom de "cocotte - minute" fut vite donné, et on ne parlait de ces véhicules qu'en utilisant ce terme. On disait : "j'ai eu un problème avec la cocotte". Que de problèmes avec ces maudites cocottes, qu'il fallait trimballer l'hiver en permanence en les poussant ou en les tirant. La première série de fourgon-chaudières était équipée d'un moteur à lancement par inertie. Il fallait tourner très vite la manivelle pour lancer le mouvement, à une bonne vitesse que l'on calculait avec le mal dans le bras à tourner au" pifomètre", lacher rapidement la manivelle, en même temps appuyer sur le starter. Aprés avoir mis l'accélération au maximum et embrayé dès l'allumage, on lachait le starter et on décellérait, puis on le laissait monter en température. Par temps froid, il n'était pas rare de renouveler l'opération. A défaut du moteur, le conducteur était chaud, lui, avec une bonne suée. Les tranches suivantes furent pourvues d'un démarreur électrique sur batterie. La mise en fonctionnement de la chaudière était relativement simple et facile et nous n'avions pas trop de soucis avec les pannes qui arrivaient quand même. Alors, encore là, le guide de dépannage. Le premier hiver de la mise en service des cocottes, aprés des stationnements prolongés, les moteurs refusaient de démarrer, des chaudières gelèrent, ce qui se traduisit par des trains de banlieue sans chauffage. Les clients roupétaient et c'est nous qui nous faisions traiter de fainéants et de trop payés. Pendant ce temps, nos patrons, eux, étaient bien au chaud dans leurs bureaux et c'était nous qui prenions les éclaboussures. Ils s'émurent quand même et décidèrent de faire gardienner les cocottes en période froide en faisant tourner les moteurs au ralenti et en laissant la chaudière en état de marche. Mais celà coutait cher en personnel et en gas oil et entraianit des plaintes des riverains, incommodés par le bruit des diesels et la purge à intervalles réguliers de la chaudière. Le problème fut alors presque résolu par l'adjonction d'un poêle Potez qui devait être allumé par le conducteur à sa fin de service et à la mise à l'arrêt du fourgon. Le poêle, quand il fonctionnait normalement, devait maintenir une température empéchant le gel du moteur et de la chaudière. Ces poêles simples et rustiques fonctionnaient au mazout et il fallait souvent les ramoner, auquel cas nous ressortions de la cocotte aussi noirs sinon plus qu'à la vapeur. Quelques fois, il arrivait que le poêle s'éteigne pendant la nuit : alors la cocotte refusait tout service. En réversibilité, dans la cabine de conduite du fourgon, il n'y avait qu'un misérable radiateur (là encore, les agents avaient été complètement oubliés) : on y gelait littéralement. N'ayant pas de glaces chauffantes, les glaces frontales par temps froid étaient prises et obstruées par le givre, rendant la visibilité nulle, et il fallait ouvrir la glace latérale de gauche pour l'observation des signaux, tout cela en tripotant du pied la pédale de la VA (Veille Automatique). C'était vraiment agréable ! Pire qu'à la vapeur ! Un collègue avit imaginé pour dégivrer les glaces au départ de Gretz Armainvilliers de bréler de vieux chiffons et des journaux. Pour vraiment attirer l'attention en haut lieu, je trouvais une solution originale, car malgré nos réclamationsau comité mixte d'entreprise, les rapports des mécaniciens aux bulletins de traction et mon intervention directe en tant que délégué des agents de conduite, rien ne se dessinait à l'horizon pour améliorer cet état des choses. Ce matin-là, il faisait très froid. Une épaisse couche de givre habillait la glace frontale du fourgon, supprimant toute visibilité. Je décidais donc de faire un arrêt prolongé à Emerainville Pontault. Je bloquais la rame, descendais du fourgon et rentrant dans le BV (B‰timent Voyageurs), je m'installais sur une chaise, les pieds sur le poêle dans le bureau du chef de sécurité qui prit celà du bon coté, et les voyageurs aussi (ce qui était exceptionnel, leur expliquant que l'on se battait aussi pour un meilleur confort pour eux et leur sécurité). Je restais là quelques minutes. Aprés avoir gratté la glace, peine perdue, j'avais le nez et les pieds gelés, le chef de train aussi. A l'arrêt à Rosny sous Bois, même chose qu'à Emerainville ; mais là, le chef de sécurité m'intima l'ordre de repartir et d'une façon inamicale. Je n'en fis rien. Quand mes pieds eurent repris une température normale et malgré les coups de téléphone du régulateur car les autres trains derrières buvaient la tasse (prenaient du retard), je reprenais ma marche, arrivant à Paris Est avec 10mn dans la vue. Bien entendu, je fis un rapport détaillé sur les raisons de mon comportement. Faisant suite à ceux de mes collègues et ayant perdu du temps, personne ne pouvait ignorer la situation. Je n'eus aucune demande d'explication supplémentaire. Le silence total. Mais en tant que délégué des agents de conduite, je fus avisé qu'un deuxième radiateur allait être posé ainsi que des glaces chauffantes dans les délais les plus courts. Il me faut revenir sur les 66000 qui étaient d'excellentes machines. Il était rare que l'une d'elle patine, même avec des trains très lourds. Des essais d'endurance furent effectués par deux 66000 en UM (Unité Multiple) sur les trains 43 et 44 aller et retour Paris Est - Mulhouse, 984 km et 24 arrêts. Paris : 8.30 Mulhouse : 14.30 / 16.10 Paris Est : 22.06. Elles se comportèrent d'une façon exemplaire. . J'eus l'occasion de faire des essais de vitesse et de freinage entres Chaumont et Langres attelé à une voiture spécialement équipée. Si mes souvenirs sont bons, nous avons roulé à plus de 150 km/h (sous toute réserve). Les 66000 décollaient des trains d'essence de 1800t à la raffinerie de Mormant sans un coup de chaussons (patinage). Ces rames avaient des attelages serrés et il fallait démarrer le train en bloc d'un seul coup de collier. Avec les 63000 et 66000, nous avions mangé notre pain blanc et bienheureux que nous ne savions pas ce qui nous attendait avec les engins qui suivaient. Sortie d'usine en avril 1962, la 68001 fit son apparition au dépot de Noisy fin 1963. A la voir belle et rutilante, c'était quand même une belle bête de 2000 ch qui contrastait avec les 63000 et 66000. Je fus autorisé à leur conduite le 16 novembre 1963 aprés l'école de Chaumont. Que de déboires et de désillusions nous réservaient ces superbes machines qui furent lancées sur les rails en service commercial marchandises, messageries et voyageurs express avec peu d'essais d'endurance à mon avis et l'envie de nos dirigeants de mettre au tas le plus rapidement possible les machines à vapeur, qui prendraient encore leur revanche à une certaine époque, des barouds d'honneur pour elles. Pour la première machine diesel de route exceptés bien entendu les 060 DB de La Rochelle, ce fut un désastre dès le départ. Les réserves et les demandes de secours s'amoncellèrent en quantité d'autant plus importante que le nombre d'engins mis en service augmentait, créant une superbe pagaille au grand désespoir des chefs de feuille et de l'atelier. Il n'y avait pas un conducteur qui ne puisse faire une tournée complète sans incident. On voulait évincer la vapeur le plus vite possible mais à quel prix et surtout les désagréements subits par les voyageurs en ce qui concernait la régularité. De toute ma carrière de vaporiste, je n'avais eu qu'une demande de réserve sans perte de temps (train 1114 avec la 141 P 60), mais celle en traction moderne allait être couronnée de 43 incidents en ligne, 10 demandes de réserve, 10 demandes de secours et 23 arrêts en ligne avec dépannage mais perte de temps (en annexe pour détails), et je suis un de ceux qui étaient dans la moyenne. Il n'était pas rare que notre express 410 de Chalindrey à Paris connaisse des retards importants. Le pom-pom est pour un 410 dont je ne me rappelle pas la date, fait par un de mes collègues : -68000 au départ de Chalindrey. -Demande de réserve à Chaumont : départ de Chaumont avec une 66000. -Demande de réserve à Troyes. Départ de Troyes avec une 230 B. -140 C au départ de Longueville jusqu'à Paris Est ( avec seulement 30mn de retard à l'arrivée : il faut le faire). Les voyageurs se montraient dans l'ensemble très gentils et compréhensifs et compatissaient même à nos misères, quand quelques uns se risquaient à venir nous voir en attendant le secours de la machine et de nous dire que celà allait mieux du temps de la vapeur (je n'ai jamais eu autant de contacts avec les voyageurs des grandes lignes qu'à cette période noire). Au départ de Paris Est, les habitués de la ligne venaient voir l'engin qui était en tête. S'ils voyaient un petit P ou une 2P, ils allaient s'asseoir rassurés acr ils savaient que le train serait à l'heure. Mais s'ils voyaient un 68000, ils savaient alors que tout était possible, même le pire. Pour mon compte personnel, j'en avais été à calculer, à partir de points kilométriques (PK) précis de la ligne avec une charge déterminée et compte tenu du profil, jusqu'o je pouvais rouler sur l'ère afin d'atteindre une gare ouverte à la sécurité pour éviter la protection en pleine voie et pour une demande de secours éventuelle, qui était alors faite verbalement et pour laquelle le chef de sécurité prenait les dispositions adéquates avec le régulateur, le conducteur étant dégagé de tous les problèmes de sécurité qu'il était obligé d'assumer pour un arrêt en pleine voie. Par exemple, avec l'express 49 "Arlberg Express", avec une charge de 700 t : en cas de coupure de traction, on allait du sémaphore de La Madeleine avant Maison Rouge largement en gare de Longueville (environ 10 km, du PK 78 au PK 88). Et au-delà, jusqu'au PK 110 à Nogent sur Seine si la panne avait lieu aprés le passage en gare de Longueville. Au début de 1963, je faisais un stage d'un mois à l'école autorails de Nancy. Il faisait trés froid et il y avait abondance de neige. Le stage en ligne s'effectuait de Nancy à Chateau Salins sur la ligne 66 qui continuait sur Benestroff et Sarralbe. La ligne était à nous et nous pouvions nous arrêter n'importe où en pleine voie. Il y eut de belles batailles de boules de neige. J'aimais bien les X 3800 dits "Picasso". J'ai fait de l'étude de ligne sur Sézanne et quelques trains, car toute la nouvelle génération devait y passer. Il y en avit un beau parc à Noisy qui faisaient des tournées sur Coulommiers, La Ferté Gaucher, Esternay et Sézanne. Avant l'électrification, ils faisaient les navettes Crécy la Chapelle - Esbly Gargan - Aulnay sous Bois ( celle-ci sur le Nord ). Il y avait aussi un AR Paris Est - Chateau Thierry, le 3923 Paris ( 6.05 ), direct Lagny et omnibus Chateau Thierry ( 7.40). Le 3926 Chateau Thierry ( 7.47 ), Paris ( 9.47 ). Les Picasso étaient équipés d'un moteur de 300 ch. Les pannes étaient très rares. Ils avaient 4 vitesses, et leur levier de commande était très long, avec une énorme boule à sa partie supérieure. Nous faisions du double débrayage. C'était très agréable et souple comme conduite quant on avait l'engin bien en main, haut perché dans le kiosque de la cabine de conduite, mais un peu bruyant (surveiller en pompant le niveau d'eau). Je me rappelle ma première tournée à mon compte : AR Paris - Chateau Thierry, 190 km. Il fallait faire très attention au serrage car ils s'enrayaient facilement et adieu le quai. Il fallait prendre ses précautions à l'avance car les sablières étaient plombées et il était interdit de s'en servir sauf en urgence. Cette interdiction était dée au fait que, compte tenu de l'enrayement, le sablage provoquait des plats aux roues. Il fallait serrer fort et débloquer aussitôt pour provoquer un serrage efficace. Certains quais d'arrêts facultatifs dans la nature étaient aussi grands qu'un mouchoir de poche. Les vieux briscards qui ne faisaient que du Picasso passaient les vitesses en poussant le levier avec leur pied sans débrayer, seulement au compte-tours du moteur. Pour ma part, je ne m'y suis jamais risqué. Vers la fin de l'année 1964, 2 prototypes de grande puissance firent leur apparition sur la ligne 4 Paris Mulhouse : les 69001 et 69002. 2 moteurs de 2400 ch à transmission hydraulique par boite Voith. Je fus autorisé à la conduite de ces 2 engins le 29/ 12/ 1964. Ma première réserve à la traction thermique eu lieu le 29 décembre 1964, sur l'express 11 409, remorqué par la 68007, avec avarie au contacteur d'excitation. Arrêt sous les voétes de Philippe de Girard, à la sortie de la gare de l'Est, dans la zone du poste 1. De cette dernière, je réussissais à refouler à quai et je repartais avec 35 mn de retard avec une autre 68000 descendue du dépot de la Villette, mettant une superbe pagaille en pleine période de pointe pour la banlieue et les nombreux trains supplémentaires mis en marche pour les fêtes de fin d'année. Ce fut le début d'une série noire. A la vapeur, le mécanicien mettait son nez partout alos qu'à la traction moderne le roulement prévoyait une PC (Préparation Complète) ou une PR (Préparation Réduite). Avec cette dernière, le conducteur n'a que des points précis à contrôler ou à regarder. Il n'a aucune initiative à prendre et, bête et discipliné, doit appliquer le guide de conduite qui prévoit tout et ignorer le reste. Le guide pouvait différer d'un engin à l'autre au sein d'une même série, des modifications ayant pu être faites à titre d'essai. Des robots, voilà ce que nous étions devenus. Ce qui passait pour une règle d'or à la vapeur, tout voir, out prévoir, anticiper, remédier le cas échéant, tout celà était devenu caduque. Les méthodes que l'on nous avait inculquées et fait adorer pendant des décennies étaient maintenant honnies, bannies et foulées aux pieds. Le guide, encore le guide, toujours le guide : presque le livre de Mao, le petit livre rouge. Que ce soit pour la préparation, la visite, la conduite, le dépannage, c'était les oeillères, la robotisation totale, la négation de tout ce qui avait fait la fierté des anciens de la vapeur. Les termes "ma machine", "mon compagnon", tout cela faisait partie d'un passé à jamais révolu. Je concrétise par un exemple ; devant assurer le VT 1113, train dont j'ai déjà parlé, la prise de service était vers 1h du matin avec une préparation réduite. Par habitude, je passe dessous alors que je n'avais rien à y faire. Ma curiosité l'emportant, je vérifie le niveau d'huile dans les carters d'engrenages des moteurs de traction : aucune trace d'huile au bout des jauges. J'avise le chef de nuit qui fait faire le complément par l'ouvrier de service. Il faisait froid et il fallut dégourdir l'huile "Carter" qui est très épaisse, d'où 1h de retard au départ de Vaires Triage, se répercutant jusqu'à Troyes. Quelques jours plus tard, j'étais accompagné par M. Moncel, inspecteur traction, qui venait spécialement me voir pour ma sortie tardive ai VT 1113. Bien entendu, je lui expliquais les raisons. Il me laissa parler sans m'interrompre puis il me dit "Tu n'avais pas à regarder les carters d'engrenages. Ce n'est pas prévu au guide dans une PR, et s'il y avait eu un pépin, c'est l'atelier qui rincerait". Aprés une discussion animée, l'affaire en resta là, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Le 3 mai 1966, à l'express 45 à destination de Bâle avec correspondance pour Zurich et Milan, départ 12.28 avec la 68000, rupture de la conduite de refoulement du compresseur au réservoir principal. Cette machine faisait l'objet d'essai de modification. La conduite était complètement déboitée sur le compresseur, privant d'air le circuit de freinage. Demande de secours entre Gretz Armainvilliers et Villepatour ; retard : 1h28. Quelques temps aprés, à l'express 44 avec 68000 de la série précédente ayant aussi son tuyau de refoulement modifié, visite rapide du compartiment moteur à l'arrêt de Troyes. Je me rends compte que le tuyau de refoulement du compresseur sur le RP est en train de se déboiter. Je me tate : réserve ou pas ? Car je ne suis pas en panne : toujours le guide ! Tant pis ! Je demande la réserve, qui est à coté. Echange de machine, quelques minutes de retard au départ, à l'heure à Paris Est. Comme il se doit, n'étant pas en panne, prendre la réserve sans l'autorisation du guide constituait encore un crime de lèse-majesté à mon actif. Mon chef de traction, M. Mouge, vient comme il se doit aprés pareille inf‰mie m'accompagner une fois de plus, et ce ne sera pas la dernière. A la suite de cette demande de réserve préventive, il me fit amicalement les remontrances d'usage. Il savait que j'avais raison mais ne pouvait me le dire. Bien entendu, tout se sait dans les foyers. Au dépot, chacun raconte ses incidents. Les commentaires allaient bon train, mieux que ceux que nous remorquions. Une autre fois, toujours au train 44, avec Pierre Volkaert passant lui aussi une visite du compartiment moteur à l'arrêt à Troyes, il entend des cognements suspects et inhabituels. Il était comme tous les conducteurs au courant des réflexions formulées à mon égard au sujet de ma demande de réserve préventive. Donc: ça tourne, nous ne sommes pas en panne, et en route pour Paris ! Hélas, comme le guide ne prévoit pas tout, et le conducteur étant pris pour un ignare, à Maison Rouge, un piston choisit la liberté, entrainant la demande de secours et une arrivée à Paris Est à une heure plus que tardive, avec les inconvénients qui en découlent pour les voyageurs : plus de métro, plus de bus, correspondances manquées. A la grande maison, on s'empressa de reprocher à Volkaert de ne pas avoir demandé la réserve à Troyes, mais là encore notre CTRA M. Mouge intervont. Il était très juste et prenait toujours notre défense lorsque cela était justifié. Bien entendu, à l'arrondissement traction, cela faisait du bruit et du remue-ménage mais notre CTRA leur dit " : Il faudrait savoir accorder les violons : on reproche à Bonnin une réserve préventive et on reproche à Volkaert de ne pas l'avoir demandé !". L'affaire en restera là une fois de plus. Il fallait avoir les nerfs solides pour être conducteur de 68000 à Noisy le Sec, car à chaque départ, nous nous demandions toujours o nous allions planter un chou. Cela devenait une obsession, et pour cause : nous ne pouvions jamais prévoir ce qui se passerait, que se soit au niveau du moteur ou au niveau électrique. Certains avaient une vraie trouille et quelques uns à l'esprit tordu dont je faisais partie entretenient cette psychose pour rigoler, inventant des pannes qui n'existaient pas. Il fallait garder le moral ou laisser tomber. En mai 1967, je fus autorisé à la conduite des rames automotrices X 4300 à moteur Poyaud à plat sous la caisse. Je fis mes stages en ligne sur le Nord et nous fûmes en roulement régulierles semi-directs pour Troyes en couplage. Comme aux 68000, il n'y avait plus de robinet H7 et les X 4300 avaient un dispositif de vitesse affichée. Le 2 février 1968, je remorquais le train express 43 avec la 68508. J'eus 2 déclenchements de QT (relais de traction) entre Paris et Troyes. Le guide ne prévoyait la demande de secours qu'aprés 3 déclenchements de QT. A l'arrêt de Troyes, un coup d'oeil en priorité à l'armoire électrique o je m'aperçois que 2 inverseurs sont collés et je prévois le gros pépin avant Chaumont, car le profil est dur (bien que le guide ne le prévoit pas). Je prends sur moi la décision d'isoler 2 moteurs de traction sur 4. Du coup, je fais aviser le régulateur par l'intermédiaire du chef de sécurité que je risque de perdre un peu de temps pour monter à Chaumont. Repartant à puissance réduite, la réponse me vint sous une forme que je n'ai pas appréciée du tout et dont voici les termes exacts " : Que le conducteur se démerde !". Je voulais bien admettre que le régulateur en ait ras le bol des réserves, secours et retards. Mais alors que devraient dire les conducteurs, qui sont eux aux premières loges ? Cette réponse me piquait au vif, et je décidais de prendre la réserve qui me tendait les bras à coté. Je coupe moi-même la machine, retard de quelques minutes au départ de Troyes et à l'heure au relais d'équipe à Chalindrey. J'étais RHR (Repos Hors Résidence). A peine avais-je fini de manger au réfectoire que le téléphone sonne : M. Chevillard, chef du dépot-atelier de Chalindrey, voulait me voir au sujet de ma réserve à Troyes. Il me reçut dans sa cage et me fit remarquer, amicalement car nous connaissant très bien, mais remarquer quand même, que je n'aurais pas dé prendre la réserve de mon propre chef et qu'en outre, je n'avais as appliqué le guide correctement. Je lui répondais qu'il fallait savoir si la SNCF était devenue une entreprise de démolition et si elle avait perdu de vue -et à tous les échelons- son rôle de service public. Les voyageurs payent pour emprunter des trains qui les amènent à l'heure. Je considérais que j'avais rempli mon contrat de conducteur en faisant l'heure et en limitant les dégats sur l'engin en tenant compte de la réflexion faite à mon encontre par le régulateur de Troyes. Une fois de plus, je n'en ai plus entendu parler. Ce fut très long pour transformer les anciens de la vapeur en robots et tant que l'esprit vapeur a été présent, nos dirigeants ne vinrent jamais à bout de nos réticences. Rendons à César ce qui appartient à César : il faut reconnaitre que malgré tout, pendant cette période de mutations en profondeur, tant pour les techniques que pour les esprits, notre service traction a été disons assez souple. Tous les problèmes que nous avopns pé avoir ont été rarement sanctionnés, à par ceux qui étaient flagrants et qui concernaient la sécurité ou de grosses erreurs de diagnostic. Encore un exemple de la bêtise de certains de nos dirigeants, et quand j'emplois ce terme, ce n'est pas à l'échelon local, qui eux connaissaient les problèmes, mais à un mini-ponte qui ne voulait pas nous voir en bleu de chauffe dans les cabines de conduite que nous salissions, et c'était vrai. Mais les impératifs des roulements et des pannes ou des secours faisaient que pour la même étape nous avions les 2 modes de traction car en cas de réserve, on nous refilait une P ou une R, voire une C. J'en ai peu parlé, mais j'y reviendrais car nous roulions aussi aux 241 P qui étaient basées à Chaumont avec les équipes de ce dépot, les machines en banalité : 409 et 410, 4049, 4050 et train drapeau 47 (trains en roulement 130 de Noisy). A la suite de ces réflexions désobligeantes à notre égard, je collais un jour un beau retard au 409 au départ de Paris Est. Ce jour-là, il était assuré en 68000. Mais l'engin n'étant pas rentré, j'avais été commandé avec une 141 P. Je finissais de préparer la machine quand environ 5mn avant l'heure de sortie, le haut-parleur me prévient que le diesel venait de rentrer et était en train de se ravitailler en gas-oil. Je devais donc faire le 409 avec lui et abandonner le petit P." D'accord, mais je change de tenue". Discussion animée à la feuille : - C'est toi qui paieras le retard ! - Eh bien, c'est ce que nous verrons ; mais moi, je vais me changer ! Résultat des courses : 15mn dans la vue au départ, rapport circonstancié au bulletin de traction avec un additif, car la case réservée à cet effet n'était pas assez grande. Et là encore, silence sur toute la ligne. Je n'en ai jamais endentu parler, je me suis mis des minutes gagnées dans la poche et on nous a fichu la paix avec ce problème. En 1969 arrivèrent à Noisy 2 prototytpes de diesel-électriques à alternateurs, les 70001 et 70002, qui servirent de cobayes pour les 72000. Un jour, je restais en rade à Mormant au 409, et comme j'avais un 68000 en véhicule, je m'en suis servi pour me dépanner en tirant le train et en poussant la 70000 jusqu'à Longueville où je l'ai garée. Une autre fois, et toujours au 409, avec la 70002, j'allais de Romilly sur Seine à Troyes avec un 63000 en tête. Un bel attelage. Quand elles voulaient bien ne pas être en panne, les 69000 et 70000 étaient des engins très puissants. Au départ de Paris Est, sur progression rapide, nous mettions aux électriques une demi-longueur de train dans la vue à Pantin (mais celà s'arrêtait là). C'était quand même de la belle mécanique, surtout qu'avec les 69000, nous avions la possibilité de tractionner avec un seul moteur ( 2 moteurs de 2400ch, soit 4800ch). Mais attention aux températures. Avec la 69001 au 410 en 1969 entre Gretz Armainvilliers et Ozoir la Ferrière, j'ai eu une rupture de la canalisation du circuit d'huile du moteur 2. Je parviens à Paris avec un seul moteur et à l'heure, mais quel chantier ! Impossible de rentrer dans le compartiment moteur : l'huile chaude dégouline de partout, les 2 premières voitures sont dans un état pitoyable et le banlieue qui circulait derrière moi n'a pas pu s'arrêter en gare d'Ozoir la Ferrière pour cause de belle glissade sur des rails bien huilés. Le service de la voie dé mettre en place rapidement des TIV de chantier pour provoquer une limitation de vitesse à 30 km/h. Le 10 janvier 1969, je suis resté 4 h en gare de Nangis et en principale avec le marchandises VT 1113 et la 68501. L'incident est arrivé à 5.50 du matin. Le train étant comme de coutume long et lourd et en l'absence de machine assez puissante à Longueville pour l'enlever, il aurait fallut dédoubler ou mettre une machine en tête et une autre en queue. Dans l'immédiat, le régulateur jugea plus rentable de faire voie unique temporaire entre Longueville et Verneuil par pilotage sur voie 2. Encore une belle aventure ! Finalement, vers 10.00 du matin, une 68000 venant HLP de Troyes et à contre-voie de Longueville à Nangis vint nous dégager. Anecdotes du métier. Au service d'été, l'Arlberg Express ne s'arrêtait pas à Lure ; seulement au service d'hiver. En été, il était doublé par un autre express, le 48. Le premier jour du changement d'horaire, comme prévu, je m'arrête à Lure. Quai éteint. Un voyageur descend dans le noir, pas de chef de sécurité. Je me rendd donc au BV et tape à la porte. Au bout de quelques instants, une lumière s'allume et une tête ébouriffée apparait : le pauvre ne se rappelait pas de l'arrêt du 48 au service d'été. Une autre fois, au 47, rapide pour Mulhouse, un des train-drapeaux de Noisy, alors que j'étais en gare de Paris Est, un monsieur se présente à la porte de la cabine comme étant le directeur et me demande l'autorisation de monter avec moi. Je lui répondais que je voulais bien le croire mais je lui demandais de me présenter sa carte l'autorisant à monter dans les cabines de conduite des locomotives, et ce bien que je le connaisse de vue (seulement). Il ne fit aucune objection et me dit : "Vous avez parfaitement raison d'appliquer le règlement, même a-à votre directeur". Ce fut la seule et unique fois de ma carrière que j'eus un directeur comme aide-conducteur. Bien entendu, sa présence a été signalée à mon bulletin de traction. Personne n'avait été prévenu de sa présence sur la 47, sans quoi le train aurait été "recommandé" et un CTRA aurait été présent. Mais il était venu incognito. Nous avons causé de choses et d'autres, sachant très bien que Ôétais délégué des agents de conduite ; et pour la première fois de ma vie, j'ai fumé aussi ses cigarettes. Carré de Nangis fermé au 4050 aprés avoir franchi l'avertissement à la fermeture. Ce carré protège le passage à niveau quand il est ouvert. Arrêt. Je téléphone : pas de réponse. Je prends ma lanterne et vais à la barrière qui est grande ouverte. Il était donc normal que le carré soit fermé ; ce qui ne l'était pas, c'est que le gars du poste dorme. Je l'ai réveillé en lui tapant sur l'épaule : "Alors, tu le laisses passer le 4050 ? Tu pourras te rendormir aprés si tu veux !". Il me demanda si je le signalerai. Pour mon compte, lui dis-je, je ne porte pas le motif, je porte seulement le temps perdu. Je ne peux pas faire moins car l'arrêt se verra au dépouillement de la bande. Toi, tache de t'arranger avec ton patron. Nous avions en roulement un AR Vaires - Reims aux marchandises. Les marches étaient tracées pour des 141 R. Nous grimpions la côte de Fère en Tardenois à 10 km/h (rampe de 6) et nous faisions l'heure. Quand nous eémes les 68000, nous passions en avance à Fère et les demandes d'explications pleuvaient : "Vous avez circulé avec x minutes d'avance de Mont Notre Dame à Fère en Tardenois. Veuillez fournir vos explications". Et je dus intervenir en expliquant que grimper Fère à 10 km/h avec une R et à 10km/h avec une 68000, si cette dernière patinait, on faisait cul (planter un chou) et en plus on ab"mait le matériel. Mais malgré celà, rien ne fut fait pour remédier à cet état des choses. Jusqu'au jour où un conducteur a fait l'heure, a patiné, et a planté un chou. Couverture du train, dédoublement de ce dernier avec toutes les conséquences qui s'en suivirent pour les autres trains. Il a fallu encore, à la suite de cet incident, discuter à l'arrondissement avec des gens compétants (je crois que c'était avec M. Gévaudan, inspecteur traction). La solution était simple pour tous : monter la côte normalement pour une 68000 à 30 km/h, marquer l'arrêt en gare de Fère et repartir à l'heure normale de passage. Un avis fut fait dans ce sens pour les trains intéressés. J'avais un collègue de Noisy, ancien conducteur d'autorail, qui avait accédé au grade de CTRA et qui avait été nommé à Reims. Il revint ensuite à Noisy, son dépot d'origine. Depuis son départ, les 72000 étaient enservice et il ne les connaissait pas très bien. Il monta en cabine au 40, train drapeau, à Troyes et il me demanda si je voulais lui laisser faire le train (un CTRA ne prenait jamais d'office la conduite d'un train sans au préalable en demander l'autorisation au conducteur). Bien entendu, j'acceptais ; je n'avais aucune raison de lui refuser. Bien qu'étant CTRA, je me permettais de lui demander s'il avait la pratique du frein à haute puissance qui était en service sur les voitures du 40 et je lui expliquais d'à l'entrée en gare de Paris Est, il devait se méfier et être à environ 25 km/h à l'entrée des quais puis serrer modérément au frein direct de la 72000, bien entendu sans l'enrayer, puis serrer au moment de l'arrêt définitif. S'il se servait à cette vitesse de l'automatique, c'était l'arrêt sur place. Nous abordons les quais à 26 km/h. Je le voyais qui hésitait à se servir du frein direct, cette méthode étant prescrite par le règlement. Le butoir approchait à environ la longueur de 2 voitures. Il fit une dépression et essaya aussitôt de débloquer au BP (bouton-poussoir de déblocage électrique). Mais il était trop tard, et je vous prie de croire qu'un train-drapeau qui s'arrête à 40m du butoir, cela la fiche mal. Il fut beau joueur, reconnu son erreur et se montra quand même à la porte. Au début de la traction thermique, il régnait une solidarité d'acier entre les mécaniciens et les conducteurs car nous étions tous dans la même galère. Au passage à Troyes, comme nous couchions au BV, nous portions à nos collègues une bière fra"che et s'il avait un problème, même n'étant pas de service, on s'aidait. Là, il n'était pas question de politique, ni de religion ou de syndicat. C'était encore du vieux chemin de fer, on se donnait la main le cas échéant pour des pannes ou des prises d'eau avec les cocottes-minutes que nous trainions avec les 66000, 69000 et 70000 et parfois avec les 68000 quand la chaudière était en rade. Je me rappelle un réveillon de Noël à Troyes, fait avec un chaumontais, un belfortain et moi, chacun amenant une part des agapes. Tout s'était très bien passé, nos trains respectifs étaient tous à l'heure (nous pouvions faire une croix dans la cheminée). Avec les départs en retraite des anciens et la venue de jeunes conducteurs, ces pratiques ont totalement disparues, comme la vapeur. Maintenant, c'est chacun pour soi. Une nuit, je faisais le 4049. Normalement, les signaux protégeant la sortie et la rentrée des mouvements de la raffinerie de pétrole de Mormant devant être, en dehors de ceux-ci, en position d'ouverture, ils étaient commandés sur place par les agents chargés des manoeuvres. Cette petite section était équipée de panneaux lumineux avec cantonnement par carré. Avertissement fermé ; panneau fermé ; plaque Nf (Non franchissable) ; personne ne répond au téléphone ; pas de protection de mon train car j'avais un ordre écrit où j'étais dispensé de protection en cas d'arrêt en pleine voie de Verneuil l'Etang à Troyes (Cette ligne, bien qu'à protection, comportait des dérogations pour certains trains ne comportant pas d'agent d'accompagnement en queue. Le cantonnement était téléphonique). Les cisaillements d'entrée et de sortie faisaient l'objet d'une consigne particulière dont les agents de conduite n'avaient pas connaissance et il n'était pas prévu que le panneau puisse être à la fermeture en dehors de la période des manoeuvres pour la desserte du faisceau de la raffinerie. Pour boire la tasse, je l'ai bue (retard important), et par tous les bouts : perte de temps, bien trempé sous un orage. Je n'allais pas coucher là, alors, application du règlement en pareille situation : reconnaissance à pied des aiguillages sur tout le parcours englobant la zone de l'embranchement. Je n'ai remis le 4049 en branle que quand j'ai eu la certitude que tous les appareils de voie étaient dans une position conforme à l'itinéraire que je devais emprunter, puis marche à vue jusqu'à Nangis avec arrêt pour signaler l'anomalie. Dans les roulements, nous avions hérité du Sud-Est, qui lui s'en était débarrassé, de deux 66000 modifiées, les 66501 et 66502. Ne pouvant rien en tirer de valable que des ennuis. A l'Est, nous ramassions ce que les autres ne voulaient pas, le principal étant de faire disparaitre nos vieilles bouilloires. Ces engins étaient équipés d'un moteur Sulzer. Ils étaient puissants mais collectionnaient les détresses et les réserves. A chaque fois que l'on voulait m'en coller un, c'était un refus catégorique de ma part ou alors, je demandais à être accompagné par un conducteur qui avait l'autorisation de conduite de ces 2 engins (basculage spécial) et je présentais au chef de feuille ma carte d'autorisationn de conduite qui ne comportait pas ces 2 machines : personne ne pouvait m'obliger à partir avec. Une seule fois, je suis parti avec la 66501 sur le 410 Chalindrey - Paris mais avec l'assistance d'un mécanicien autorisé. Quand nous faisions le 49 l'hiver, nous allions de Paris à Belfort. Ce train était toujours long et lourd ; souvent, la machine était en dehors des quais à la gare de l'Est. Nous utilisions de ce fait beaucoup de sable pour éviter les patinages et les sablières s'avéraient un peu juste en capacité pour cette étape de 442,7km. Je fis à l'époque dans le journal syndical local un article satirique sur une nouvelle race de tractionnaire, les "porteurs de sable" : ayant une peur bleue que l'on retire le 49 du roulement 130, ils partaient lourdement chargés avec leur barda habituel plus un ou deux sacs de sable. Le problème fut vite résolu par le complément des sablières lors de l'arrêt de Chaumont. Mon article fit le tour de la région et déborda sur le Sud-Est et ceux qui pratiquèrent cette méthode furent montrés du doigt. Moi, je ne me fis pas que des amis dans ces derniers : pourqoi ne pas emmener de l'huile au cas où, et du gas oil ? Le 49 resta à Noisy au roulement 130. C'était une véritable bataille occulte que se livraient les dépots pour piquer des journées aux autres au changement des roulements. Das les réfectoires, il y avait les soi-disant initiés qui savaient, ou les "on m'a dit", les "j'ai su par un tel", "on en a parlé". On aurait presque pu faire des paris comme au PMU, mais c'était pour des kilomètres, et la plupart du temps, les tuyaux étaient crevés. Pendant un moment, nous étions à Noisy particulièrement soignés au roulement 130 pour ce qui était de d'avaler des kilomètres et d'avoir de petits repos. Personnellement, je n'ai pas déclaré forfait. Mais quelques uns de mes collègues n'ont pu maintenir la cadence longtemps. C'est d'ailleurs une de ces années-là qui a été prise en compte pour les 3 meilleures années de ma carrière pour le calcul de ma retraite. On n'avait beau ne plus être à la vapeur, il fallait quand même avoir la peau dure. Un exemple de tournée : -Prise de service à Noisy : 17.35. HLP Paris Est (17.50). -Rapide 47 ( train drapeau ). Paris Est : 18.20. Belfort : 22.42 Coupure. -Train 48. Belfort : 2.06. Chaumont : 4.18. Repos. -Train 42. Chaumont : 15.40. Paris Est : 19.28. 890 km en un peu plus de 24 h Il fallait dormir vite, et comme à cette tournée, je buvais beaucoup de café très fort pour ne pas piquer du nez de Belfort à Chaumont, le 48 ayant une marche de corbillard(70 km/h), j'avais du mal à m'endormir à Chaumont. Et c'est au moment où le sommeil venait qu'il était déjà l'heure de se lever pour faire le 42. Les torchons de Belfort. En gare de Belfort où nous couchions après la remorque du 47, j'eus quelques démélés avec "Monsieur le Chef de Gare" au sujet de torchons à vaisselle et de la saleté des locaux mis à notre disposition. Un soir, à l'arrivée du 47, alors que nous repartions le lendemain matin au 46, je n'allais pas me coucher de suite, attendant que le préposé à la vaisselle et à son essuyage soit venu pour me rendre compte de visu si ce que je supputais était possible. Je vis venir un agent de la gare, en bleu sale, faire la vaisselle sans détergent dans une eau plus que douteuse et l'essuyer avec des torchons qui n'en avaient que le nom. Aprés son départ, je rafflais les objets du délit. Le lendemain matin, je me présentais au secrétariat du chef de gare où je fus reçu par une nénette blonde et bien ripolinée qui bien entendu ne voulut pas croire que les loques que je lui présentais servaient à essuyer la vaisselle. J'insistais pour voir son patron en personne et elle me répondit que Monsieur le Chef de Gare étant très occupé ne pouvait me recevoir. Sur ces bonnes paroles, je lui dis que moi, j'allais m'occuper de lui et que nous aurions alors l'occasion de nous revoir. En rentrant à Noisy, j'allais voir directement mon patron, le Chef de Dépot Principal, lui racontant l'histoire. Il me dit " : Bonnin, laissez-moi celà, je m'en occupe !". Il fit parvenir les torchons à Monsieur le Chef d'Arrondissement Traction, accompagné de mon rapport. L'Arrondissement Traction renvoya en paquet recommandé et au nom personnel du Chef de Gare de Belfort les objets précités. Entre temps, le chef de gare avait fait un rapport contre moi, selon lequel je m'étais approprié du matériel qui ne m'appartenait pas et qui manquait à l'inventaire du service de la lingerie de la gare de Belfort. De quoi rire ? Mais lui ne rigolait plus lorsqu'il reçut le paquet en provenance de Paris. La semaine suivante, je retournais à Belfort au 47 et j'étais prié à mon arrivée le soir par un pli du secrétariat de gare de bien vouloir avoir l'obligeance d'avoir une entrevue avec Monsieur le Chef de Gare. Je me rendais donc à son invitation avant mon retour avec le 46. C'est drôle comme je fus bien reçu : sourire de la ripolinée, poignée de main, "Je vous en prie, asseyez-vous ! Mais c'est un malentendu ! Vous auriez dû dire à ma secrétaire que vous étiez délégué du personnel : je vous aurais reçu !". Quelle platitude ! Je lui répondis qu'il y avait donc 2 poids, 2 mesures : en tant que conducteur, on pouvait m'évincer, ce qui fut fait, mais en tant que représentant du personnel, ce n'était pas le même régime. Je lui faisais remarquer que s'il avait bien voulu me recevoir en tant que conducteur, l'affaire n'aurait pas quitté l'échelon local. Celà dit, les torchons étaient désormais propres. Encore un exemple de la bétise bureaucratique et d'individus mal inspirés qui veulent faire parler d'eux : les mauvais coups se passaient souvent les mois de juillet et août, aux périodes de congé des titulaires. Des remplaçants voulaient se faire mousser et montrer qu'ils étaient là pour veiller au grain : on allait voir ce qu'on allait voir, et la main sur la couture du pantalon, messieurs les tractionnaires ! D'accord tacite, tous les mouvements HLP entre Vaires - Torcy et Paris Est et vice versa circulaient souvent en avance et dans des horaires qui n'étaient pas ceux prévus aux roulements, et sans ordre écrit autorisant la circulation en avance, comme le prévoit pourtant le règlement. Celà arrangeait tout le monde : les agents de conduite pouvaient grignoter quelques minutes de repos en plus, les dépots de Vaires, Noisy et La Villette avaient les machines à disposition plus tôt que ne le prévoyait le roulement des machines (il y avait un roulement spécial pour les engins), donc disposaient de plus de temps pour les visites et réparations éventuelles et pouvaient le cas échéant remplacer au pied levé une machine défaillante. D'un seul coup, les 7PI pleuvent sur les mécaniciens ou les conducteurs, avec tous le même libellé " : Au cours du HLP n°... , vous avez circulé en avance sur l'horaire en violation de l'article... du règlement de sécurité. Veuillez fournir vos explications". Celà ne pouvait durer. Un trouble-fête avait trouvé à l'occasion d'un remplacement le moyen d'attirer sur lui l'attention de ses supérieurs. Le malheureux avait allumé une mèche ; attention à la détonation. Il aurait mieux fait de rester aufrais dans son bureau et de somnoler, car les tractionnaires, eux, ne roupillaient pas. Celà ne traina pas. Je donnais consigne par téléphone aux représentants TS des agents de conduite des dépots concernés, tous syndicats confondus, de respecter scrupuleusement les horaires de tous les mouvements HLP sans exception aucune, même pour les dégagements de machines en gare de l'Est. Il s'en suivit du fait de simplement appliquer le règlement une gène pour le service bien pire qu'une grève et plus efficace. A l'arrivée à Paris, la rame tirée, la machine suivait, montait au panneau puis s'arrêtait et ne partait qu'à l'heure indiquée. Le poste 1 de Paris se trouva rapidement submergé par les manoeuvres supplémentaires et les trains retardés. A Vaires, en arrivant aux marchandises, aprés coupure dela machine, on attendait l'heure pour rentrer au dépot, et les machines de relais ne pouvaient se mettre en tête. Le patron me fit appeler et me signala que tous les 7PI iraient au panier ( car j'avais demandé qu'ils me soient envoyés : j'en avais déjà un beau paquet et je devais monter à l'arrondissement pour régler ce différent). Encore une fois, le problème fut réglé à la satisfaction de tous les services et nous reprîmes nos bonnes vieilles habitudes. Je ne sais pas si l'auteur de ce zèle mal placé a eu droit à de l'avancement, mais il n'a certainement pas dé avoir de compliments. Mon dernier bel incident, bien que ne mettant pas pour une fois la traction en cause, eut lieu en gare de Lure le 1er janvier 1971, vers 3.00 du matin, avec 50 cm de neige et une tepérature de -14¡. Je m'en rappelle comme si c'était hier. C'était au train 11048, dédoublement du 48 Arlberg Express et ne comportant que des voitures couchettes occupées par des clients revenant des sports d'hiver en Autriche. Une voiture était bloquée. Je la trainais certainement comme celà depuis un bon nombre de kilomètres. A l'arrêt, les sabots étaient littéralement collés. Aprés l'avoir isolée pneumatiquement, je constatais l'absence de desserrage : timoneries, sabots, crémaillères, cylindres de frein étaient transformés en blocs de glace. Bien entendu, la solution de facilité aurait été de différer la voiture, mais que seraient devenus ceux qui y dormaient. Les réveiller en pleine nuit n'aurait certainement pas été apprécié, et je me met à leur place. De plus, le train était complet : les caser debouts dans les couloirs n'aurait pas non plus été une bonne solution.. Il fallait à tout prix qu'ils arrivent à Paris. Alors, ma foi, il ne me restait plus qu'une chose à faire : armé d'un burin, d'un marteau, d'un tire-goupille et d'une barre à mine, j'ai commencé le travail laborieux du démontage dans la neige des axes de timoneries. Tout était soudé par le froid. Le chef de train m'éclairait comme il pouvait avec sa lanterne. J'avais les ongles et les pieds gelés mais je transpirais. Je mis une bonne heure pour libérer le tout. J'aurais cré qu'en tapant sous la voiture, quelqu'un mettrait le nez dehors, mais personne n'a bougé. Mes clients sont arrivés avec un peu de retard et ils ne se sont aperçus de rien. Et il en était bien ainsi. Je suis parti en retraite le 1er Août 1971 avec quand même un petit pincement au coeur mais sans regrets car la traction moderne -exceptée la mauvaise période du rodage des diesels- était d'une monotonie terne et désespérante : travailler seul, manger seul, les longues nuits seul. C'est là que j'avais repris la mauvaise habitude de fumer, et de plus je ne me sentais plus à l'aise dans un métier où le sens des initiatives et des responsabilités était aboli au nom de la sacro-sainte rentabilité. Et puis, 32 de travail de nuit, des dimanches et fêtes, à se lever quand les autres se couchent ou à se coucher quend les autres se lèvent. La vie de chateau ! Mieux vaut ne pas en parler. Mon dernier train fut effectué en réversibilité sur un train de banlieue, le seul banlieue du roulement 130. Le chef de feuille m'avait demandé si je voulais finir ma carrière sur un train drapeau. Je refusais, car ce n'est pas un déshonneur que de finir sur un banlieue, même en ayant toujours été aux vitesses. Je partais donc en toute simplicité de la même façon que j'étais rentré un matin d'octobre 1936, accueilli à mon arrivée par mes 2 filles, mes 2 frères et mes camarades de travail qui avaient pu venir. Aujourd'hui, 20 mai 1992, déjà presque 21 ans que j'ai quitté le chemin de fer. Mais malgré les années, j'y reste très attaché, peut-être même plus, mais pas de la même façon qu'en activité. Bien que me tenant dans la mesure du possible au courant des nouvelles techniques, je me sens dépassé par celles-ci. J'ai renoué des liens étroits avec la vapeur, étant membre actif du GECP (Groupe d'Etudes pour les Chemins de fer de Provence), o j'ai retrouvé des gestes du métier et une ambiance du vieux chemin de fer, et celà avec des jeunes : atmosphère de la vapeur avec la "Portugaise" et la "Bretonne", et bien entendu l'occasion de ressasser des histoires d'antan. = = = = = = = = Plus on écrit et plus on se souvient. J'ai donc fait un additif pour des souvenirs variés et sans ordre chronologique. Sécurité. Le réglement des signaux prévoyait qu'en cas d'intempéries ou quand les conditions atmosphériques rendaient difficile l'observation correcte des signaux ( brouillard, tempête, neige), le mécanicien ne devait pas hésiter à réduire la vitesse de son train. A ce sujet, étant délégué d'arrondissement, notre grand patron, M. Masson, chef d'arrondissement et qui habitait Le Raincy - Villemomble m'a dit un jour de brouillard épais sur la région parisienne alors que les trains de banlieue étaient tous à l'heure : "M. Bonnin, ne venez jamais me voir pour défendre un de vos collègues qui boufferait un carré : je ne peux pas comprendre qu'avec une purée pareille, les banlieues soient à l'heure". On a perdu la clé du dépot. Quand la ligne de Longueville à Provins et Esternay fut rétrocédée à la Compagnie du Nord Est en 1938, un matin, pas de machine en tête du premier train à 5.14. Retard au départ dé à l'impossibilité de trouver la clé du cadenas de l'aiguille de sortie du dépot. C'est bon le lait ! Quand les trains de messageries étaient formés à Pantin zones 1 et 2, avant la construction du triage de Noisy, Pantin s'avérant trop petit pour le trafic, nous desservions la laiterie "Maggi" et là, j'avais tous les jours mes 2 litres de lait dont je me régalais ( j'étais chauffeur). Séjour chez les taupiers. Vers 1941, je fus détaché à la voie où j'ai appris à manier les "négresses" à riper les rails et à bourrer les "cacahouettes". Au bout d'un mois, le service des enclenchements s'inquiétait au dépot pour savoir où j'étais passé. J'avais été envoyé par erreur à la voie. Je quittais donc les gars du ballast pour aller avec ceux des enclenchements. Là, j'ai failli laisser ma peau sous une machine HLP que personne n'avait entendu venir car le couvreur travaillait avec nous. La machine est passée sur l'aiguille prise en talon qui était calée avec une cale en bois. Une chance qu'elle ait sautée par-dessus. J'ai fait des révisions de poste et j'ai appris à souder à la forge avec Léopold Chabrerie dit "l'Auvergnat". C'est là aussi que j'ai fabriqué une enclume dans un bout de rail. 53 ans aprés, je m'en sers encore dans mon atelier (le pointeau dont je me sers a été récupéré dans le foyer d'une machine mitraillée : c'est une balle anglaise. Cela fait 50 ans que je tape dessus, elle n'est même pas émoussée). Un apprenti : mon frère Pierre. J'ai eu mon frère Pierre que j'ai fait débuter à Noisy. Il était avec moi à l'atelier et peu de temps aprés il eut le bout d'un doigt bien abimé en remontant un axe de petite tête BP, ayant mis son doigt là où il ne fallait pas et la bielle étant redescendue... Où il est question de liquide et d'eau. Vers 1945 ou 46, étant jeune chauffeur, nous faisions la réserve le matin et ensuite un messageries pour Chalons sur Marne, le 4115. J'avais comme mécanicien Massicard, dit "Prosper", un vieux de la vieille. Pas moyen d'avoir la clé du coffre pour préparer la machine tranquillement. Il me traina derrière lui pour ingurgiter force coups de blanc. Il faisait très chaud et quand il se décida à aller à la machine et moi dans la cage des BP, à midi, j'avais vraiment chaud aux oreilles, vous m'avez compris. A notre époque, on parle beaucoup de la pollution de l'eau. Quand j'étais chauffeur aux 140 C, je buvais la même eau que celle du tender et à Lizy sur Ourcq, l'eau venait du canal et quelquefois de petits poissons frétillaient dans les paniers du tender. Une chose que je n'ai fait qu'une seule fois dans ma vie de roulant mais qui m'a été salutaire et m'a servi de leçon : c'est le jour où, chauffeur aux C, un peu avant Chalons sur Marne, je ne pus résister à la soif, prenant mon vin dans mon sac, bien tiède et bien secoué depuis Noisy. J'en buvais une lampée me paraissant supportable de prime abord ; mais ensuite, j'ai été bien malade. Histoire drôle. A Noisy, 2 chauffeurs faisaient équipe ensemble aux manoeuvres et un jour ils eurent un problème à l'Evangile (chantier sur le Nord). J'étais là quand le chef de feuille fut mis en communication avec le chef de sécurité de l'Evangile qui lui dit " : Qu'est ce que c'est que les 2 pingouins que vous avez là ? Je ne comprends rien à ce qu'ils disent, et en plus ils s'engueulent !". Et pour cause : il y en avait un, dit "Ouin - Ouin", qui parlait du nez et l'autre, dit "La Patinette", qui bégayait. Le coup de soleil. Ce n'est pas ce que l'on peut croire, mais la pire des choses qui puisse arriver à un tractionnaire : sur un marchandises en provenance de Longueville avec une 140 C, fusion de plombs à l'arrêt à Gretz alors que j'étais au timbre et un demi-tube d'eau. Bien entendu, j'ai payé la facture, mais à l'enquête, on aurait voulu me faire admettre que mon chauffeur n'était pas dans son état normal (qu'il avait bu), ce qui n'était pas le cas ce jour là, bien que malheureusement il soit coutumier du fait. Je fis une enquête personnelle et approfondie dans les dépots où cette machine avait relayé avec les copies des demandes de réparations relatives aux appareils d'alimentation relevées sur les 504 (livres de demandes de réparations). Et un peu avant mon incident, elle était restée "dans les choux" en gare de Villemomble, ne pouvant plus s'alimenter. J'obtenais un beau dossier pour ma défense. Malgré cela, je fus mis un mois aux manoeuvres, bien que ce ne soit pas ma faute. C'était le minimum, et j'avais été défendu par mon chef mécanicien, Jean Parent. Orages en ligne. J'eus des démélés orageux et vifs avec certains chauffeurs portés sur la bouteille. Car excepté pour le casse-croute, pas de vin sur la machine (eau, café ou coco). J'étais le patron et le responsable. Ayant cassé un litre de rouge sur le volant du frein à main à une 140 C, je me suis fait menacer avec la pelle par un chauffeur, tandis qu'une autre fois, un autre, dans sa rage, m'a traité par tous les noms d'oiseaux imaginables. Celui-là a pris mon pied quelque part et a été vite calmé. Une vedette. Dans tous les dépots, il y avait des "vedettes". Une de celles-ci était rentrée bien aprés moi au chemin de fer. Il était ouvrier comme moi et toujours en train de pleurnicher à la feuille pour rouler. Cela lui a réussi et pour une simple raison : l'atelier était content de s'en débarrasser car c'était, en terme peu amène, un "branleur". Nous ne nous aimions guère. Ce jour-là, je descendais une roue au vérin (fosse où l'on descendait les essieux sans lever la machine. J'attendais sous peu ma nomination de chauffeur et lui aussi. Il me dit : "De toute manière, je serais mécanicien avant toi !" (et ce fut vrai de quelques mois). "Bien entendu, lui dis-je, moi, mon père était agent de train, le tien est inspecteur au TIA" (traitement des eaux par le traitement interne Armand). Quand nous fûmes aux 141 P, je fus classé avec une machine titulaire ; lui, jamais. Justice soi-même. Il y avait un mécanicien, Louis Mathieu dit "Petit Louis". Alors que je restais au vestiaire, il déblatérait sur les délégués et mon Gabriel était dans le lot. Il a fallu me le retirer des mains à moitié étranglé. Attendez, les Parisiens. La Province arrive ! Un de nos nouveaux CTRA venait d'un dépot de l'arrondissement, ancien mécanicien et nommé à ce grade à Noisy avec des intentions de nous mater, étant moins dociles que dans d'autres dépots. Son premier éclat eu lieu avec un mécanicien chevronné auquel il voulut montrer comment freiner avec le H7 en descendant le viaduc de Nogent. Il en eut pour son argent. Celà n'arrive pas qu'aux autres. En faisant le dépot, j'ai déraillé plusieurs fois avec des R et je me suis débrouillé pour remettre le tout sur les rails, avec plaques de fer et planches (bien entendu quand ce n'était qu'une roue directrice seule). Avec Vançon et la 141 P 238, à Nancy à une époque où il existait encore des feux de signalisation de position d'aiguille à terre doublés d'une sorte d'oreille de cochon qui se trouvait en position verticale sur un des rails quand l'aiguillage donnait accés à une direction qui n'était pas la bonne. Le signal était fermé et nous avons déraillé les 2 roues directrices avant du bissel Zara. Nous avons remonté les roues encore avec des plaques de tôle et en agissant avec le régulateur BP. Touches pas à mes tampons. Des Super - Pacifics venant, je crois, de Calais avec leurs équipes avaient un découcher à Noisy. Leurs tampons avaient été peints en blanc. En rentrant les machines en remise, s'il se trouvait là une 141 TB devant, je remorquais la Pacific avec. Les machines de banlieue avaient, elles, au contraire, les tampons enduits de graisse. Vous devinez la suite. D'autre part, les Chtimis cadenassaient leur régulateur HP et il fallait tractionner au BP. A la prise de service, ils braillaient comme des ânes. A la feuille, ce problème fut vite réglé : ce fut eux qui garèrent leurs machines, accopagnés du mécanicien du dépot. Ils avaient une particularité : ils se changeaient de tenue à la rentrée, entre les voies et dans le fraisil, revêtant leurs habits de ville, mettant leurs bleus dans les coffres sous le tender et se lavaient ensuite. Ils faisaient aussi le commerce de harengs saurs. En cachette. Pendant la guerre d'Algérie, tout le monde bien entendu savait qu'il y avait des morts, mais aussi des blessés graves, amputés. Et les envoyer en convalescence ou en rééducation en France et par des trains de voyageurs réguliers aurait certainement entrainé des manifestations. Alors, on les envoyait en Allemagne en voiture ambulance. Cette dernière était rentrée au dépot de Juvisy et c'était la machine de Noisy du 44 105 qui la sortait pour la mise en tête où nous pouvions la chauffer. Et dans un messageries, ni vu ni connu, mis à part des cheminots. Coups de torchons. A l'actif d'une 141 R et d'une équipe de Noisy : un rattrapage à Mézy, gare aprés Chateau - Thierry, avec des dégats matériels importants (141 R non munie de la répétition des signaux). Une autre équipe de Noisy venant de Châlons sur Marne avec une 141 R (celle-ci munie de la répétition, respect des signaux et de la vitesse) à la rentrée au triage de Meaux ne s'arrête pas au croisement et continue sa course. L'aiguille étant faite sur un butoir, la R a fini sa course dans le jardin et la maison de la garde-barrières. Une grosse mouche. Il y avait un autre CTRA qui, en gare de Troyes, descendait du dépot pour voir si les équipes de Noisy respectaient bien les horaires du roulement pour la réserve. Je me cachais bien avant l'heure de la prise de service, accroupi dans la cabine du 66000. Je le vis arriver mais ne bougeais pas. Il faisait les 100 pas, regardant sa montre. Il se disait sans doute "Si je pouvais coincer le délégué, quel beau rapport en perspective !". L'heure passée, il monta dans la cabine où il fut très surpris de me trouver. "Par où es-tu passé ?" me demanda-t-il. Je lui rétorquais que moi, je n'avais pas besoin d'un mouchard. Il repartit, rouge comme une tomate. Des histoires de délégué. J'eus pas mal d'histoires à déméler ou à défendre en tant que délégué à la sécurité. J'avais eu la confiance et avais été élu par mes collègues agents de conduite et je faisais ce pourquoi ils avient mis leur confiance en moi. Je ne retracerais ici en aucune façon tout ce que j'ai fait, qui n'intéresserait d'ailleurs pas le lecteur. Seulement 2 anecdotes : Le chef de dépot de Nogent - Vincennes est avisé par téléphone que le fils d'un de ses chauffeurs vient d'être hospitalisé dans un état grave. Il laisse le chauffeur finir son train et quand il arrive à l'hôpital, son fils vient de décéder. Bien entendu, l'affaire n'en est pas restée là et l'arrondissement, mis au courant, sanctionna sévèrement ce patron auquel il fut reproché de ne pas avoir pris lui-même la place de son chauffeur lors de l'arrêt de son train en gare de Nogent, ne disposant pas de chauffeur de réserve. Congé mortuaire : là, c'est un mécanicien de La Villette qui m'écrivait pour que j'intervienne auprés du chef d'arrondissement. Motif: "refus du chef de feuille de La Villette pour lui accorder un congé afin d'assister à la messe anniverssaire du décés de son épouse". L'arrondissement téléphona au prêtre de la paroisse : la femme du mécanicien était bien enterrée là, mais le prêtre nous répondit qu'il n'y avait jamais eu de messe anniversaire de prévue et que la date indiquée ne correspondait en aucune façon à celle de la défunte. J'étais en colère car je n'aimais pas ce genre de plaisanterie. Le chef d'arrondissement l'a sanctionné : il ne l'avait pas volé. Malheureusement, pendant mon mandat à la sécurité, j'eus des enquêtes graves : 5 morts durant ma délégation par des accidents dans le dépot ou ailleurs. Nos bons petits P. Les 141 P étaient de très bonnes gazeuses, nettement supérieures aux 141 R. Une fois, à l'express 410, près de Nangis, toute la voûte dans le poële. Nous avons disposé les briques à l'arrières et sur les flancs et nous sommes descendus à Paris, regagnant le temps perdu. Le feu avait plus de 40 cm d'épaisseur. Avec une 141 R, il aurait été impossible de réaliser la même prouesse. Il y avait des petits P à petits fers et des petits P à gros fers : celles qui avaient des bandages neufs avaient moins de tours de roues à faire pour une même vitesse que celles dont les bandages étaient usés. Mon père : semences, plantes et météo (dans les années 36 à 38). Mon père, agent de train à Provins, était en roulement journalier sauf dimanche et jours de fête sur un aller - retour marchandises omnibus de Provins à Esternay, le 42 S 101 à l'aller et le 42 S 102 au retour. Le train comportait au minimum 2 fourgons et un wagon-frein à 2 essieux, tombereau rempli de terre. Mon père y faisait des semis pour obtenir des plants de salade, choux, etc... A la question "Mais comment arrose-tu ?", il me répondait "Je n'arrose jamais, il pleut toujours à un bout ou à l'autre". La monnaie de la pièce. Sur la 141 P 238, Vançon se souvenait du rire qui m'avait pris le jour des piquets à tomate et ne voulant pas être en reste, un jour où j'avais préparé une tranche de lard grillée dans la pelle préalablement chauffée sur laquelle se prélassaient 2 oeufs - j'en avait l'eau à la bouche-, un coup de souffleur propulsa le tout au-dessus de la voéte et moi, je me contentais d'une boite de sardines "made in Espana". Cocote - minute. (2 photos) Un fourgon-chaudière pour le chauffage à vapeur des rames de voitures de voyageurs remorquées par locomotives diésels ne comportant pas d'installations spéciales. Vue intérieure du fourgon comportant des réservoirs à mazout, à eau et une chaudière à vaporisation rapide. Chapitre VII. LA VIE D'UN AGENT DE CONDUITE. La SNCF et les anciennes compagnies comportaient différentes fillières mais il est impossible d'en apparenter une seule à la fillière conduite, exceptée peut être celle des agents des trains (appelée maintenant agents commerciaux) pour ce qui est des horaires de travail et des déplacements. Par sa nature, par le rythme de vie spécial qu'elle impose, par les obligations particulières qu'elle suscite, par les responsabilités qu'elle confère, par les conséquences de tous ordres engendrées, la fillière conduite est vraiment hors du commun. Indépendamment des obligations imposées dans le travail proprement dit, cette vie contre nature affecte pour une grosse part et marque très profondemment l'agent de conduite et ce jusque dans ses racines familiales. Sa vie est passée pour plus de la moitié du temps en dehors de son foyer. Son absence prolongée loin des siens les dimanches et les jours de fête est fréquente -bien que des grèves aient arraché des améliorations-, car à l'époque de la vapeur, il était courant d'être plusieurs mois sans avoir un dimanche et les congés annuels avec les enfants (juillet ou Aoét) tous les 3 ou 4 ans avec beaucoup de chance et très rarement en totalité. Au cours d'une carrière, légion sont ceux qui pouvaient d'une seule main totaliser les jours de No'l passés en famille et malgré les séances d'équilibriste du chef de feuille pour distribuer quelques miettes. Le seul fait d'être présent le 24 pour le réveillon ou de rentrer le 25 au matin était une satisfaction, bien minime, pour le bénéficiaire et sa famille. On se contentait de peu. Le travail de nuit. Qui dit travail de nuit dit sommeil de jour. Comment dormir et se reposer correctement dans les locaux d'un dépot ou d'une gare ? En traction moderne, à Troyes en 1971, les fenêtres des chambres donnaient directement sous la verrière, sur les quais. A Metz -Frescaty ( traction vapeur), le foyer était encastré entre la ligne de chemin de fer en talus, avec la voie à hauteur des fenêtres et la route nationale, auxquels s'ajoutaient pour faire bonne mesure l'entrée et la sortie du dépot, avec la fosse d'extraction, et pour couronner le tout le passage des avions à basse altitude. A Chalons sur Marne, avant la reconstruction en dur du dépot, nous couchions dans des baraques en bois, surchauffées l'été, glaciales l'hiver, et bruyantes toute l'année. Et en cadeau : les punaises, qui se délectaient de notre sang. A une certaine époque, à ce même dépot, nous avons couché dans des "voitures aménagées", et il m'est arrivé, ainsi qu'à d'autres, de préférer prendre mon "repos" dans l'herbe au bord du canal. C'était dur pour revenir la nuit, surtout que l'on savait que la tournée suivante, c'était rebelote : Chalons et son palace - 4 étoiles. Et comment récupérer à son domicile, dans un logement exigu et un quartier bruyant ? Heureusement, quelqu'un a inventé les boules Quiès : j'ai dormi avec pendant toute ma carrière, que ce soit dans les dépots ou à la maison. Certains ont-ils pensé aux tracas de l'épouse du roulant qui, pour préserver quelques heures de sommeil réparateur à son mari, emmène ses enfants- en l'occurence mes 2 petites filles- pour que le calme règne dans l'appartement. Que d'artifices pour effectuer les travaux ménagers sans faire de bruit, pour veiller aux pleurs du bébé, pour imposer dans la mesure du possible à de jeunes enfants des jeux silencieux. S'endormir était déjà un problème, ayant un arrêt de bus sous mes fenêtres. J'ai souvenir qu'une de mes filles, Martine, bien petite pour comprendre tout cela, plusieurs fois alors que je dormais depuis quelques heures, venait tambouriner à la porte de ma chambre : "Gaby ! Tu dors ?". Et c'était terminé : je somnolais mais je ne retrouvais pas le sommeil. A vrai dire, les enfants avaient moins de contraintes et mon épouse aussi quand j'étais absent. Ils ne comprenaient pas. Le départ ou le retour à une heure quelconque de la nuit impose à l'épouse des sommeils interrompus. Il fallait user de ruses de Sioux pour ne pas laiser tomber une casserole, car alors c'était comme un coup de tonerre dans le calme, et toute la nichée était réveillée. Et le réveil ! Ce maudit ustensile sur lequel on compte pour être réveillé à des heures impossibles, la hantise de l'entendre sonner de peur qu'il ne réveille tout le monde et donc un sommeil haché en le regardant toutes les 10 ou 15 minutes en se figurant que l'on a dormi des heures. Et l'angoisse de l'épouse lorsque l'heure du retour prévue est largement dépassée, supputant le motif du retard. La SNCF ne prévenait pas à cette époque l'épouse des retards. La préparation des repas pour emporter était un véritable casse-tête chinois quand, en service disponible, on était avisé 2 H avant la prise de service et en plus sans retour prévu (la grande inconnue). Nous ne possédions pas de frigo ni de congélateur : c'était un luxe que ne pouvait se permettre un chauffeur. Bien sur, il y avait les conserves chaudes ou froides mais cette manière de se nourrir n'est à la longue guère compatible avec le bon fonctionnement de l'appareil digestif. Avant, les cantines n'existaient pas au chemin de fer. Elles firent leur apparition sous l'occupation. Encore fallait-il que leurs heures d'ouverture correspondent avec nos horaires. A la traction moderne, j'allais plus souvent dans des buffets de gare ou des restaurants routiers, car même en traction moderne, personne n'a songé à mettre un lavabo ni un petit frigo dans les cabines. Il y avait des locaux aménagés pour faire sa cuisine ou réchauffer des plats, mais les repos de 8 H ne permettaient guère de faire les courses ni la confection du repas, car empiètant largement sur le sommeil. Il fallait dormir vite. Les trains roulant toute l'année, 24 h/24, l'agent de conduite ne dort ni ne mange à heures régulières, mais seulement quand les horaires des roulements le prévoient. Même sur des individus de robuste constitution, une telle vie a des effets néfastes à plus ou moins longue échéance sur la santé, le caractère et inévitablement sur la vie sexuelle du couple. De cette vie à contre-temps, avec des absences fréquentes et prolongés du cercle familial, l'influence du père de famille se ressent. Il ne peut avoir la même autorité sur les enfants, exiger la même discipline, ne les voyant que sporadiquement lorsqu'il est en repos. Il lui est très difficile de les suivre dans leurs études, de parfaire leur éducation, de les aider à la rédaction d'un devoir ou de leur donner des explications sur un texte incompris. Les vacances, sujet de discorde annuel dans le couple, tant appréciées par les autres travailleurs, le sont-elles par l'agent de conduite ? Oui, s'il a la chance que sa période coincide avec une partie des vacances scolaires, si elle s'étend sur 2 ou 3 semaines et si elle n'est pas à cheval sur 2 mois (location). Non, s'il a des enfants et que ses congés lui soient proposés en dehors des vacances scolaires. Pour les périodes des fêtes ( Pâques, Ascension, Pentecote, 14 juillet, 15 Aoét, Noël, jour de l'An), c'est "Zone Rouge" pour le chef de feuille. Indépendemment de sa vie familliale, la carrière est parsemée de nombreux aléas, comme les difficultés d'accés à la filière par les barrages des examens écrits et oraux, techniques et pratiques, visites médicales et psychotechniques -que nous appelions "la visite des fous"- le candidat ne doit avoir aucune déficience (vue, ouïe, coeur), au risque que tout soit remis en cause. Ayant satisfait à tous ces critères, il n'est pas quitte pour autant avec les contrôles permanents des connaissances techniques et de sécurité, les réglements concernant ces domaines étant en perpétuelle évolution. Cela implique un recyclage permanent pour l'acquisition de la connaissance des nouvelles machines, des examens pour l'autorisation à chaque nouvelle série d'engins. Les réglements sont nombreux, surtout ceux concernant la sécurité, que ce soit celle des trains, du personnel lui-même. La SNCF ne tolère aucune défaillance, ces dernières étant sévèrement sanctionnées : accompagnements fréquents, visite au médecin-chef, re-visite psychotechnique ; dans les cas graves, descente immédiate de l'agent au grade qu'il occupait à l'origine de sa carrière et sans compensation financière. En ce qui concerne le contrôle médical annuel des agents de conduite, toute déficience à un certain degré entrainait à une certaine époque le retour pur et simple au grade d'origine avec avec ses conséquences morales et pécuniaires. Il faut reconnaitre qu'en ce domaine, un grand pas a été fait dans la bonne direction à titre de compensation grace à l'action des syndicats. Les agents de conduite étaient les euls à être traités de cette façon discriminatoire. Le métier impose de grandes responsabilités. Les agents de conduite en sont conscients, car des millions de voyageurs leur confient leur vie et leur font confiance. A mon point de vue, un agent de conduite doit faire le maximum pour mériter cette confiance. Des millions de tonnes de marchandises, représentant une fraction notable de l'économie française, sont transportées dans les meilleures conditions possibles et pourtant, une fausse manoeuvre, une erreur, un oubli, une appréciation erronée, une faute d'apparenvce anodine, et c'est la catastrophe : des morts, des blessés, des marchandises détruites. Les réglements de sécurité qui ont force de loi ; la signalisation qui ne doit faire en aucun cas l'objet d'une interprétation quelconque -par habitude ou par routine- sont à la fois un solide bouclier et une épée de Damoclès : toute erreur, tout oubli est mis en mémoire sur la bande Flaman, véritable "juge de paix", qui est à la fois défenseur et accusateur. Toute faute professionnelle dans des gestes effectués des milliers de fois peut avoir des conséquences graves pour l'intéressé, pouvant aller jusqu'à la carrière brisée et à la prison. Quel travailleur n'a-t-il pas commis de fautes involontaires dans son travail quotidien ? Certaines sont effacées d'un coup de gomme ou de grattoir, des pièces de certains dossiers finissent au panier. Parfois, rien ne se sait, et il n'y a aucune suite. Pour l'agent de conduite, rien ne peut être caché. Toute faute de sécurité, même si elle n'entraine ni accident, ni incident, lui vaut une sanction administrative et pécuniaire. Il peut se voir imposer, alors que sa responsabilité n'est pas mise en cause, des mesures considérées par la corporation comme vexatoires et représentant une atteinte à sa dignité. En effet, lors d'accidents mortels de passages à niveau par suite de son engagement par un véhicule routier n'ayant respecté ni la signalisation, ni le code de la route, les autorités de police appliquent au mécanicien les dispositions de l'article 188 du code des débits de boissons, lui imposant une prise de sang alors qu'il a fait le plus souvent le maximum pour lilmiter les dégats et ec au péril de sa vie. Je ne dresserais pas ici le palmarès tragique des conducteurs écrasés dans leur cabine. Les risques de la fonction sont sérieux et permanents. Alors que le rail est présentement le moyen de transport offrant le maximum de garanties dans le domaine de la sécurité pour les voyageurs et les marchandises, de nombreux camarades paient de leur vie ou restent handicapés par des accidents de passages à niveau, et je tenais ici à leur rendre un hommage particulier car on parle peu d'eux. Malgré les vicissitudes de la profession avant, aujourd'hui et demain, les agents de conduite restent fidèles aux 3 règles d'or : Sécurité, Régularité, Confort. L'équipe : le travail du mécanicien et de son chauffeur. Le mécanicien et le chauffeur formaient autrefois une équipe. Souvent, ils travaillaient ensemble de longues années. Seule la promotion du chauffeur à un grade supérieur ou la retraite de l'un des deux les séparaient. Dans beaucoup de cas, cet esprit d'équipe, le fait de vivre plus ensemble qu'avec leurs familles respectives amenaient les deux hommes à devenir des amis inséparables, se confiant l'un à l'autre et partageant leurs joies et leurs peines. Le travail du mécanicien comme celui du chauffeur a beaucoup évolué dans le temps, au gré des innovations techniques, des impératifs de rentabilité et du progrès apporté par des machines plus puissantes, remorquant des charges de plus en plus lourdes à des vitesses de plus en plus élevées. L'équipe entretenait et bichonnait jalousement la machine dont elle était titulaire. Elle voulait la faire plus belle que toutes les autres. C'était "notre machine", la meilleure de la série, de repos en même temps que l'équipe. La voir tourner avec d'autres aurait été une trahison. D'autres systèmes ont succédé à cette méthode, jugée périmée (rentabilité avant tout) : une machine pour 2 équipes, pour arriver à la banalité intégrale introduite à l'arrivée des 141 R aprés la dernière guerre mondiale. Les 141 P et 241 P ont connu le même sort dans les dernières années de la vapeur. A sa prise de service, le mécanicien doit obligatoirement consulter les tableaux exposant les avis travaux, applicables à tous les trains sans exceptions, et les avis mouvements, qui peuvent contenir des indications importantes en ce qui concerne les marches et la sécurité (avis circulation et limitations temporaires de vitesse, limitations inopinées et non reprises au LIM ( recueil de plusieurs feuillets regroupant toutes les lignes de la Région Est soumisent à des ralentissements permanents ou temporaires, ces derniers pouvant être supprimés sans préavis). Sur ces feuillets sont repris les longueurs des chantiers, l'heure et la date des débuts et des fins de ceux-ci et le temps alloué aux mécaniciens pour les retards sur chaque catégorie de train. Ces ralentissements devaient être portés à l'avance dans une case réservée à cet effet sur le bulletin de traction. Avant d'avoir les fiches horaires prêtes à l'avance, confectionnées par le dépot et délivrées à la prise de service pour les trains de la tournée, le mécanicien devait les recopier d'aprés les fascicules horaires mis à sa disposition et pour tous les trains des roulements où il était affecté, travail fait sur son compte. Seule les marches des trains facultatifs étaient faites par le dépot. Ayant autorité sur son chauffeur, le mécanicien est le responsable et supervise le travail du chauffeur. La préparation d'une locomotive à vapeur est une opération minutieuse : l'équipe arrive à la machine et s'assure dans un premier temps du bon état des plombs fusibles et de l'état de la chaudière. Le chauffeur procède à la préparation du feu et à son montage ( ce dernier étant la base d'une bonne production en ligne) et s'assure du contenu du tender en eau et en combustible. Le graissage, un des points sensibles de la locomotive, est en général le domaine exclusif du mécanicien. Ce travail étant une opération essentielle doit toujours être effectué dans le même ordre pour éviter un oubli. En même temps, il s'assure qu'aucun écrou n'est desserré, qu'il ne manque pas une goupille ou un frein de clavette et que les sablières ne sont pas bouchées et fonctionnent. En outre, il contrôle la présence de l'outillage nécessaire en cas d'incident et des agrés de sécurités : torches à flamme rouge, pétards, drapeaux rouges ( sur les engins modernes, barre de court-circuitage). A toutes ces vérifications s'ajoutent les essais du frein, l'étanchéité des circuits d'air ( conduite générale, réservoir principal). Il remonte le compteur en vérifiant si l'approvisionnement en bande est suffisant pour l'étape à parcourir. Le chauffeur est particulièrement chargé de l'entretien et de la préparation du feu, de son alimentation permanente en ligne, de l'alimentation en eau de la chaudière. Il participe activement à l'observation des signaux. La préparation du feu est très importante : montage du feu progressivement à la briquette aprés avoir allongé le talon sur toute la surface de la grille ( le talon est la réserve de feu propre à l'arrière du foyer, confectionné par le chauffeur à la rentrée au dépot, ne comportant en principe aucun m‰chefer). La briquette est répartie en partant de l'avant du foyer et en revenant vers l'arrière. Il faut que l'allumage soit lent, en évitant si possible l'usage du souffleur, progressif, en laissant mijoter doucement comme un bon plat, poue être à point au moment du départ du train. En principe, le chauffeur doit éviter les levés de soupapes : c'est une perte de combustible, d'énergie, une gène pour les gares et les riverains. Pendant les stationnements dans les gares en général et particulièrement en gare de Paris - Est en tête des quais et aux butoirs, toute émission de fumée est proscrite et sanctionnée le cas échéant par le "caporal - fumée" (agent de la traction chargé spécialement de l'application de cette interdiction). Il n'était pas rare d'attendre 45mn et plus au heurtoir aprés remonte d'un express ou d'un rapide, et d'effectuer, ce dernier parti, un banlieue direct Chelles. Sur certaines séries de machines, le chauffeur participe au graissage de certains organes : dessous de boites, y compris leur vidange si nécessaire, et le mouvement intérieur. Il en était ainsi à Noisy le Sec pour les chauffeurs des 141 P et 241 P ( machines à stocker). En ligne, sur les machines à chauffe manuelle, il charge le feu fréquemment et par petites charges très rapides pour éviter les entrées d'air froid dans le foyer. Sur les machines à stocker, il règle les jets de vapeur de la table de distribution du combustible et le débit de la vis sans fin. Il alimente la chaudière en eau d'une manière aussi régulière que possible à l'aide d'une pompe alimentaire ou des injecteurs. En aucun cas, le ciel du foyer ne doit se trouver à découvert d'eau : une fusion de plombs est toujors une faute grave pour une équipe, même s'il peut y avoir des circonstances atténuantes. Le chauffeur conduit son feu en fonction du profil de la ligne, de la charge et de la nature du train. Il répète les signaux à son compagnon dans les courbes à droite. A l'arrivée, il lui faut effectuer sur les machines à chauffe manuelle le nettoyage de la partie arrière de la grille en repoussant à l'avant les mâchefers et scories qui s'y trouvent et faire avec de la briquette une réserve de feu propre. Lors de la mise en tête des trains, de quelques sortes qu'ils soient, l'essai de frein, qu'il soit complet, partiel ou d'étanchéité, doit être exécuter avec la plus parfaite minutie, sans tolérance autre que celle prévue au réglement traitant de ces essais. Le démarrage d'un train exigeait de grandes précautions, surtout pour les trains de marchandises longs et lourds (attelages laches). Il n'était pas rare que la machine ait fait plusieurs mètres alors que le dernier véhicule n'avait pas encore bougé. Le train roulait progressivement et il fallait éviter les chocs trop violents sur les attelages, au risque de provoquer une rupture. Pour les trains de voyageurs ( rapides, express, banlieues), ou de messageries, où le démarrage doit être rapide et particulièrement aux voyageurs, le train était ébranlé d'un bloc ( attelages serrés). Chaque seconde était précieuse. Mais il fallait éviter les patinages, incompatibles avec la bonne tenue des bielles, des bandages et du feu, alors malmené par les coups d'échappement brutaux. Comme l'indique l'article 101 du réglement des signaux, " tout agent, quel que soit son grade, doit une obéissance passive et immédiate aux signaux ". Leur observation et leur respect est un devoir impératif et qui ne souffre aucune interprétation. Certains signaux sont munis de crocodiles, dispositif de sécurité placé entre les rails et répétant leurs indications sur la machine. Cette répétition est sonore et est en même temps enregistrée sur la bande graphique Flaman. La sécurité reposant essentiellement sur l'observation directe et visuelle des signaux, qu'ils soient mécaniques ou lumineux, l'absence ou le non-fonctionnement du dispositif de répétition sonore ne peut en aucun cas être considéré comme une circinstance atténuant pour un agent qui n'aurait pas observé le dit signal. Le réglement prévoit aussi en matière de sécurité qu'au cas où les conditions atmosphériques font que l'observation des signaux est rendue difficile, le mécanicien ne doit pas hésiter à réduire sa vitesse pour une observation correcte de ces derniers. Il y avait aussi un article que le mécanicien ne devait pas interpréter : "la marche à vue implique au mécanicien de régler sa vitesse et de s'avancer avec prudence compte tenu de la portion de voie en vue de manière à pouvoir s'arrêter avant un obstacle, une queue de train ou un signal d'arrêt à main". Si mes sources sont bonnes, la marche à vue est à présent fixée au maximum à 30 km/h. Les mécaniciens et chauffeurs doivent d'autre part porter une attention particulière aux moindres détails, bruits anormaux provenant du train ou de la voie, défectuosité de l'échappement, odeur d'huile brulée. Cette attention permet d'empêcher une avarie naissante de s'aggraver. Ici, pas de guide de dépannage : tout est dans la tête et sur un vieux calepin graisseux, avec quelques notes sur les paralysies d'organes. Pour les 141 R, 141 P et 241 P, des notices techniques furent sorties pour la chauffe, l'entretien et la conduite ainsi que pour les mesures à prendre en cas de rupture de certaines pièces du mouvement. La connaissance des profils de lignes est de première importance pour un mécanicien qui, indépendemment de l'horaire auquel il est astreint, a pour devoir de regagner le plus de temps possible en cas de retard, tout en économisant de la houille ( et, sur les machines à chauffe manuelle, la peine de son compagnon). La feuille de paie de l'équipe s'en ressentira. Même l'huile doit être utilisée judicieusement : ce qu'il faut, et pas plus. Et ne pas graisser le ballast ; pour celà, utiliser l'huile appropriée selon la saison et bien régler les épinglettes. L'utilisation du frein à l'époque de la vapeur était une opération importante et délicate, surtout aprés la guerre avec le matériel en mauvais état. Les réactions, le temps de freinage, sa propagation de la tête vers la queue et l'inverse au déblocage sont différents en fonction de la composition du train, de sa nature, du matériel remorqué, de la charge, de la longueur, de la vitesse, du profil et des conditions atmosphériques, autant d'éléments qui entrent en ligne de compte afin d'obtenir des ralentissements et des arrêts à un point précis pour les prises d'eau ou les signaux fermés et d'éviter les réactions désagréables qui peuvent provoquer des ruptures d'attelages aux trains de marchandises et une gêne pour les voyageurs. A l'arrivée aprés remorque, une visite sérieuse s'impose. Tous les organes de la machine doivent être visités et auscultés, permettant le cas échéant de déceler une perte d'écrou, un desserrage, un début de chauffage, une amorce de cassure, un bandage décalé pouvant provoquer une avarie grave au cours de l'étape suivante. D'un léger coup de marteau est controlé à l'oreille la bonne tenue d'un bandage, ainsi qu'un éventuel décalage par l'observation des 2 repères situés sur le bandage et sur le corps de roue et qui doivent toujours coincider ; le serrage des écrous et des boulons d'assemblage ; du revers d'une main sont controlés les températures d'un axe, d'une grosse tête de bielle, d'un essieu ou d'une fusée ; d'un coup d'oeil l'absence d'une goupille, d'une clavette, d'un frein ou la présence d'une fuite de vapeur. En cas de mauvaise production, si le combustible est de bonne qualité, le mécanicien doit en rechercher la ou les causes sur la machine : échappement déréglé ou encrassé, grilles à flammèches bouchées, tubes bouchés, éléments surchauffeurs crevés, voute ou grille défectueuse, distribution déréglée, mauvaise étanchéité des circuits de vapeur HP et BP ou de la porte de la boite à fumée. En ce qui concerne l'étanchéité du circuit de vapeur, les bielles et les distributeurs doivent être dans les positions adéquates. En outre, le mécanicien remplit le bulletin de traction : charge et composition du train, heures de départ et d'arrivée pour chaque arrêt, avec un décompte exact des minutes perdues et les motifs ; le temps gagné ; le numéro de la machine et du tender ; les noms des agents, suivis de leur numéro matricule et de leur dépot d'attache. Il note dans une case réservée à cet effet toute anomalie constatée, puis met le bulletin de traction dans une boite spéciale en y joignant le cas échéant les ordres écrits reçus et si nécessaire le bulletin de chauffage. Pour terminer, il porte, s'il y a lieu, les réparations au 504. A noter que le mécanicien doit posséder une lanterne en partfait état de fonctionnement, des alumettes ou un briquet, une montre bien réglée lui appartenant. Il doit être porteur des renseignements techniques des lignes parcourues, des informations générales et du réglement des signaux, de la composition des trains, des demandes de secours par l'avant et par l'arrière, d'un carnet de fiches d'incident, de frein, de demande de consignation et de déconsignation. Les difficultés du travail de ces 2 hommes sont multiples et il faut se souvenir de ces visages burinés, luisants de suie et d'huile, les yeux blancs marqués par l'empreinte des lunettes remontées sur le front qui vous regardaient défiler, fiers de vous avoir mené à l'heure et à bon port. Que d'incidents, d'aventures cocasses, de bons et de mauvais souvenirs. Le sujet est fertile, et les anciens de la vapeur sont intarissables. Ambiance 140 C. Voyageurs douillettement installés dans une voiture Corail, doucement bercés dans vos fauteuils à 160 km/h, avez-vous eu un jour une pensée en voyant défiler devant vos glaces des fantômes de locomotives à vapeur, débiellées, déshabillées, rouillées, des locomotives aux cuivres verts de gris, aux peintures écaillées ou disparues sous la patine de la suie, du tartre, de la pluie, du soleil, bandages à la limite extrême de l'usure, portes de boites à fumée ouvertes, le tout sur des voies envahies par les herbes et les ronces. Pouvez-vous penser qu'elles ont eu une vie, qu'elles ont couru dans les plaines et les montagnes, l'hiver, l'été, dans la tempête, qu'elles sont des reines déchues mais qu'elles ont été adulées, qu'elles étaient montées par une race d'hommes en voie de disparition, les gueules noires, reconvertis pour une minorité, tués, elles comme eux, par le progrès, le génie inventif des hommes, leurs soifs inextinguibles de vitesse, d'économie et de rentabilité. Avez-vous souvenir des mécaniciens et des chauffeurs ayant des têtes de bons nègres aux dents blanches, les lunettes sur le front, la casquette en arrière, le foulard autour du cou tenu par un anneau en cuivre et qui vous regardaient défiler du haut de leur cheval de feu et d'acier, heureux d'avoir une fois de plus fait l'heure. Avez-vous souvenir de cette bonne odeur, particulière aux locomotives à vapeur, de fumée et de vapeur mélées à l'huile chaude que vous respiriez à hauteur de la machine, odeurs d'aventures et de grands espaces. Les fervents du chemin de fer et spécialement les nostalgiques de la vapeur portent et porteront toujours une admiration sans borne à la locomotive à vapeur. Les anciens de la vapeur ont laissé des traces indélébiles de leur existence car cette carrière était un sacerdoce, un feu sacré qui brulait en eux. Laquelle des 2 préféraient-ils : leur machine ou leur épouse ? Il est certain que la seconde était jalouse de la première, et à juste titre il est vrai, car ils leur consacraient plus de temps. C'était une servitude du métier qu'une épouse devait comprendre, mais malheureusement ce n'était pas toujours évident. La prise de service était à 16.00, la préparation d'une 140 C était de 35mn, temps prévu pour une machine à simple expansion. Bien entendu, nous venions en avance sur l'heure normale de prise de service pour être fin prêt et sans courir pour le HLP Noisy - Vaires Triage et Reims ( Bétheny). En arrivant à la feuiile, mon premier coup d'oeil était pour le tableau d'honneur. Si par malheur mon nom y figurait, cela signifiait le plus souvent le retrait, une punition, une demande d'explications : une non-vigilance ou une vigilance tardive, un retard dans le retrait du LIM, un dépassement de vitesse même minime, un retard dans une marche (pour complément d'explication), un incident de frein, non application de certaines règles, émission de fumée en zone urbaine, levé de soupapes intempestif en gare de l'Est. La liste des motifs était infinie, et sur l'Est, la discipline était de fer, laissant toujours planer un doute. La plus petite pécadille faisait l'objet d'un rapport et d'un tas de paperasses en double ou triple exemplaires, qui faisaient la joie des ronds de cuir qui ne risquaient pas d'être au chômage. La moindre dérogation aux règles établies entrainait des conséquences incroyables dans notre corporation : enquête, interrogatoire, confrontation, demande de renseignement et d'explications ( 7PI), qui se traduisaient le cas échéant et par ordre croissant, par les sanctions suivantes : rappel à l'ordre ; rappel à l'ordre avec inscription au dossier ; bl‰me du chef de service avec ou sans inscription au dossier ; diminution sur prime ; ponction sur la prime de fin d'année pouvant aller jusqu'à sa suppression totale ; descente de machine ; déplacement dans un autre dépot par mesure disciplinaire. Pour mon compte personnel - comme tous à moins de ne rien faire-, j'ai eu des sanctions, mais jamais rien de grave. Je ne crois pas qu'il existe un seul cheminot qui n'en ait pas eu dans sa carrière. Aprés cet intermède, revenons à nos moutons : consultation du 504 pour contrôler si les réparations portées à la tournée précédente ont été faites ou différées, du tableau des limitations de vitesse pour des travaux et pour celles inopinées non reprises au LIM, demande au téléphoniste de la marche du VR 1109 et je m'achemine au grill de sortie où stationne la C. Elle attendait son équipe, confiante. Pas de fumée, pas de bruit, encore somnolente aprés son repos et son allumage car sa journée à elle a commencé 5h plus tôt. Les allumeurs l'avaient nourrie de quelques fagots de bois, de déchets ou de chiffons imbibés de pétrole qu'ils avaient enflammés, aprés avoir disposé dessus des briquettes cassées en 2 dans le sens de la largeur. C'est tout un art de procéder à l'allumage. Quand la briquette commence à bréler, la fumée est jaune. En rotonde, la cheminée était placée sous une hotte ; dans le cas contraire ou par grand vent, la porte de boite à fumée était ouverte pour activer le circuit d'air : cendrier, foyer, tubes. Il ne faisait pas bon trainer alentour, car cela prenait à la gorge, faisant tousser et pleurer. Aprés avoir rangé le sac à puces (drap-sac) et celui en cuir dans le coffre arrière du tender, je descendais burettes et bidons d'huile. Me hissant dans la cabine, j'entrouvrais le souffleur et procédais aux vérifications d'usage : purge du niveau d'eau, contrôle des plombs fusibles. Mon compagnon commençait à descendre la briquette, une cinquantaine ou plus de 10kg chacune, et attention à moi de ne pas en prendre une dans les jambes. Il mettait rapidement en marche la pompe bi-compound pour alimenter le circuit de frein et positionnait la machine pour le graissage, opération faite en 2 fois, le graissage des bielles d'accouplement avant droite et gauche ne pouvant se faire ne même temps, qu'en position haute en passant la burette au-dessus du patin de glissière, la marche au point mort, les purgeurs ouverts, roues motrices calées, frein serré et un guidon rouge ou un drapeau à l'avant droit ou à l'arrière gauche. Ces dispositions ne devaient pas être négligées bien que certains ne les appliquent pas. Quelques accidents graves sont arrivés en cours de graissage par la mise en mouvement intempestive de la machine. Les bouchons des réservoirs à huile des bielles étaient dévissés et posés à l'envers pour ne pas salir le filetage. L'épinglette était sortie au moyen d'une pince réservée à cet effet (accrochée à une partie de la veste), essuyée avant remise en place dans le siphon aprés lui avoir fait effectuer plusieurs mouvements de bas en haut pour vérifier son bon fonctionnement et voir si elle n'était pas déformée. Puis, le regard fixé sur l'orifice de remplissage, je suivais la lente ascencion de l'huile et relevais le bec de la burette d'un coup sec quand le niveau atteignait la partie supérieure du siphon, car il devait toujours y avoir de l'air entre le niveau de l'huile et le bouchon. Sans cela, l'épinglette ne pourrait remplir son rôle qui consiste, à chaque tour de roue, à monter et descendre dans le siphon, faisant pompe et entrainant l'huile sur le tourillon par l'intermédiaire des pattes d'araignée faites dans le régule des coussinets. Les bouchons étaient serrés gras. Le profane pensera " : Quel cérémonial ! Quel discours pour graisser !". Mais c'était d'une importance capitale. Mon compagnon montait son feu : il cassait ses briquettes et les envoyait à l'avant en revenant vers l'arrière. A cet endroit, il les mettait toutes vivantes (entières). Les autres étaient séparées en 2 d'un coup sec de casse-coke dans le sens de la longueur, le tout avec un filet de souffleur, fermé dès le feu monté. La briquette devait s'allumer doucement. Elle mijotait, rien ne pressait. Pour mon compte, je continuais le graissage : petit mouvement, graisseurs et mise en service du graisseur à condensation ( huile surchauffe) qui lubrifiait cylindres et distributeurs, et celui de la pompe Westinghouse. Son feu monté, mon compagnon donnait un coup d'oeil au-dessous de boites, vidangeant l'eau qui pouvait y séjourner et faisant le complément d'huile. Je procédais au complément en huile des boites de roues du tender qui étaient munies de tampons graisseurs à ressort. Le graissage terminé, étanchéité des circuits d'air du RP (Réservoir Principal) et de la CG (Conduite Générale) ; régime RP 9 bars, régime CG 5 bars. Etanchéité du RP en arrêtant la pompe Westinghouse, étanchéité de la CG en metant le H7 sur la position neutre. Ensuite, essai du frein automatique et du frein direct avec vérification du serrage et du desserrage, essai du freinage en position d'urgence avec le H7 et pour terminer vidange de la CG par le demi-accouplementt du tender avec encore les contrôles visuels du blocage et du déblocage. Puis contrôle de l'approvisionnement en sable avec essai des sablières, vérification de la présence de pétrole dans le ou les disques. Des coups de marteau à l'avant m'indiquaient que mon compagnon s'assurait de la bonne fermeture des taquets de la porte de la boite à fumée. Il grimpait sur le corps cylindrique pour vérifier que la sablière était pleine. Les minutes d'égrenaient à la pendule de la sortie. Un coup d'oeil au plien d'eau du tender et au remplissage du réservoir du complexe TIA (Traitement Intégral Armand) transformant le calcaire de l'eau en boue qui était évacuée en se déposant dans la partie inférieure avant de la boite à feu par un extracteur. Il ne me restait qu'à remonter la pendule (compteur) pendant que mon compagnon procédait à l'essai des 2 injecteurs et mettait en place la plaque rouge pour le HLP. Quelques minutes encore, qui furent employées à donner un coup de chiffon sur le corps cylindrique, qui maintenant brillait. Puis c'était l'appel au haut-parleur nous invitant à sortir du dépot. Petite vitesse, purgeurs ouverts, coups d'oeil à droite et à gauche, qu'une autre machine ne sorte pas en même temps que nous. Pointage du CRO et direction le poste K. Ouverture du panneau 5, qui autorisait le départ sans palette, et nous voila partis. Un demi-tube d'eau, 9 bars. J'ausculte le po'le o la briquette flambe joyeusement. Mon compagnon commence à garnir les flancs et l'arrière à coups de pelles régulières et voilà Vaires - Triage. Mise en tête ; un beau petit train. Le bulletin de composition annonce 68 unités pour 1375 tonnes. Mon compagnon fait la moue en me désignant la houille qui n'a pas l'air d'être de très bonne qualité : beaucoup de menu. Enfin, nous verrons bien ! La 45 est une bonne gazeuse comme toutes ses soeurs, mais les imprévus sont toujours possibles. Vérification de l'attelage et mise au régime de la rame. La pompe Westinghouse est déchainée. Essai de frein de continuité, déblocage et confirmation du déblocage du dernier véhicule, et c'est déjà le signal de départ. De la main gauche, j'empoigne le boyau fendu d'un demi-accouplement de frein qui sert d'accoudoir dans l'échancrure de la cabine, j'y prends appui et de la droite je pousse la commande du régulateur en souplesse, le décollant de sa butée. La 45 frémit, s'arc-boute et s'ébranle lentement, avec un léger sablage. Le premier tour de roues est donné, suivi aussotôt du chant de l'échappement. Je me tiens prêt à refremer ou à sabler si je décèle une amorce de patinage, qui se sent dans les jambes avant le coup de patin. La machine tremble : ça y est, le train est démarré et je relève la marche. Pendant ce temps, mon compagnon avait sorti le croc de sa gaine, tatant la surface de son feu pour y détecter des trous éventuels. Satisfait de son examen, il le remet en place d'un coup sec tout en secouant son chiffon qui brule. Aussitot, il empoigne sa pelle et enfourne de la houille gorgée d'eau. La porte refermée, un superbe panache noir surgit de la cheminée : la charge est bonne. C'est quelques instants aprés que les soupapes se lèvent : une tornade blanche leur impatience de la pleine voie, aussitôt calmées par la mise en route des injecteurs. Le VR1109 s'étire comme un grand serpent dont je ne vois pas la queue. Le tic-tac du Flaman grignote le temps. La pompe à air, pressée ces dernières minutes pour équilibrer la rame, a espacé ses battements : le RP et la CG gavés d'air, elle reprend son souffle. Je n'avais pas à dire à Louis ce qu'il devait faire ; de même, il n'attendait pas mes ordres. Une seule pensée dirigeait nos gestes, à partir du moment où nous avions pris possession de la 45 : du gaz et faire l'heure. A chaque charge, des bouffées noires sont vomies par la cheminée : elles tourbillonnent, s'éclaircissent, échevelées, puis s'accrochent aux poteaux télégraphiques et disparaissent dans la nature. Puis, une fois le charbon frais bien enflammé, les effilochures deviennent blanches : c'est signe de bonne combustion. L'aiguille du manomètre reste collé au timbre -14 bars -, avec le ronchonnement d'une des soupapes (une est tarée plus faiblement que l'autre). Jambes écartées, cherchant une position stable pour en rouler une avec du gris prélevé dans une vessie de cochon, Luois joue à l'équilibriste. L'allumant avec un morceau du balai de bouleau, il la savoure le nez au vent. Le soleil se couchait et il avait une prédilection pour les parties basses de la machine. Il prenait pour miroir les pièces d'acier en mouvement d'où suintait l'huile : les cages de bielles, les surfaces polies des patins de glissières et les tiges de pistons luisaient d'un éclat particulier incomparable. Avant la courbe de Villenois, un rapide remorqué par une Mountain de la Villette arrivait en rafale. Visions féériques des grandes roues tourbillonnantes, des bielles qui montent et qui descendent, des scories échappées du cendrier roulant sur le ballast. Un bruit infernal de fin du monde et puis d'un seul coup le silence tout relatif, scandé par les coups d'échappement de la 45 et le chant des roues sur les barres longues. Je suis heureux de respirer l'air de la campagne, le visage fouetté par le vent, d'être libre, personne sur le dos, et en rentrant la tête de retrouver l'odeur caractéristique des abris de locomotives, à la traversée des souterrains de voir les courtes flammes bleues refluer des fentes du gueulard et venir lécher les parties basses du robage de la boite à feu, de les voir réintégrer leur domaine avec le retour de la cheminée à l'air libre, d'entendre l'échappement modifier sa partition selon les lieux, en talus ou en tranchée. Je tressautais sur ma rondelle en bois rembourrée avec des "noyaux de pêches ", allant de droite à gauche, la 140 C n'ayant pas de roues porteuses arrières, d'où un confort inexistant. Chaque tour de roue changeait le paysage. Entre chaque charge au feu de Louis, et sans perdre un seul instant la voie de vue, j'abaissais et relevais le levier à contre-poids commandant l'ouverture et la fermeture de la porte du foyer : il y avait là une étonnante synchronisation du travail, une précision d'horloge telle que jamais une pelletée ne ratait son but ou ne trouvait la porte fermée. Vigilance de l'avertissement fermé de la gare de La Ferté Milon. Il y est toujours, et de toute manière, un arrêt est prévu pour prise d'eau. Fermeture partielle du régulateur, tout en allongeant la marche. Un filet de vapeur maintient un matelas qui empêche ou réduit les cognements des bielles. Les soupapes se lèvent, vite calmées par les injecteurs. Première dépression au H 7, crachement de l'air qui fait tourbillonner la poussière, crissement des sabots qui commencent à mordre les bandages. L'aiguille du Flaman, comme à regret, décolle petit à petit par à-coups du 60 km/h. Deuxième dépression, retour à la position neutre. 30 km/h : déblocage en première position et j'aborde le carré d'entrée ouvert et les aiguilles à 5km/h. Arrêt à la grue hydraulique au frein direct, en douceur et aussitôt dépression de 1,5 bar à la CG. Déblocage en première position et passage en surcharge ( pour les TV paresseuses, la surcharge s'élimine doucement, n'occasionnant aucun blocage). Louis est déjà juché sur le tender. Je descends, j'oriente la goulotte et j'ouvre la vanne : le boyau se gonfle et l'eau envahit la soute à gros bouillon. Elle gicle bientôt au plus élevé des robinets de jauge : un mince filet qui se durcit et allonge sa parabole, signe précurseur du débordement, ce qu'il faut éviter. Je coupe l'eau. Pendant que Louis donne d'énergiques coups de secouettes et s'occupe de son feu, comme nous étions un peu en avance, je fais une visite rituelle, burette à la main pour la petite goutte. Il faut être constament en éveil, même si apparament tout va bien. L'expérience et le caractère propre à chaque machine incitent parfois à surveiller un point plus sensible, sans pour autant négliger le reste : le revers de la main posé à plat sur les essieux, les grosses têtes de bielles et les axes des petites têtes sont les plus infaillibles des thermomètres. Une goutte par-ci et par-là, et je profite du tour du propriétaire pour allumer les disques à pétrole car la nuit va nous surprendre en route. Gaillardement, au signal du départ, la 45 arrache son train en quelques coups d'échappement rageurs. Déjà 80 km de faits et encore 76 devant nous, avec le plus difficile : hisser le VR 1109 en haut de la rampe de Fère en Tardenois. Le profil est en dents de scie jusqu'à Oulchy - Brény et en rampe de 6 pendant 11,7 km. Dans son coin, Louis ronchonne en chargeant le feu : le menu ne prend pas bien l'eau et les morceaux de criblé sont rares. Il prévoit des ennuis avec la "Compagnie du Gaz". Pourtant, pour le moment, celà va encore ; mais un chauffeur sent celà venir de loin. La nuit tombe et la lampe à acétylène accrochée au plafond de l'abri commence sa sarabande. Un petit quinquet éclaire d'une lueur chétive le tube o l'eau danse. Chaque ouverture du gueulard laisse mieux voir pendant les heures nocturnes les flancs intérieurs de la boite à feu et la voûte chauffée à son maximum. Le feu est d'un blanc insoutenable, éblouissant et qui fait un halo se reflétant sur le tender et dans le ciel. Les gares et les haltes défilent : Troesnes, Marizy- Ste Geneviève, la Sucrerie de Neuilly St Front. Je déclanche la marche pour maintenir ma vitesse. Rozet - St Albin, Oulchy - Brény. Nous sommes au pied de la rampe. 20km/h. Encore un cran à la marche. Arrachées à la grille, des scories rouges jaillissent de la cheminée, tombent, rebondissent et roulent sur les toits des wagons. Par les trappes ouvertes du cendrier, une lueur rouge court dans l'entrevoie : le carré de l'abri avec l'échancrure de la cabine se profile et cavale à la même vitesse que nous. C'est quand l'aiguille du manomètre ne colla plus à la ligne rouge que nos ennuis commencèrent. Louis attendait de plus en plus longtemps entre chaque charge pour faire de l'eau (l'allure idéale est une charge, de l'eau et à intervalles réguliers). Croc, secouettes, un tour de vis à l'échappement, sortie en piste de l'arsenal des situations critiques. Impossible de faire une coulade en rampe, et une même hantise pour tous les deux : l'eau dans le tube. A la vapeur, une tournée bien commencée peut se terminer au fil des kilomètres en calvaire. Nous ne nous disions rien car ici les paroles ne servent à rien : il faut se battre et se débattre avec le feu, l'eau, le train, la rampe. Ne plus voir l'eau captive dans le tube, c'est le prélude à un drame en 3 épisodes. En rampe, l'eau est déportée à l'arrière de la chaudière et le tube parait plein ou rempli aux 3/4. Qu'un petit palier survienne et le niveau se stabilise à l'horizontale ? Jusque là, celà va à peu près, bien que ce ne soit pas très recommandé. Mais que le train arrive ensuite dans une pente et l'eau se rue à l'avant, risquant de découvrir dangereusement l'arrière de la boite à feu et c'est le "coup de soleil" avec toutes ses conséquences : le basculage du feu (si c'est possible), la détresse, la machine avariée, les ennuis administratifs, les sanctions pécunières et en plus son "honneur" atteint. Je savais que j'allais prendre la pelle, non pour faire mieux que mon compagnon mais pour le soulager, et c'était lui qui m'ouvrait la porte et la refermait aussi vite. Le croc, les secouettes, un coup d'oeil à l'eau qui danse toujours. A 8 km/h, nous poursuivions notre laborieuse ascension, une véritable bataille du rail - mais pas celle de René Clément-, la nôtre où nous étions engagés personnellement. Presque au pas, nous atteignîmes le haut de la rampe. Nous avions perdu quelques minutes, mais là n'était pas le plus grave. L'eau dansait faiblement : un pauvre petit demi - doigt d'eau, qui disparaitrait dès les premiers mètres de la descente. Les 2 injecteurs étaient en action bien avant le haut de la côte : pour le gaz, on verrait après, on pourrait se reniper dans la pente. Et bien entendu, comme prévu, un tube désespérément vide. C'était le suspense : en purgeant, l'eau faisait une brève apparition. Tout n'était pas perdu. Les minutes de vérité, maintenant que les 1375 T nous poussaient, la trouille qui vous prend aux tripes, vous serre l'estomac comme dans un étau, guettant le sifflement redouté annonçant la fusion des plombs et la vapeur noyant le feu. Je tripatouillais fébrilement les robinets de jauge sur la chaudière, palpant du bout des doigts la vapeur qui en sortait pour me persuader qu'elle était saturée d'eau, repurgeais le tube, et alors je vis l'eau qui venait lécher la bague inférieure. Luois, malgré la fraicheur de la nuit, s'épongeait le front car la bataille n'était pas encore terminée. Dès lors, la frousse était passée mais la crainte de tous les vaporistes, griller la machine, le pire qui puisse arriver à une équipe, était malgré tout encore présente. Et maintenant de refermer les injecteurs pour remettre l'usine à gaz en état. Bien qu'interdit, mais la fin justifie les moyens, entre 2 ponts, je montais sur l'arrière du tender dans le noir et lançais quelques briquettes que Louis enfournait aprés les avoir cassées. Nous dévalions la côte à 70 km/h, musique en tête (le souffleur). A Fismes, nous avions un demi-tube et l'aiguille du manomètre flirtait avec le timbre mais nous ne risquions pas de lever de soupapes. Jusqu'à Reims, le profil était de 1 à 2 sauf l'entrée en gare de Reims pour grimper le pont du canal : rampe de 6 en courbe, puis de 5 pour rentrer au triage. Louis reprit sa cadence mais par petites charges. Le feu était pourri et la 45 se maintenait à grand peine à 12 bars. Les lumières de Reims annonçaient la fin de notre chemin de croix. Chance pour nous, le carré d'entrée de Reims est ouvert, car ici, l'arrêt aurait été en rampe, en courbe et à cheval sur le pont et ce n'était pas le fricot pour y faire un démarrage. C'est avec un "Ouf !" de soulagement que j'immobilisais le VR 1109 au croisement avec seulement quelques minutes de retard, sans importance à Bétheny Triage. Puis c'était le retour au dépot de Reims tender en avant. Pendant que je faisais la visite, mon compagnon prenait encore une bonne suée pour nettoyer l'arrière et faire un talon propre en repoussant à l'avant les m‰chefers et scories pour confectionner un feu propre avec de la briquette et mettre le feu en réserve. Avec l'allumeuse à pétrole, marteau en main, je sondais les bandages, les clavettes, les freins de bielles. En fosse, à la lueur vascillante de la loupiotte dans un courant d'air sournois, jambes écartées pour éviter de patauger dans l'eau stagnante, je regardais les lames des ressorts, leurs brides d'attache, les balanciers de la suspension, les goupilles et axes de la timonerie. De façon générale, il fallait essayer de déceler l'indice qui pouvait révéler une anomalie à venir. Pour terminer, c'était le plein de la sablière et l'extraction. Nous abandonnions ensuite la machine aux soins du mécanicien du dépot qui procédait au chargement et au remisage. Aprés celà, il était de riguer que le mécanicien paye un pot à son chauffeur à la baraque en bois "Chez Mado". Puis c'était le réfectoire - une baraque en bois- : décrassage, confection du repas. On ne pensait déjà plus à la bringue que nous avions battue. Et bien entendu, c'était le moment des éternelles discussions politiques ou syndicales. Etrange métier qui déborde sur les heures de repos, pénètre partout, s'infiltre dans la vie familiale. Etrange métier qui la plupart du temps vous sort du lit quand les autres s'y glissent, vous oblige à faire votre pitance et à manger dans des locaux douteux, à des lieues de chez vous pendant qu'une place reste vide à la table familiale. Etrange métier qu'il faut avoir dans la peau. J'AI ETE CONDUCTEUR D'ENGINS MODERNES. Les anciens de la vapeur voyaient les roues, les bielles, le petit mouvement remuer et s'agiter. Ils sentaient la bonne odeur d'huile, de graisse chaude, mélée à la poussière de charbon et à la fumée. Tout celà vivait, vibrait, parlait un langage que seul nous, les vaporistes, savions interpréter. Alors, me direz-vous, l'amour pour une 72 000 ou une 40 000, ça ne peut pas aller bien loin ; tout juste un peu de sympathie pour le temps passé ensemble, bien que contrairement à l'électrique pure, le diesel-électrique a un coeur : le moteur diesel. Ce fut une bien belle histoire que celle de la locomotive à vapeur. Mais les liens personnels de l'homme et de la machine ont vécu. Une électrique ou une diesel-électrique, ce n'est au fond qu'un assemblage de ferraille, un fiacre, une trottinette : on en change plusieurs fois par jour selon les tournées et les journées des roulements. Impossible d'avoir une liaison durable, d'avoir des habitudes, des manies, des souvenirs, des regrets. C'est morne, austère, impersonnel. Pour nous qui avons vécu et aimé l'heureux temps de la vapeur, ces motrices ne sont que des tramways accrochés à leur fil et pompant leur énergie à une source étrangère. Ce sont des parasites ayant renié leur liberté, comme il est d'usage maintenant et malheureusement dans tous les domaines. Le conducteur est seul avec ses pensées. Je suis encore de la vieille école comme nombre de mes collègues car je fais des visites non prévues par le guide à la PC (Préparation Courante) ou à la PR (Préparation Réduite), ce qui me vaut quelques démélés avec patrons et CTRA. Bien entendu, maintenant, noblesse oblige, je ne suis plus un manant de la vapeur. Je porte chemise fantaisie avec cravate, une sacoche en cuir genre "yéyé" qui a remplacé le gros sac en cuir noir made in SNCF. Mais, me direz-vous, la vie d'un roulant pour autant n'a guère changé : entre 2 trains, on s'attend et on se retrouve, on commente les incidents - et Dieu sait s'il y en a eu, ayant essuyé les plâtres en tête des premiers 68000, 69000 et 70000 sur la ligne 4. On discute de tout et de rien, on trainasse et puis on va au lit essayer de dormir. Il y a dans les réfectoires les éternels rigolos, les fiers à bras qui ont tout vu et tout fait, les amuseurs et conteurs d'histoires, même des imitateurs de Giscard (un troyen excellait dans ce domaine). Quel beau métier ils ont, ces gars-là : une grosse paie, la retraite à 50 ans, les voyages gratuits à longueur d'année, les nuits dehors avec le loisir de contempler les levers et couchers de soleil, les clairs de lune et les aurores selon les saisons, les couleurs changeantes des champs et des bois. Ils mangent et dorment à n'importe quelle heure, l'estomac et le sommeil calqués sur les horaires des trains. Dormir quand les autres travaillent et vice-versa. Voir leur famille à la maison entre 2 mauvais sommes. Passer les fêtes sur les rails ou seul dans un dépot. Pour conclure : le parfait robot humain, qui s'adapte automatiquement aux roulements, mange même s'il n'a pas faim et dort sur commande. Le dernier train, tout le monde y pense : le dernier coup de frein avant le butoir, la bécanne décorée à l'arrivée, la famille, les proches, les copains, les enfants, le traditionnel bouquet de fleurs, les photos, la bouteille de champagne qu'on boit sur le quai, les voyageurs pressés qui regardent d'un air indifférent. Je revois défiler comme dans un film muet de Charlot mon dernier train-drapeau, le 47 : la feuille, les limitations de vitesse, le tableau d'honneur, le numéro de l'engin qui, comme d'habitude, ne se trouve pas sur la voie prévue. Cavalcade en rouspétant : je peux toujours le chercher à la sortie, il est sur les voies de rentrée, au plein de gas-oil. Je me hisse avec mon bardas dans la cabine. Odeur de vieux tabac froid, que l'on retrouve dans toutes les cabines et que même les courants d'air en ligne ne peuvent dissiper. Et il est bon de dire que certains agents devaient faire des choses que l'odeur trahissait... Installation de mon matériel, le tout à portée de la main (LIM, fiches horaires, renseignements techniques et généraux ; il faut prévoir au cas o...). L'examen du carnet de bord me renseignera sur la santé de ma compagne de quelques heures. Ce soir, diagnostic satisfaisant. Une petite évolution faite par le SUD (de mécanicien de dépot, l'appellation est devenue plus pompeuse : Surveillant de Dépot, mais cela n'a pas augmenté la paye pour autant). Et voilà la 72043 abreuvée en gas-oil, en sable et en eau, prête à reprendre le collier pour Mulhouse d'où elle arrive. Par mes soins, contrôle des niveaux d'huile, du compresseur, des pressions et des températures, essai de frein, essai de VACMA (Veille Automatique de Contrôle de Maintien Appuyé) à poste fixe, vérification de la présence des pétards, torches, lanternes, barre de court-circuitage (cette barre posée entre les 2 rails court-circuite le block automatique, provocant la fermeture des panneaux sur la voie opposée, car en cas d'arrêt en pleine voie par le frein automatique sans qu'il y ait eu intervention du conducteur, il faut envisager une rupture d'attelage avec possible obstruction de la voie opposée). A l'heure prescrite, l'aiguilleur du poste de sortie m'invite par haut-parleur à me rendre HLP à Paris - Est pour le 47. Rien ne bouge ni à droite ni à gauche. Un coup d'avertisseur et je démarre. Pointage du CRO de sortie, essai de VACMA à faible vitesse. A Paris, la mise en tête doit être faite en douceur car les plaques fusibles qui relient les tampons sur la traverse sont très fragiles : un accostage brusque provoque immédiatement l'enfoncement des tampons. Descente de l'engin, contrôle de l'attelage, changement de cabine. Bulletin de composition : 12 voitures, 48 essieux, 480 t. Essai de frein de continuité, l'essia de frein complet ayant été fait à l'Ourcq. La rame est équipée du frein haute puissance (ce frein est énergique à la première dépression à grande vitesse et dégressif ensuite pour éviter les enrayages des palpeurs, situés en bout des essieux et les déblocant automatiquement au fur et à mesure que la vitesse décroit). Je profite des quelques minutes avant le départ pour nettoyer le plancher de la cabine qui est gras et donner un coup de chiffon sur le pupitre. On me traite de maniaque du chiffon, mais j'aime les cabines propres. 17.58: le panneau au bout du quai qui était au rouge vire au vert. Je règle la hauteur de mon siège et je m'installe à 17.59. un ultime contrôle : tout est OK. 18.00: signal de départ par le guidon ouvert. Démarrage rapide, car la marche est serrée : de Paris à Noisy, 7 mn. La vitesse limite de 30 km/h est vite atteinte. Dès que la dernière voiture a franchi la zone à 30, mise du manipulateur de traction sur PR (Progression Rapide) et la 72043 arrache le 47 de toute la puissance de ses 4000 Ch. Alors commence le cirque avec le cerclo de la VACMA : toutes les 55 secondes, on devient des robots, on n'arrête pas de pédaler. Si on le tient trop : sonnerie ! Vite, le relacher et le reprendre, sans celà, c'est la coupure de la traction et la mise en action du frein. Si on ne le tient pas assez, même conséquences. Passge à 100 km/h en gare de Pantin. Je décellère légérement car la bande du tachro ne fait pas de cadeaux et enregistre tout : signaux ouverts ou fermés, vigilance, réarmements, TIV, points kilimétriques, courbes de freinage, en un mot, le reflet intégral de la marche du train et le comportement du conducteur, ses réactions plus ou moins souples, rapides ou brutales aux différentes situations auxquelles il peut être confronté. De toute manière, toutes les bandes des trains drapeaux et des rapides et express sont épluchées au dépot et le cas échéant à l'arrondissement traction en appliquant sur la bande de la machine une bande type qui permet de localiser avec certitude le lieu d'un incident ou l'erreur d'un conducteur. La VACMA, au début, s'appelait "l'homme mort", ce qui faisait macabre. Maintenant, le terme est plus technique. Charlot des temps modernes, car il faut comprendre qu'en réarmant le système, c'est que l'on est toujours en vie ( CQFD). Supposons une envie pressante d'uriner. Quoi de plus banal ? C'est un besoin naturel. Eh bien, ce n'est prévu ni dans la marche, ni dans les réglements. Alors, que faire si le prochain arrêt est vraiment loin et si l'envie se fait de plus en plus pressante ? Il faut essayer d'adopter une technique non reprise au guide conduite ou de dépannage dont voici le mode d'emploi : Bien choisir son angle de pipi selon la vitesse, l'ouverture de la porte et le vent, bien entendu sans lacher le cerclo, ouvrir la porte, défaire sa braguette (croyez-moi, à 140 km/h, ce n'est pas évident). Il faut judicieusement calculer sa petite affaire au mieux de votre intérêt, parce que la moindre erreur de trajectoire peut faire que tout revienne sur vous : l'arroseur arrosé. A l'arrêt à Troyes, il fallait jouer à cache-cache pour se satisfaire, croisant le 44 avec les voyageurs aux baies vitrées etles badauds sur le pont. Excepté les limitations de certains points particuliers Z (début de zone) et R (reprise de vitesse) ou de TIV mobiles, la vitesse limite de chaque section de ligne n'est pas reprise sur le terrain mais sur les renseignements techniques, et de ce fait tout doit être répertorié dans la tête du conducteur ( on ne se sert des RT que dans les cas exceptionnels). Aujourd'hui, un bon train sans problème, si ce n'est, au passage à Bricon, ma rencontre avec un nuage de hannetons à 140 km/h. D'un seul coup, une belle bouillie gluante sur les glaces frontales, avec laquelle lave-glace et essuie-glace sont sans effet. Il ne reste qu'une solution : mettre le nez dehors, comme au bon vieux temps. Position inconfortable, la disposition du pupitre étant prévue pour un travail assis ou, si le conducteur le désire, debout, mais devant le pupitre. Chaumont n'est pas loin : à cette gare, nettoyage des glaces par un agent réservé pour ce travail, au jet, balai-brosse et détergeant. Belfort: arrivée à l'heure pile, à 22.05. Je suis relevé par mon collègue de Belfort et je me dirige vers le buffet où je commande une choucroéte. En attendant d'être servi, je fais le bilan des minutes gagnées par une rédaction soignée et détaillée de mon bulletin de traction. Arrosé d'un petit blanc, mon repas se termine à 23.30. Que vais-je faire ? M'allonger et faire un somme qui serait le bienvenu ? Mais ce sera très dur pour reprendre ensuite le collier, car ma journée n'est pas terminée : je suis en coupure et je relaye le conducteur de l'Arlberg Express à 1.30 du matin, train que j'assure jusqu'à Chaumont. Je me dirige donc vers la salle d'attente voyageurs où je lis et somnole un peu, et 15 mn avant l'arrivée de l'Arlberg Express, je retourne au buffet boire 2 cafés bien serrés. Aprés relais et passage des consignes concernat l'engin et le cas échéant le train, je fais la manoeuvre pour l'adjonction des voitures en provenance de Delle, essai de freins, et me voilà reparti en sens inverse. Cette fois-ci, j'ai une 68000 et j'entame la plus mauvaise partie de la période de travail car l'Arlberg a une marche très détendue ("une marche de corbillard"). Il me faut maintenant lutter contre un ennemi sournois : le sommeil. Fumer (c'est là que j'ai repris ce défaut), siffler, chanter, faire des courants d'air. L'hiver, c'est pire encore avec le chauffage qui vous engourdit insidieusement, et pas question de le couper, car alors on se retrouve vite frigorifié. Un calvaire miniature jusqu'à Chaumont, après les arrêts de Vesoul, Port d'Atelier, Chalindrey et Langres. Tous les trains internationaux franchissant plusieurs frontières prennent souvent du retard et celui-ci ne peut être résorbé sur le parcours français. A 70 km/h de moyenne, nous faisons l'heure. Chaumont: la relève est accueillie avec joie à 4.16. Il me faut encore prendre le mini-car de liaison qui me trimbalera avec une autre équipe de la gare au dépot à Choigne ( à pied, il faut 30 mn). Rapide passage à la feuille pour signaler mon arrivée et je m'achemine vers le foyer qui à cette heure est désert et triste avec ses odeurs de vieille huile rance de la friteuse. Un brin de toilette, un mini casse-croéte et le sac à viande. Il est déjà 5.30 et il faut dormir vite car à 13.30, réveil pour la relève en gare du conducteur du 42, express en provenance de Bâle. Se coucher est une chose, s'endormir en est une autre. Le sommeil est long à venir, les cafés bus à Belfort pour me doper ne sont pas encore dissipés. Et puis, au moment où je crois que je viens seulement de m'endormir, c'est déjà le réveil. Dur-dur ! Rasage au radar, un petit en-cas expédié sans appétit et encore un bol de café bien fort. Le mini-car me ramène en gare de Chaumont. Relève, signal du départ, et la cavalcade recommence. Au 42, la marche est serrée. Après les arrêts de Bar sur Aube et de Troyes, direct Paris Est. Arrivée à 17.59. Rentrée de l'engin au dépot de Paris La Villette, retour à pied vers la gare de l'Est, et en voiture pour Noisy le Sec pour fin de service à 19.30. Pour couronner le tout, c'est la veille du repos périodique. Arrivée à la maison vers 20.15. Même ce jour-là, le repas du soir ne peut être pris en famille. Impossible de prévoir une sortie, le cinéma, une réception d'amis ou de la famille. Une vie de château ! Et si le train a du retard, en prime, les mots aigre-doux de votre épouse qui vous reproche de faire un métier de fou, de mal vous débrouiller et de vous laisser faire, de faire passer le chemin de fer avant la famille. Tout celà contrarie, énerve, et avec la fatigue et le manque de sommeil, on obtient un mélange détonnant. Comme si l'intéressée n'avait pas eu connaissance de ces problèmes au début de la vie commune et même avant ! Les aléas de la profession ! J'en passe et des meilleures. Mais aucun de ceux qui ont écrit des livres sur notre métier ne parlent des conséquences désastreuses de celui-ci sur la vie de couple. Ainsi passent les nuits, les dimanches et fêtes, les mois, les années. La jeunesse s'en va toujours dans la fièvre des départs, des attentes, des retards. Toujours la même incertitude. Pas de prévisions, même à long terme. Un train en retard et tout est fichu, et toujours les brouilles qui n'en finissent plus, la vie conjugale qui se dégrade au fil du temps. La vie de famille est obligatoirement touchée dans son ensemble, et dès lors, inéluctablement, le couple se désunit complètement avec toutes les conséquences désastreuses qui en découlent surtout pour les enfants. Celà existe en marge de notre métier, mais personne n'en parle. Marche de l'Arlberg Express - Service d'hiver 1970. Milan 17.05 Vienne 10.05 Lucerne 22.09 Zurich 22.32 Bâle 23.19 Bâle 23.36 ------------------ WP ( 161 ) Express Arlberg Express 1ère et 2ème classe, lits et couchettes. ------------------ Bâle . . . . . . . . . . . . . Dep: 0.15 Mulhouse . . . . . . . . . . Arr: 0.42 Dep: 0.55 Belfort . . . . . . . . . . . Arr: 1.32 Dep: 1.45 Lure . . . . . . . . . . . . Arr: 2.11 Dep: 2.12 Vesoul . . . . . . . . . . . . Arr: 2.34 Dep: 2.37 Port d'Atelier . . . . . . . . . . 2.56 Culmont-Chalindrey . . . . . . Arr: 3.36 Dep : 3.38 Langres . . . . . . . . Arr : 3.50 Dep : 3.52 Chaumont . . . . . . . . . .Arr: 4.16 Dep: 4.23 Bar sur Aube . . . . . . . . . . . 4.50 Troyes . . . . . . . . Arr: 5.25 Dep: 5.29 Paris Est . . . . . . . . . . Arr: 7.25 Marche de l'express 42, service d'hiver 1970. Lucerne 9.17 Vienne 20.15 B‰le 10.25 Zürich 8.30 Bâle 9.43 ------------------------- 42 Express 1ère et 2ème classe. Grill-express libre service. ------------------------- Bâle . . . . . . . . . . Dep: 11.20 St Louis . . . . . . . . . 11.29 Mulhouse . . . . . . .. . Arr: 11.44 Dep: 11.59 Dannemarie . . . . . . . . . ..12.13 Belfort . . . . . . .Arr: 12.33 Dep: 12.42 Lure . . . . . . . . . Arr: 13.07 Dep: 13.09 Vesoul . . . . . .. . . . Arr: 13.30 Dep: 13.33 Culmont Chalindrey . . . .Arr: 14.24 Dep: 14.26 Langres . . . . . . .Arr: 14.37 Dep: 14.39 Chaumont . . . . . . . . Arr: 15.03 Dep: 15.09 Bar sur Aube . . . . . . . . 15.36 Troyes . . . . . . . . . .Arr: 16.11 Dep: 16.15 Paris Est . . . . . . . . Arr: 17.59 Palmarès de mes pannes, réserves ou demandes de secours. Ce manuscrit n'aurait pas été complet sans donner le détail de mes pannes, réserves ou demandes de secours pour la période mouvementée allant de décembre 1964 en août 1971, fertile en incidents, trains désheurés et voyageurs mécontents. Mon bilan est dans la moyenne, mais d'autres conducteurs m'ont battu sur ce terrain. Le lecteur m'excusera de l'absence de certaines dates, mais je ne pensais pas du tout à ce moment-là que j'écrirais un jour mes mémoires. Date Eng Train Lieu Bilan Causes 29.12.64 68007 11409 Exp Paris - Est Secours. 35 mn de retard Avarie du contacteur d'excitation. ? 68002 47 R TD Bar sur Aube Secours Déclanchement de relais de masse isolant un moteur de traction. ? 68002 46 R TB Villiers/Marne Dépanné Déclanchement relais de masse QO ? 68002 47 R TD Lure Secours Pompe à huile moteur cassée. ? 68002 410 Exp Nangis Dépanné Pression d'huile ? 68002 409 Exp Verneuil Dépanné Pression d'huile ? 68002 410 Exp Troyes Réserve Avarie frein électrique CEP 23 ? 68002 410 exp Vendoeuvre Dépanné Isolement de la VA. ? 66000 402 Exp Gretz Dépanné Fourgon-chaudière ? 68002 431 SD Romilly Dépanné Frein CEP 23 Elec ? 66000 1641 B Tournan Dépanné Electro-aimant de marche. ? 68002 410 Exp Bar sur Aube Dépanné Chaudière Clarkson ? 68007 410 Exp Romilly Dépanné Pression d'huile ? 68002 409 Exp Longueviile Dépanné Déclenchement de la survitesse moteur. ? 68002 409 Exp Noisy le Sec Secours ETNA et compresseur. Surpression circuit d'eau. ? 68002 45 Exp Maranville Dépanné Température d'huile ? 69001 47 R TD Troyes Dépanné Fourgon-chaudière ? 68018 49 Arlberg Lure/Dannemarie Dépanné Relais de masse 11.11.65 68506 46 R TD Vesoul Dépanné Tachymètre HS ? 68501 47 R TD Noisy le Sec Secours VA HS et nourrice vide. ? 69002 42 Exp Troyes Dépanné Incendie dansle fourgon-chaudière. 03.04.65 69002 4050 Postes Noisy le Sec Dépanné Avarie au fourgon-chaudière 03.04.65 69002 49 Arlberg Troyes Réserve Calage du servo-moteur diesel 1. Ventilateur BP HS. 04.04.65 68008 46 R TD Verneuil Secours Déclenchements répétés du relais de masse. 07.04.65 UM 66215 et 66162 43 Exp Chaumont Réserve Circuit d'accélération en UM HS. 09.04.65 68501 43 Exp Noisy le Sec Secours Pression d'huile 26.09.65 68501 42 Exp Noisy le Sec Dépanné Batterie HS 03.05.66 68060 45 Exp Gretz/Villepatour Secours. 1h28 de retard. Arrachement du tuyau de refoulement du compresseur au réservoir principal ( modification). 15.07.66 70001 47 R TD Mormant Secours Impossible de relancer le MDL. 16.07.66 68503 42 Exp Troyes Réserve Déclenchement relais de masse. Contacteur de ligne soudé. 22.07.66 68508 46 R TD Belfort Dépanné Pompe à gas-oil. 28.07.66 68003 43 Exp Troyes Réserve Déclenchements répétés du relais de masse. 30.07.67 70002 409 Exp Mormant Secours A Rosny sous Bois, température moteur 2 et coupure de traction. ?. 02.68 68508 43 Exp Troyes Réserve Déclenchements répétés du relais de masse. Inverseur collé. ? . 03.68 68518 4042 Mess Nogent sur Seine Secours Pompe d'injection grippée 31.12.68 68511 47 R TD Troyes Dépanné Déclenchement relais de traction. 04.01.69 68526 4041 Mess Bricon Secours Vidange du circuit d'huile moteur. 10.01.69 68501 VT 1113 March. Nangis Secours. 4h de retard Allumage LSMC. ? 69001 410 Exp Gretz/Emerainville Graissage des rails. Vidange totale du circuit d'huile moteur 2. Dépanné: signifie faire disparaitre l'anomalie constatée par l'application du guide dépannage. Réserve: remplacement de l'engin défaillant dans une gare ouverte au service par un engin qui assure la réserve. Secours: Panne ou détresse en pleine voie, où l'on peut être secouru par l'avant ou par l'arrière selon l'application des réglements de sécurité et la position de l'engin de secours, le tout soumis à des règles strictes. Dépannage poussé: dépannage fait sous l'entière responsabilité du conducteur lorsque l'application correcte du guide ammène à demander le secours. Si le conducteur, par la lecture des circuits ou des schémas électriques, par la vérification des cosses, des bornes, des fils, des vis et des contacts, parvient à se dépanner, il a toujours la possibilité d'annuler la demande de secours. Le dépannage poussé est une arme à double tranchant étant donné qu'il n'est obligatoire: un conducteur croyant s'être dépanné et qui sera à nouveau confronté à la panne initiale ne bénéficiera d'aucune circonstance atténuante. Chapitre VIII. Carte d'identité des 241 P. Puissance: 2430kw (3304ch) Vitesse limite: 120 km/h Longueur entre tampons: 17m172 Timbre chaudière: 20 bars Surface de grille: 5m2 052 Surface de chauffe -foyer: 29m2 43 -tubes : 215m2 14 -totale: 244m2 57 Surface de surchauffe: 108m2 38 Echappement double à croisillon réglable. Réchauffeur d'eau d'alimentation ACFI. 2 cylindres HP intérieurs, diamètre: 450mm. 2 cylindres BP extérieurs, diamètre: 680mm. Course des pistons HP: 650mm. (Bielle attaquant le 1er essieu moteur). Course des pistons BP: 700mm. (Bielle attaquant le 2ème essieu moteur). Distribution Walschaerts et tiroirs cylindriques. Diamètre des roues motrices: 2m01. Effort de traction en compound: 20t450. Masse à vide: 120t 150. Masse en service: 131t 400. Masse adhérente: 81t 600. Répartition par essieu: -1er: 15t -2ème: 15t5 -3ème: 20t -4ème: 20t4 -5ème: 20t4 -6ème: 20t4 -7ème: 19t5 Tender à 2 bogies: 34P 36P Tare: 38t 37t Capacité en eau: 34m3 36m3 Capacité en combustible: 11t 9t Masse totale en service: 83t6 82t6 Longueur entre tampons: 9m945 9m945 Diamètre des roues: 1m247 1m247 Il était normal que je réserve une bonne place aux 241 P. Mes premiers trains avec ces machines comme mécanicien furent les trains-drapeaux de la ligne 1: les rapides Paris - Strasbourg et vice-versa, 1 , 2 , 3 et 4 sur le parcours de Paris Est à Chateau-Thierry et retour avant l'électrification de cette section. Pour mémoire, au 1er janvier 1962, Noisy le Sec a provisoirement dans ses écuries les 241 P 18, 21, 25, 26, 31, 32 et 34. Entre 1966 et 1969, leur emploi se réduisait sur les express et restaient à Noisy quelques tournées de messageries sur Noisy - Chaumont, Chaumont - Belfort et Mulhouse. Courant 1967, certaines ayant atteint leur parcours maximal tombèrent en réparation différée. Ce fut le cas des P 18 et 21 à Chaumont. La 34 finit comme générateur à Chaumont, la P 9 est au musée de Guitres, la P 16 était prévue pour le musée de Mulhouse, la P 17 comme monument au Creusot, la P 30 exposée en plein air à Vallorbe (Suisse). Variante en traction vapeur. Le 23 juillet 1964, l'engin devant assurer le 47 - en l'occurence une 68000- était rentré en retard au dépot, et comble de malchance, on y découvrait à la visite une importante fuite sur le circuit d'eau, nécessitant son immobilisation et son retour en véhicule à son dépot d'attache, Chalindrey. Branle-bas de combat, coup de téléphone, appel du chef de cour par la feuille pour la sortie immédiate de la 241 P 31 e, réserve. Dans le fond de moi-même, je n'étais pas mécontent de ce contre-temps et du changement de machine, car j'allais pouvoir mettre à l'épreuve une 241 P, machine limitée à 120 km/h, sur un train rapide tracé à 140 km/h. Je me dirigeais donc vers la rotonde Est où la P somnolait, reniflait, soupirait même, et lsans transition elle fut en sursaut, brutalement, et comme un être vivant se mit à renacler, protestant, réveillée dans un bruit de secouettes, de souffleur, de pelle qui racle la tôle, de croc, dans un nuage de cendre, du halètement lent de la pompe Westinghouse, comme à regret car une locomotive a une âme, craignant autant le coup de feu que le coup de froid, sensible à la main de son maitre et à toute variation, quelle qu'elle soit. La consultation du 504 et du carnet de bord ne révèle rien de suspect. Il ne me restait plus qu'à faire une visite soignée ( machine banalisée), car assurant la réserve, le graissage avait été fait par l'équipe de réserve. J'étais avisé que je reprenais une 68000 à l'arrêt de Chaumont pour finir l'étape jusqu'à Belfort pour la suite du roulement. Bien qu'étant la dernière expression vivante et moderne de la machine à vapeur française, on se débarrassait d'elles dès qu'on le pouvait, et sans aucun remords. Bien qu'elle ait été préparée, je seringais les grosses têtes de bielles BP jusqu'à ce que l'huile dégouline d'entre les coussinets, mon compagnon faisant de même dans la cage HP. Pour faciliter cette opération sur certaines 241 P - et celle-ci en faisait partie- , je tenais la pelle à combustible au-dessus de lui car il y avait une fuite à la virole du corps cylindrique et de l'eau bouillante gouttait, ce qui n'était pas agréable du tout. De plus, disposant de peu de place, certains chauffeurs descendaient dans la cage HP avec un sac sur la tête. Pour accéder aux patins de glissières, ce n'était pas le fricot. Quelques machines étaient équipées d'une installation maison, constituée de tôles incurvées tenant lieu de gouttières et amarrées avec du fil de fer. Dans la cage, il était impossible de faire un demi-tour sur place comme sur les 141 P. Il fallait descendre, se retourner et remonter ( il y avait une échelle pour cette gymnastique). A part cet inconvénient, c'étaient d'excellentes machines. Pour une préparation complète, le temps alloué était de 65 mn à 2 agents. Il fallait surtout avoir l'oeil sur les épinglettes en les faisant fonctionner de bas en haut avec la pince réservée à cet effet. A l'appel du haut-parleur du poste, sortie tender en avant. Nous prîmes le départ pour le HLP dépot - Paris Est. Entre temps, mon compagnon, Guillet, avait chargé soigneusement les flancs et l'arrière à la pelle, opération répétée à Pantin, de manière à ce qu'il n'y ait aucune émission de fumée à Paris Est pendant la période de stationnement en tête du 47. Une bonne réserve de feu allongée rapidement sur la grille au moment du signal de départ, avec un filet de souffleur et la porte entr'ouverte, et le manomètre approche du timbre ( 20 bars ) sans que les soupapes lèvent. Mise en tête en douceur, vérification de l'attelage, retrait de la plaque rouge à l'avant, essai de frein de continuité, ultime visite ( "la petite goutte"). Un beau train: 12 voitures, 48 essieux, 550 tonnes. L'heure du départ approche. Des voyageurs et des badauds sont là, sur le quai, jaugeant le coursier d'acier et de feu ( il faut rendre à César ce qui lui appartient: elle avait belle gueule, notre 2 P, surtout qu'on l'avait un peu astiquée). La pendule Brillet égrène par saccades les secondes et les minutes. La dernière minute à peine entamée, Guillet se saisit du croc, ouvre la porte, entr'ouvre le souffleur et étale avec précaution le feu en réserve sur toute la surface de la grille (5, 52 m2), un oeil à la cheminée. Le panneau s'ouvre: "Départ !", m'annonce Guillet. De la main gauche, je pousse la commande du by-pass et de la droite je tire à moi le régulateur. Le train décolle d'un bloc. L'échappement à double croisillon ne laisse échapper que de petits "plouf - plouf". Bruit des purgeurs laissés ouverts et vite refermés. Le manomètre de la chaudière descend un peu et se stabilise à 19 bars. Il ne faut pas que les soupapes lèvent car sous les voétes, ce serait une tornade blanche et la perte d'une précieuse énergie. Démarrage nerveux, en puissance mais en douceur, sans panaches de fumée noire ni grandiose patinage, spectaculaire mais qui se traduit par une fatigue de la machine qui proteste à sa façon, se cabre comme un cheval sous la douleur de la main brutale de son maitre. Un sablage judicieux sur les derniers mètres à la mise en tête favorise un bon démarrage. Mais le sable est à éviter autant que faire se peut dans les aiguillages et les appareils de voie: c'est la bête noire du service électrique. Sur les locomotives des types anciens, on ouvrait le régulateur à fond, on grimpait au plafond de vitesse requise et on maintenait celle-ci en ajustant les crans HP et BP en fonction de la charge et du profil. Il fallait lire sur les réglettes les pourcentages d'admission pour combiner puissance, économie de combustible, liberté d'allure sans oublier la peine du chauffeur. Sur les 241 P, la manoeuvre d'une seule vis de relevage ajuste en même temps l'admission aux 2 groupes de cylindres en tenant compte d'une admission plus grande pour les BP. Passage à Pantin à 95 km/h. Je raccourcis la marche à 40% et c'est ensuite en jouant sur le régulateur que l'on monte en vitesse. Les 2 P étaient de bonnes coureuses car dans d'autres séries il y avait les bonnes et les mauvaises coureuses. Autant de mystère que seule la main du mécanicien titulaire arrivait à corriger et à maitriser.A Noisy, passage à 100 km/h. Je referme un peu pour ne pas bouffer le trait. Guillet en profite pour arrêter le moteur du stocker, ouvre la porte du foyer et ausculte son feu en regardant à travers l'écran rouge pour opérer le cas échéant un réglage de jets sur la table de distribution du combustible. Satisfait de son examen, il me fait un petit signe de tête que tout va bien , il remet le moteur du stocker en route tout en contrôlant la couleur de la fumée et purge la glace Klinger . Tout cela sans se désintéresser de la surveillance des signaux et particulièrement dans les courbes à droite. La carosserie des 2 P est longue: un geste de la main pour la voie libre, un coup de sifflet ( avec la bouche ) si un signal est fermé ou au jaune. Une minute de retard à Noisy: je le note sur mon calepin tout en jetant un oeil sur le compteur qui est très mal placé sur le coté droit de la cabine, et au graisseur de la pompe ACFI qui par ses battements réguliers indique le bon fonctionnement de la pompe alimentaire, sans oublier au passage les pressions RP et CG et l'indicateur de vide. L'horaire et la sécurité, seul et unique but des tractionnaires: l'avertissement de Nogent le Perreux est fermé, bien entendu toujours au pied d'une rampe. Vigilance, fermeture partielle du régulateur, arrêt du moteur du stocker, mise en action de l'injecteur Thermix pour éviter la levée des soupapes. Rapidement, Guillet enfourne quelques pelletées de houille à l'arrière et sur les flancs et en profite pour égaliser son feu. Du poussier s'est accumulé à la plaque et il réduit la puissance du jet central. Dépression au H7 ( ici, ni V.A, ni VACMA). Vitesse: 80 km/h. Et comme de bien entendu, le carré est ouvert. Non de non, il roupille, et la vitesse est cassé! Déblocage en première position et passage en surcharge. La reprise est en rampe et en courbe sur le viaduc. L'aiguille du manomètre des boites à vapeur oscille en 18 et 19 bars, pression à peine inférieure à celle exercée sur chaque cm2 de la chaudière. L'aiguille du Flaman remonte de division en division tandis qu'ayant déclanché, l'échappement entomne un chant de base. Le redémarrage en puissance n'est pas sans incidence sur le feu et sa tenue, même sur une machine à vis, bien entendu sans atteindre les mêmes proportions que sur une machine à chauffe manuelle. Guillet fait un petit comlplément à la pelle sur les flancs et les coins arrières droit et gauche. L'échappement rugit tandis que des morceaux de charbon s'échappent des planches de retenue du tender et roulent sur le capot du stocker. Une fuite de vapeur grésille sur le collecteur, le tac-tac répété des roues au passage des joints, la plainte des boudins dans les courbes, les vibrations de la cabine au franchissement des ouvrages d'art à poutrelles métalliques: toute la symphonie de la locomotive. Le 47 fonçait, soumis à nos 2 volontés, responsables de centaines de vies humaines: une main sur le régulateur, l'autre prète à empoigner le H7. Le nez au vent, toujours le même souci: faire l'heure en respectant les vitesses limites. L'examen fréquent de mon oignon me permettait de constater le grignotage de précieuses secondes sur nos 2 mn de retard qui nous rapprochait le plus possible de l'horaire à chaque tour de roue. C'était la descente en trombe de Rampillon à Longueville et Flamboin. A partir de l'ancien sémaphore de la Madeleine, le profil nous était favorable. 120 km/h jusqu'à l'entrée de Troyes. A l'arrivée dans cette gare, je n'avais plus que 2 mn de retard. J'avais bien tourné car si j'avais pu rouler comme les 68000, j'aurais fait largement l'heure et j'aurais pu me payer le luxe d'être en avance. Je prenais de l'eau, juste ce qu'il me fallait pour monter à Chaumont, ne complétant pas le tender. Départ de Troyes avec 6 mn de retard: 2mn initiales et 4 mn pour la prise d'eau. Arrivée à Chaumont à 20.45, avec 5 mn de retard, soit 1 mn de gagnée. La 2 P était coupée et je continuais en diesel, abandonnant Guillet et la machine. Tarif des minutes gagnées ( 1965 ). Rapides spéciaux 40, 41, 46, 47 .............23,88 F Rapides et express directs ..................15,94 F Voyageurs omnibus ...........................13,38 F Banlieue ....................................15,94 F Messageries .................................10,52 F Marchandises directs .........................2,51 F Marchandises omnibus .........................0,75 F ANNEXE 1: L'intercommunication pneumatique. 1) Les sifflets. 2) Les muets. Annulation soit de l'intérieur, soit de l'extérieur. 1) A l'aide de la clé de Berne agissant directement. 2) A l'aide de la poignée enfermée dans un coffre fermant à la clé de Berne. 3) Par remise en place de l'obturateur ( type Ackermann). 4) A l'aide d'un bouton - poussoir. 5) A l'aide d'une tringle agissant sur la poignée d'alarme. Remarques particulières. -Ne pas remettre le dispositif au repos sans en avoir reçu l'ordre de l'agent d'exploitation, du chef de train ou du contrôleur. -Certaines voitures comportent à l'extérieur un robinet permettant de rendre le dispositif sifflant ou muet ( ne pas confondre avec le dispositif de mise au repos). -En cas de perte du joint de l'obturateur du dispositif Ackermann, utiliser une rondelle retournée de demi-accouplement de freins. -En général, si la poignée de la mise en action du signal d'alarme n'est pas dans l'axe de la boite d'appel, le grand coté de cette boite donne donne la direction de l'extrémité de la voiture où se trouve le dispositif de mise au repos. (33 schémas dans le classeur) ANNEXE 2: Argot en usage à la traction et appellations bizarres. Faire une anglaise: faire passer un véhicule ou un wagon de l'avant à l'arrière d'une locomotive en ne disposant que d'un seul aiguillage ( interdit par les réglements de sécurité). Battre la bringue: production insuffisante de vapeur, difficultés à tenir l'horaire dues à une mauvaise qualité du combustible ou à une conduite du feu non conforme. Bécane: nom vulgaire d'une locomotive. Boites à lettres: graisseurs à pointeaux ou à mèches à compartiments. Boire la tasse: prendre du retard pour différents motifs. Une branlée: demander à une locomotive sa puissance maximum pendant un laps de temps assez long. Un clou: mauvaise machine. Boeuf: nom donné aux Mountains de la Villette. Bahnof: nom donné aux cheminots allemands sous l'Occupation. Cale-soupapes: houille de mauvaise qualité. Couscous: combustible médiocre, poussière de houille ou de briquette ne prenant pas l'eau. Caleçons roses: sobriquet de conducteurs d'autorails à Noisy le Sec. Faire cul: arrêt d'un train en pleine voie ou dans tout autre lieu non prévu par la marche par suite de difficultés de traction ( mauvaise production de vapeur, patinage ... ). Coucou: petite machine de manoeuvre. Les chouettes: appellation contrôlée donnée aux équipes des 141 p de Noisy dont les roulements comportaient une majorité de nuits par suite de la remorque de nombreux messageries. Chicago: nom donné aux locomotives de construction américaine de la guerre de 14 - 18. Chapeau de gendarme: ( terme repris au titre 1 des signaux) signal à cocarde mécanique dont la tôle se trouve dans une position intermédiaire, ni ouverte, ni fermée. Planter un chou: arrêt en pleine voie suite à des difficultés de traction ( faire cul). Caisse: voiture. Chaudron, casserole, bouilloire: noms vulgaires donnés aux locomotives à vapeur par des cheminots non tractionnaires. Faire une coulade: utilisation rationelle du profil de la ligne permettant à l'équipe de remettre le feu en état pour une remise en pression de la chaudière et un niveau d'eau convenable ( c'est le train qui pousse la machine). Cage: partie de la locomotive située à l'intérieur des longerons, à la partie avant où se trouvent sur les machines compounds bielles motrices, grosses têtes, villebrequins, petites têtes et patins de glissières HP ou BP. Danseuse: locomotive sujette aux patinages. Eau dans les chasse-pierres: eau non visible dans le niveau d'eau ( les chasse-pierres se trouvant dans la partie inférieure de la traverse. Purger la clarinette: purger le niveau d'eau. Farinard: charbon de la même consistance que la farine. Ficelle: fil de captation du courant électrique. Gazeuse: locomotive à vapeur facile à la production. Gnouf ( ou marcassin): nom donné à Noisy à la 020 qui faisait les manoeuvres d'atelier et les mises en position pour le démontage des bielles au dépot. Faire du gaz: activer le feu pour une production de vapeur. Donner un coup de herse: donner un ou plusieurs coups de croc dans le feu pour activer sa combustion en le remuant. Cette méthode n'est pas recommandée car elle tamise le feu. Pisseuse: machine ayant des fuites aux entretoises dans le foyer. TP ou Pershing: Nom donné aux locomotives à vapeur de la guerre de 14 de construction américaine par suite de leur répartition entre les différents réseaux par le Ministère des Travaux Publics ( TP). Appelées aussi type B, Pershing ou Slade). Trous dans le feu: présence de trous dans le feu suite à une mauvaise répartition du charbon sur la grille, occasionnant une entrée d'air froid dans le foyer et par suite logique une mauvaise tenue du timbre. Etre tolé: ête arrété ou ralenti par un signal mécanique ( tole = cocarde). Donner un ( ou des ) coups de savates ( ou de chaussons): donner des coups de patins, patinage brutal de la machine au démarrage ou en ligne. L'emballement du mouvement est très mauvais. Avoir des os dans le feu: présence de m‰chefers. Mettre la (ou les ) seringues: mise en action du ou des injecteurs pour l'alimentation en eau de la chaudière. Seringue: accessoire utilisé pour le graissage. Tirer le gigot: tirer le régulateur pour l'admission de vapeur aux distributeurs. Le gros: robinet de frein H 7, qui commande la conduite générale agissant sur tout le train, par opposition au petit, le frein direct, qui n'agit que sur la machine. Les 141 R avaient 3 robinets de frein: le gros pour la machine et le train, le frein direct pour la machine seule et un troisième qui agissait uniquement sur le tender. Petit cheval: compresseur d'air Westinghouse. Nègre: le chauffeur. Donner un coup de rateau: donner un coup de frein énergique. Ravachol: mauvais combustible, par analogie avec une série de locomotives de la compagnie du Nord, dite "Ravachol" , difficiles à conduire et violentes de nature. Ces machines avaient été construites à l'époque des attentats perpétrés par l'anarchiste François Claudius Ravachol. Rigodon: ensemble de plusieurs coups de sifflet. Roupane: nom donné au chef mécanicien, en rapport avec la veste longue tombante au milieu des fesses. Se reniper: remonter la pression dans la chaudière et le niveau de l'eau dans le tube. Battre la purée, être dans la purée: être dans de mauvaises conditions pour remorquer un train, dificultés à réaliser l'horaire, bataille de l'équipe pour la conduite du feu. Panade: équivalent de la purée. Etre dans le coma: situation encore pire que la purée ou la panade, proche de l'arrêt total de la traction. Feu pourri: feu sale, demandant rapidement son décrassage ou son basculage. Passoire: machine consommant de l'eau en dessus de la moyenne. Bras morts, hirondelles de vigie: noms donnés aux agents de train qui se trouvaient en queue. Musique en tête: a l'occasion d'un profil favorable, remise en état de la chaudière en roulant poussé par le train et en utilisant le souffleur. Petit fer: machine ayant des bandages à limite d'usure. Pied fin: mécanicien affecté aux services nobles ( rapides et express). Fromage blanc: chef de sécurité de l'exploitation, dont la casquette était revétue d'une housse blanche. La vapeur: surnom donné à un chef-mécanicien du dépot de Noisy. Cette liste n'est pas exhaustive: d'autres termes figurent dans les nombreux ouvrages traitant de la traction vapeur. De plus, chaque région et même chaque dépot pouvait avoir ses particularités terminologiques. ANNEXE 3 : Ebauche d'étude de la V.A et de la VACMA. Dans un contexte sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd'hui, certains jeunes conducteurs rêvaient peut être de systèmes de veille automatique. A l'époque, j'étais avec mon camarade René Dumont, MECRU à Chalindrey, délégué du personnel du 1er arrondissement de la traction de Paris Est. Nous représentions les agents de conduite des dépots de La Villette, Vaires Torcy, Ch‰teau Thierry, gretz Armainvilliers, Verneuil l'Etang, Longueville, Troyes, Chaumont, Chalindrey, Nogent Vincennes et Sézanne. J'étais aussi délégué à la sécurité. Nos combats d'arrière-garde furent vains et la technique gagna. Principe de la Veille Automatique ( V.A ). Le volant d'accélération placé sur le pupitre de conduite est doublé d'un cerclo, qui doit être tenu manuellement au contact du volant. Le fait de lacher le cerclo ou de cesser d'appuyer sur la pédale placée sous le pupitre déclenche au bout de 2,5 secondes une sonnerie. A défaut d'un réarmement du dispositif par reprise de la pédale ou du cerclo dans les 2,5 secondes suivantes, le dispositif de freinage d'urgence se met en action, provoquant l'arrêt du train. En fait, en cas de défaillance du conducteur ( perte de connaissance, malaise), ce dernier peut tomber sur la pédale et la coincer ou rester crispé sur le cerclo: le train continue sa marche. Pour améliorer le système, la Direction y a adjoint une relation avec la répétition des signaux à distance lorsqu'ils sont fermés: ( avertissement - jaune ) si le conducteur n'arrête pas le klaxon déclanché lors du franchissement du crocodile, l'arrêt du train est provoqué dans les mêmes délais que précédemment. Mais la répétition sonore des signaux n'étant pas infaillible, la sécurité n'est pas garantie à 100%. La VACMA n'apporte rien de plus si ce n'est de limiter dans le temps les périodes où le train est susceptible de rouler sans contrôle. Principe de la Veille Automatique à Contrôle de Maintien d'Appui (VACMA). Ce système est plus perfectionné mais plus astreignant: il impose au mécanicien, en plus des contraintes de la V.A, de relacher le cerclo toutes les 55 secondes. Toute action portant sur l'augmentation ou la diminution de l'effort de traction produit par la rotation du manipulateur de traction tenu en même temps que le cerclo redonne un capital temps de 55 secondes. L'usage du sifflet produit le même effet, de même, si mes souvenirs sont bons, que celui du frein. Sans insister sur les ratées du réarmement du dispositif provoquées par ces manoeuvres, il convient de signaler qu'il est courant de ne pas avoir à faire varier l'effort de traction pendant des périodes pouvant aller de 10 à 20 mn. Dans ce cas, l'échéance des 55 secondes est signalée par une sonnerie, le l‰cher du cerclo pendant plus de 2,5 secondes par un klaxon. Le dispositif est dans les 2 cas à réarmer dans les 2,5 secondes. Un autre klaxon est mis sous tension par le crocodile des signaux à distance fermés jaunes). Un timbre à son clair retentit à chaque signal passé à voie libre ( vert). Au total, il existe 4 dispositifs sonores, plus un cinquième dans les cabines des rames de banlieue et des autorails ( timbre à son clair ou klaxon à utiliser selon un code). La sécurité est-elle assurée pour autant? Exemple: le mécanicien d'un express C 140 roulant à 110 ou 120 km/h franchit un signal au jaune. Il a préalablement réarmé la VACMA. Pour se libérer de cette préoccupation, il arrête le klaxon dont la mise sous tension a été provoquée par le franchissement du signal. Soudain, il est pris d'un malaise et tombe sur la pédale ou se crispe sur le cerclo. Le signal suivant est fermé ( sémaphore ou carré au rouge ), distant de 1500 à 1800 m et commandant l'arrêt absolu. Il sera franchi à 110 ou 120 km/h. Les 55 secondes écoulées, la sonnerie retentira, et 2,5 secondes aprés, le freinage se déclenchera, nécessitant 700 à 800 m. Le convoi s'arrêtera après avoir parcouru environ 2800 m. Lorsque l'on sait qu'immédiatement derrière le signal peut se trouver la queue d'un train précédent à l'arrêt ou, si c'est un signal carré protégeant une bifurcation, un train coupant les voies principales, c'est à pleine vitesse que la collision se produira. En ligne, on peut supposer une situation analogue en cas d'écrasement de pétards signalant un obstacle inopiné à 1500 m, ces pétards n'ayant aucune liaison avec la VACMA. Dans le cas d'un train C 150, ce serait à plus de 3 km que se situerait l'arrêt, pour un obstacle couvert à 1500 m. Encore plus impératif: la perception par un conducteur de la lueur d'une torche à flamme rouge qui commande l'arrêt immédiat par un freinage d'urgence, sans qu'il ne soit plus question de distance. Il pourrait venir à l'idée le raisonnement suivant: 55", c'est trop. Il n'y a qu'à diminuer le temps de réarmement de la VACMA et le parcours sans contrôle sera réduit. Mais si l'on suivait ce raisonnement, ce serait toutes les 10 à 15" qu'il faudrait réarmer pour répondre aux impératifs d'un signal à distance fermé. A chaque seconde dans le cas d'explosion de pétards ou de la vision d'une torche à flamme rouge. Soins à apporter le cas échéant au conducteur. Aprés avoir examiné superficiellement le coté technique et ses lacunes, la SNCF s'est préoccupée du plan humain. Supposons un conducteur pris de malaise, électrocuté ou assomé pour une raison quelconque ( objet lancé par malveillance, bouteille jetée d'un train croiseur, pièce hors gabarit). En admettant le cas le plus favorable où la V.A ou la VACMA entre en action et que le train s'arrête, le conducteur a besoin de soins immédiats. Alors, qu'en est-il? Ou se trouve le contrôleur? Quelque part dans le train, peut être en queue, à 300 ou 400 m de la motrice. Va-t-il réagir immédiatement? Evidemment, non! En fait, rien ne l'alerte particulièrement. Il finira le contrôle de la voiture ou du compartiment. Ce n'est que si , voyant l'arrêt se prolonger, il interviendra, en supposant se trouver dans des conditions favorables, que ce ne soit pas la nuit, où que le convoi ne soit pas arrêté dans un souterrain ou un tunnel. C'est alors seulement qu'il viendra se mettre le cas échéant à la disposition du conducteur ou à son secours s'il a une blessure grave, voire s'il est en train de mourir ( A ce sujet, voir ce qui est arrivé le 19 janvier 1990 à 4.02 du matin au conducteur Maurice Thinard du train 49 154 qui a perdu une jambe en conduisant son train). On peut en conclure que les secours immédiats à prodiguer au mécanicien sont impossibles du fait même de l'équipement en personnel des trains. Comportement des conducteurs dans les engins équipés de la VACMA. Gêne créée par le dispositif et ses conséquences. Comment le conducteur se comporte-t-il en présence de la VACMA? En ce qui concerne la répétition sonore, il convient de préciser que celle-ci est mieux supportée aux toutes premières heures de service, mais devient vite intolérable. On distingue plusieurs catégories de réactions: -les agents qui attendent la sonnerie de rappel pour réarmer la VACMA. -les agents qui ne supportent pas ce signal sonore bruyant (sonnerie stridente à son clair): ils effectuent alors un réarmement permanent par une alternance de lachers et de reprises du cerclo. Le capital de 55 secondes est alors sans cesse renouvelé et la sonnerie ne retentit pas; c'est ainsi que j'opérais moi-même. Dans les 2 cas, le dispositif est une gêne pour le mécanicien. Considérons quelques exemples: 1) A l'approche d'une gare où un arrêt est prévu: celle-ci peut comporter divers signaux commandant soit un ralentissement du train, soit un arrêt sur signaux fermés ou une entrée sur voie déviée. Dès lors, l'activité du conducteur est intense: pointage des signaux à distance, réarmement, décélération, freinage, coup de trompe si besoin est, ne pas perdre de vue l'indicateur de vitesse, contrôler la dépression à la CG ( engins munis du robinet H7 classique) et toujours la VACMA. Certes, au début des opérations, le conducteur réarme la VACMA pour s'accorder son capital temps, mais comment juger exactement de l'échéance des 55 secondes? Il lui faut par exemple rentrer dans une gare à 60 km/h. Le coup de frein doit être donné par une dépression calculée à la CG. Avec les locomotives équipées du freu-in électrique, la dépression est faite automatiquement et calculée à l'avance par le dispositif lui-même ( 68000, frein CEP 23). Mais dans le cas d'un engin muni d'un robinet H7 et selon la nature du train, sa composition, sa charge, sa longueur, les choses se compliquent: l ne faut pas oublier le contrôle du tachymètre, tout en desserrant complètement ou partiellement, en tenant compte du fait que selon les types équipant les engins de vitesse, le décalage de temps varie de 1 à 2 secondes. Le desserrage sera amorcé à 70, 80 ou 90 km/h selon la nature du train, pour obtenir 60 km/h au desserrage complet; également un décalage de quelques secondes à prendre en compte dans le maniement du robinet de frein. Tout ceci en pleine confusion sonore, avec le bruit des ventilateurs et des compresseurs. Pour ce qui est des bruits produits dans la cabine, on trouve le klaxon du signal fermé, qui couvre le bruit de la sonnerie de la VACMA, mais qu'il ne faut pas confondre avec le 2ème klaxon annonçant que l'on a relaché la pression sur le cerclo ou la pédale plus de 2,5 secondes. Tous ces signaux sonores sont couverts par le bruit de l'air s'échappant du robinet H7. L'ensemble des opérations évoquées nécessitent l'utilisation des 2 pieds et des 2 mains: -la main gauche commande le robinet de frein. -la main droite pointe les signaux et réarme. -le pied gauche débloque la machine seule. -le pied droit appuie sur la pédale de la VACMA. Pour l'arrêt, presque toutes les opérations recommencent. Il a été constaté une moins bonne précision sur le point exact de stationnement ( pancarte d'arrêt, prise d'eau pour le fourgon - chaudière ou pour une chaudière Clarkson des 68000). Les erreurs sont liées au fait que l'attention du conducteur porte plus sur la VACMA que sur le coup de frein. Enfin, la position debout était plus appropriée pour sentir dans les jambes comment le train réagissait au frein. Les périodes de conduite en rase campagne. Le train étant lancé à la vitesse requise par l'horaire, la grande habitude de la ligne et du parcours fait que le conducteur connait parfaitement les points kilométriques, de jour comme de nuit, le profil de la ligne et l'implantation des signaux, ce qui lui permet d'accroitre ou de réduire l'effort de traction sans improvisation aucune et d'avoir ainsi une marche régulière, et éventuellement de regagner du temps en cas de retard. Monotones, les kilomètres s'ajoutent, signaux à voie libre, dans ces longues périodes où il ne se passe rien de spécial. Malgré tout, en cabine demeure le souci de la VACMA et de ses impératifs. Il en découle nécessairement que l'attention est plus accaparée par la VACMA que par l'observation visuelle de la voie et des signaux, pourtant primordiale. Ajoutez à celà les périodes de conduite de nuit où il faut lutter contre un ennemi insidieux: le "coup de barre". Seul, le mécanicien doit faire face à l'engourdissement qui le gagne, sur fond de ronronnement du moteur diesel et, l'hiver, avec le chauffage. S'il y a de grandes chances pour que rien ne se passe, il n'empêche qu'un incident peut soudain se produire( signal éteint, barrière ouverte, ralentissement imprévu, obstacle, pétards, lueur d'une torche qui vient d'être allumé). On peut affirmer que des distances de 5 à 10 km peuvent être franchies pendant lesquelles la notion du point kilométrique est perdue. La force de l'habitude est telle que , dans la plupart des cas, avec la V.A ou la VACMA isolée, le mécanicien conserve les gestes d'automatisme comme lorsQu'elles sont en service. Mieux ( si l'on peut dire): à mon domicile, si je somnolais et que la sonnerie de la porte d'entrée ou du téléphone venait à retentir, j'avais le même réflexe de réarmement que sur la machine. Inutile de dire que je me réveillais immédiatement. Répercutions sur la vie familliale. Je l'ai déjà dit mais je ne le répèterai jamais assez car on en parle peu, comme d'une maladie honteuse: les agents de conduite souffrent, d'une manière peu apparente il est vrai, mais profonde, de l'ensemble de leurs conditions de travail à contre-temps , aggravées par les automatismes. " Il a choisi ce métier, personne ne l'y a obligé!" : combien de fois ai-je pu entendre cette rengaine ! Le seul avantage, c'est de faire un travail personnel, sans avoir en permanence un chef sur le dos. Les jaloux diront qu'il y a la paye et la retraite à 50 ans. L'enneni du mécanicien est le bruit. A 73 ans, j'ai toujours le bruit en aversion. Je limitais celui de la V.A ou de la VACMA au minimum car il interrompt brutalement les pensées, surprend toujours et physiquement me produisait un choc au coeur( peut-être est-ce pour cela que je porte depuis l'an dernier un stimulateur. La VACMA, c'est la goutte qui fait déborder le vase. Depuis la traction moderne, j'ai de plus en plus de mal à supporter le bruit. Mais c'est le déphasage de ma vie professionnelle par rapport à la vie normale, et familliale en particulier, qui m'a couté le plus. Pas de vie de famille, manque de repos et de sommeil. J'en suis arrivé à oublier les problèmes internes du ménage. Les enfants, eux, m'échappaient totalement, par manque d'une surveillance soutenue de ma part, de contacts, d'amour paternel... Lassitude, solitude, fatigue, incompréhension, repli sur soi, diminution de la vie sexuelle, irritabilité. L'équilibre est rompu, et le couple avec. Temps de préparation et de remisage des locomotives à vapeur. Temps forfaitaires alloués pour 2 agents . Préparation Remisage Complète Partielle Complet Partiel Machines à 2 cylindres 2 3 4 5 030TU, 040TA, 040TX, 130B, 35' 20' 20' 15' 131TB, 141TB, 232TC. 151TA, 140C, 040D, 230F. 35' 20' 25' 15' 141R 40' 20' 25' 15' 141R (Préparation par le dépot). 10' 10' 5' 5' Machines à 3 cylindres. 141TC, 151TC. 40' 20' 25' 15' 150E 45' 25' 30' 20' 150X 55' 25' 30' 20' 150X ( Préparée par le dépot). 10' 10' 20' 20' Machines à 4 cylindres 230B, 242TA. 45' 25' 25' 15' 230K. 45' 25' 30' 20' 231G, 231K. 55' 30' 30' 20' 241A, 241P. 65' 35' 30' 25' 141P. 50' 30' 30' 20' 150P. 55' 35' 30' 20' 141P, 150P (Préparées par le dépot).10' 10' 5' 5' Les temps forfaitaires alloués à un agent seul sont égaux au double des temps alloués à une équipe de 2 agents diminués de 5 minutes. Dérogations. a) Les temps de la colonne 2 sont réduits: 1) avant HLP de parcours supérieur à 15 km, réserve, manoeuvre ou réchauffage de rame d'au moins 15 minutes: de 5 minutes. 2) s'il y a possibilité d'achever la préparation avant ou pendant le réchauffage: - d'au moins 30 minutes: de 10 minutes. -d'au moins 40 minutes: de 20 minutes. -d'au moins 50 minutes: de 30 minutes. En période de gel, lorsque l'endroit ne dispose pas du personnel nécessaire, les agents de conduite prennent les mesures appropriées contre le froid ( colonne 2 et 4 majorées de 10 mn). A Greitz et Longueville: colonne 4 réduite de 5 mn pour la prise d'eau et le chargement par les soins du dépot. A Coulommiers, colonnes 2 et 4 majorées de 10 mn pour préparation, remisage et virage. A Chalindrey, majoration de 10mn pour préparation et remisage. A Noisy le Sec, majoration aux colonnes 2 et 4 de 5 mn pour la sortie ou la rentrée coté Bondy par le poste K. A Vaires, majoration de :-10 mn pour remisage et chargement. -4mn pour la préparation ( distance importante entre le grill de départ et le poste d'annonce). -6mn au remisage pour les 141 R HLP de la Grande Ceinture rentrant cheminée coté Chalons pour virage à la rentrée. ANNEXE 5: Décomposition des temps de présence. 1°) Temps de présence avant départ: temps alloué pour la préparation et la durée de mise à disposition au service de l'exploitation. 2°) Temps de présence à l'arrivée: durée du maintien à la disposition du service de l'exploitation et la durée de temps allouée pour le remisage. La mise à disposition commence au moment où l'engin de traction se présente à l'extrémité de la voie de sortie du dépot. Le maintien à disposition se tremine au moment où l'engin de traction se présente à l'extrémité de la voie de rentrée du dépot. Remplacement des agents de conduite à l'arrivée au dépot: la fin de service est fixée 5mn aprés l'heure de rentrée. Préparation effectuée par une équipe spéciale: la prise de service est fixée 10 mn avant l'heure de mise à disposition. Echange d'équipe dans une gare: il est alloué à l'agent faisant le relais un délai de 3 mn lorsque l'échange se fait immédiatement aprés l'arrivée du train. Tenue des graphiques: il est alloué 5 mn à la rentrée au dépot d'attache avant repos journalier ou périodique aux agents du service de route pour la tenue de leurs graphiques. Fourgons-chaudières. SHnf 1ère et 2ème tranches. Avant départ: -Visite et mise en état de fonctionnement ( VEF) : 15mn. -Remise en service( RS): 4mn. Reprise d'un même fourgon aprés un stationnement inférieur ou égal à 3.00. A l'arrivée: -Visite et arrêt du fonctionnement: 15mn. -Mise en état de stationnement( MS): 10mn. Le stationnement doit être inférieur ou égal à 3.00. Ces temps sont alloués lorsque les opérations sont confiées au conducteur. Lorsqu'il doit procéder à l'hivernage ou au déshivernage d'un de ces véhicules, il lui est alloué un temps global de 35mn. Autres opérations. Accouplement de 2 locomotives en UM: 6mn. Désaccouplement: 3mn. Menante en moins: 2mn. ANNEXE 12 ( d'aprés calepin): temps alloués pour les marches à pied. Dépot Destination Temps alloué Bar le Duc BV 15mn Belfort BV 15mn Chalindrey BV 12mn " Autres chantiers 20mn Chalons sur Marne BV 23mn " Triage trains pairs 7mn " Triage trains impairs 18mn Chaumont BV 28mn Meaux Rames banlieue 12mn Mulhouse Nord BV 10mn " Mulhouse Ville 60mn " Dornach 35mn " Faisceau marchandises 60mn " Arrêt du car pour Masevaux 35mn " Arrêt du car pour Lauterbach 20mn Nancy Etang BV 10mn " Jarville - Nancy St Georges 30mn Nancy Heillecourt Jarville 35mn Nogent Vincennes Fontenay 15mn " Nogent BV 5mn " Nogent le Perreux BV 25mn Noisy le Sec Bondy BV 20mn " Noisy Ateliers 20mn " Noisy Poste F 20mn " Noisy BV et autres chantiers 10mn Epernay BV 10mn Gretz BV 15mn Langres BV Jorquenay 15mn Pantin BV Centre de l'Ourcq 17mn " Entretien de l'Ourcq 23mn Paris - La Villette Paris - Est par la piste 15mn " Paris - Est par la ville 23mn Reims BV 25mn " Bétheny 30mn " Autres chantiers 20mn St Dizier BV 20mn Troyes BV 35mn " Les Marots 30mn " Chapelle St Luc coté Paris 25mn " Chapelle St Luc coté Chaumont 15mn Vaires BV 35mn " Chelles BV 28mn " Triage impair 28mn " Triage pair 13mn Vaires BV Triage impair 16mn Vaires Triage pair Vaires Triage impair 12mn Vaires BV Poste I 10mn Vitry le François BV 8mn Dérogations particulières aprés l'arrivée en gare de Paris Est à certains trains N° Train Heure d'arrivée Temps alloué 18 Express. Provenance Innsbruck 6.15 40mn 1116 Rapide Luxembourg - Metz - Paris 9.35 65mn 1118 6.35 55mn 48 Arlberg express 7.25 35mn 6 Orient express 8.15 35mn 12 Rapide 17.17 30mn 104 Express. Provenance: Nancy 18.05 30mn 42 Express. Provenance: Bâle 17.59 40mn 14 Express. 21.42 30mn 24 Express. Provenance: Charleville 19.13 30mn ANNEXE 13: Trains, travaux, ballast, VB, avis travaux et consignes de sécurité. Au dépot de Noisy, il n'était pas rare que certaines journées comportent jusqu'à 4 machines et plus affectées à ces trains avec numérotation VB n°1, 2, 3, 4, etc... En général y était affectés des agents ayant demandé un petit service pour raisons personnelles, des agents rentrant de congés pour remise dans le roulement et avec leur machine ou des élèves-mécaniciens. Occupations subalternes et sans gloire où des équipes étaient prévues en 2x8: on avançait et reculait de quelques mètres pour remplacer rails ou traverses ou déverser du sable dans les pistes. Dans le triage de Noisy, coté dépot, 3 voies du faisceau étaient réservées au service VB. Il y avait aussi les trains de ballast pour les renouvellements importants qui nécessitaient 2 équipes: la première faisait la préparation de la machine, la sortie du dépot, les manoeuvres le cas échéant, et la mise en tête du train; la deuxième relevait la première en un endroit précis prévu à l'avance, en HLP ou en voiture, en ayant parfois 2 km à faire à pied pour rejoindre le chantier de pleine voie. Tous ces mouvements étaient régis par des "Avis Spéciaux Trains Travaux". Quand une voie principale était neutralisée, le mécanicien, par l'intermédiaire du pilote, agent VB, recevait un avis sur lequel était mentionné obligatoirement les heures où la section de ligne était à la disposition du service de la Voie. Ces documents étaient émargés par le mécanicien. Pendant la neutralisation, la portion de voie considérée devenait le fief intégral de VB, qui pouvait y faire exécuter les mouvements qu'il voulait dans les limites matérialisées par des drapeaux rouges ou par les signaux en place. Ces horaires devaient être respectés scrupuleusement. Eventuellement, il était de l'obligation du mécanicien de les rappeler au chef de chantier et plus spécialement au pilote, agent VB en permanence en contact avec le mécanicien et autorisé à se trouver sur la locomotive, donc responsable direct de l'application stricte des avis-travaux. Quelques fois, c'était épique: bagarres verbales ou téléphoniques entre le service de l'Exploitation et celui de la Voie si la ligne n'était pas rendue dans les délais prévus. Une fois, en gare du Raincy - Villemomble ( ligne 1 Paris - Strasbourg), 16 km de Paris, le pilote voulait me faire passer un carré fermé ( mécanique, à cocarde) dans la partie de voie neutralisée. Bien entendu, refus catégorique de ma part: -Donne-moi un bulletin de franchissement de carré. -Je n'en ai pas! ( et de toute façon, il ne voulait pas m'en délivrer un). Au bout de 15mn arrive le chef de district. -Je vous donne l'ordre de franchir le carré fermé. Je lui réponds poliment et avec un calme olympien qu'à m connaissance, il n'y avait aucun article du réglement des signaux qui permettait ou donnait l'autorisation de franchir un carré fermé, mécanique ou lumineux, sur une voie, fut-elle neutralisée. Son ordre était donc sans valeur et même en totale infraction avec les réglements de sécurité. -Je téléphone à votre chef de dépot pour refus d'obéissance! -Vous pouvez même téléphoner au Chef d'Arrondissement de la Traction! Il revint peu aprés: -Votre patron m'a répondu que si vous ne vouliez pas passer le carré à la fermeture, personne ne pouvait vous y obliger, pas même le directeur de la SNCF. Pour en finir, ce fut moi qui résolut le problème d'une façon simple et équitable pour tous, car on y serait encore: je sussurais au pilote d'aller tirer sur la ficelle commandant le carré, le temps que je passe; et ce fut fait. Je me méfiais, car au service de la Voie, il existait des habitudes, des coutumes et une souplesse exagérée dans l'application intégrale des réglements et des consignes de sécurité: tant que tout va bien, il n'y a pas de problèmes; mais le jour où survient un pépin, ce n'est plus la même chanson. Il est arrivé que le train ne se trouve pas à l'endroit prévu: étant parti une fois de Rosny sous Bois où devait se faire la relève d'équipe, je refoulais mon train sur Noisy. La relève nous croisant, il s'en suivait des dérogations de travail et des rapports de mécaniciens. Il faut reconnaitre que malgré de petits problèmes, dans l'ensemble, nos rapports avec nos collègues de la Voie étaient bons et amicaux et nous vivions bien ensemble étant donné que c'était presque toujours aux même que nous avions à faire. ANNEXE 14: Parler en usage aux débuts du chemin de fer. ( d'aprés le livre " La Vie Quotidienne dans les Chemins de Fer au XIXème Siècle" de Henri Vincenot, Hachette, 1975). Aboyeur: agent de l'exploitation annonçant le nom des gares, les correspondances à l'arrêt des trains de voyageurs; ferme aussi les portières. Acrobate: agent qui circulait sur les toitures des voitures pour allumer les lampes à gaz ou à pétrole des compartiments. Bécane / Bouzine: noms donnés à la locomotive à vapeur par les cheminots autres que les tractionnaires. Bougnats: agents qui chargeaient le charbon. Bicornots: gendarmes. Basculer: jetre le feu dans une fosse ou sur le ballast. Baragouiner: nom donné aux ouvriers bretons, qui avaient du mal à se faire comprendre pour avoir du pain blanc ( bara gwenn en breton). BV: Bâtiment Voyageurs. Buffet: restaurant et buvette implanté dans les gares les plus importantes, avec un arrêt du train pour manger. Ce dernier était interdit au cheminot, auxquels il était défendu de consommer de l'alcool (juridiction de l'Armée omniprésente). Certains chefs de gare fermaient les yeux mais obligeaient les "délinquants" à leur faire certains travaux gratuitement. Boyaux: tubes à fumée. Culs terreux: agents travaillant sur les voies. Cayute / Cahute: maison. Chieurs d'encre: employés de bureaux. Cheval de manoeuvre: cheval qui manoeuvrait et classait les wagons dans les gares; il y en avait encore une centaine en 1940. Casernes: logements des cheminots dans l'enceinte du chemin de fer. Chaudron: nom vulgaire donné aux locomotives par des cheminots autres que tractionnaires. Crassin: nom imprégné dans le filigrane des montres des mécaniciens. Caillou: charbon mélé de pierres. Couscous / Cale-soupapes: houille de mauvaise qualité. Charognards: seigneurs ( mécaniciens) qui comptaient à leurs chauffeurs le nombre de pelletées de houille à mettre dans le poële ( foyer) pour réaliser des économies et augmenter ainsi leur paie. Compagnon bouclé: compagnon ayant une ou plusieurs boucles d'oreille; cette particularité était portée sur leur fiche de paie. Dynastie: lignée de cheminots. Détresse: moment au cours de la traction ou il est nécessaire d'avoir recours à une autre locomotive. Equipe: le seigneur et le nègre. Faire du gaz: produire de la vapeur en activant le feu. Faire le 505: remorquer le train n¡505. Faire l'heure: réaliser l'horaire d'un train ou un roulement ( les 2x12, les 3x8). Farinade: beaucoup de poussier, pas de tout-venant ou de criblé. Faire cul: s'arrêter en pleine voie (analogie avec un tombereau). Gousset: etui où le mécanicien met sa montre. Gens du trait: géomètres et arpenteurs. Galvachers: charretiers et bouviers du Morvan conduisant les attelages pour les terrassements des voies ferrées. Gens de la route: charretiers, postillons, rouliers. Gens de l'eau: canalous, grenouilles, otus, gabariers. Godailles: équivalent de ripailles. Gueules noires: mécaniciens et chauffeurs. Grouillot: débutant. Grange: remise où l'on gare les locomotives. Jargon: 30 ans d'avance sur le franglais. Présence d'ouvriers, de chauffeurs et de mécaniciens d'origine anglaise, ceux-ci ayant été les premiers à conduire des locomotives en France. Les Mossieurs: surnom donné par les gueules noires aux agents de l'exploitation du fait que ces derniers étaient toujours en tenue. Le lampiste: le dernier dans la hyérarchie cheminote. Père bouillotte: agent qui mettait en hiver dans certaines gares des bouillottes remplies de sable chaud sous les pieds des voyageurs de 1ère et de 2ème classe. Vache de manoeuvre: vache qui effectuait la même tâche que le cheval dans certaines régions ( Massif Central, Berry, Morvan, Béarn). L'une d'entre elles était encore en service en 1938 en gare d'Usson - St Pal ( réseau Sud - Est, ligne Bonson - Sembadel). Laisser la burette: autorisation du seigneur à son chai-uffeur de faire le graissage. Lèche-bielle: mauvais graissage, où l'huile va sur le ballast et entraine une régression de la prime d'économie. Peau: robage du corps cylindrique. Ramouniats: tubistes, agents chargés du nettoyage des tubes à fumée. Les rouges: partisants de la grève chez les tractionnaires. Les jaunes: chieurs d'encre, culs terreux, gens de l'exploitation contre la grève. Père l'heure: agent chargé de mettre toutes les pendules à l'heure. Mécaniciens grandes roues: mécaniciens titulaires de machines à grandes roues, qui tractaient les trains nobles de voyageurs, rapides et express. Monter le feu: préparer son feu pour la remorque d'un train. Mettre en limon: accrocher la machine en tête de son train. Marche funèbre: rouler doucement par manque de pression. Ornière: le rail, tel qu'il était désigné par le commun des mortels. Ouagon: wagon. Planton: agent de dépot qui commande à domicile les tractionnaires ou les agents d'accompagnement des trains, de jour comme de nuit. Croâ-croâ: cri poussé par des loustics au passage des prêtres dans le quartier cheminot. Saboteurs: enrayeurs. Dans les triages, agents qui se précipitaient au devant des wagons pour les ralentir. Métier à haut risque. Certains quartiers cheminots portaient des noms évocateurs de ce genre de travail, tels "La Calédonie", " Nouméa" ou "Biribi". Sans commentaire. Staticien: armé d'un carnet, d'un porte-plume et d'un encrier, cet agent relevait sur place le numéro des wagons à l'arrivée et leur destination. Bat'd'Af': triages disciplinaires pour les atteleurs, comme Miramas ( à cause du vent) ou Villeneuve St Georges ( "la mangeuse d'hommes"). Coursier de fer: locomotive. Chalet de nécessité: WC. I fallut attendre fort tard pour voir ce genre de commodité apparaitre dans des véhicules. "Pour 20 sous de chemin de fer"...: exemple de demande formulée aux guichets par des voyageurs campagnards sans aucun but précis, ne voulant que rouler dans le train. Voiture à voyageurs: les premières ressemblaient aux diligences à 2 classes, parfois 4. La dernière classe était constituée de tombereaux découverts sans portes ni marchepieds appelés wagons. Dans le langage populaire: caisse à savon en France, Barquettes en Belgique, gondoles en Allemagne. Mode et chemin de fer: le toit des voitures était très bas et l'exiguïté des compartiments contribuèrent certainement à la raréfaction puis à la disparition des crinolines, tournures, faux-culs, vertugades, capotes, houppelandes, panaches, plumes, shakos, gibus et casques à crinière. Hirondelles: gens chargés de bagages qui prenaient le train avec un billet de première classe puis proposaient aux voyageurs de la "pacotille" ( bigoudis, épingles à cheveux, peignes, sels, parfums, bretelles, mouchoirs, friandises, boissons, flacons de Cognac ou de Kummel,etc...). Le colportage s'était ainsi adapté au nouveau mode de transport. Bateau: expression maritime qui pouvait désigner le train. Remorqueur: locomotive. Feuille de route: journal de bord du train. Vigie: cabine surélevée servant à surveiller le train par une lucarne. Aux freins !: selon un code convenu, les serre-freins mettaient les sabots à contact avec les roues afin de commencer à réduire la vitesse d'une rame. Aux freins à mort !: signal d'arrêt d'urgence donné par le mécanicien aux serre-freins. Coups de sifflet de grande détresse: ils commandaient aux serre-freins de sauter de leurs vigies. Bois de casse: planches de wagons accidentés dans les triages ( construction de cabanes). Charbon de Chine: charbon chapardé sur les tenders, le long de la voie ou acheté aux bougnats dans les dépots. Vin de Chine: pour s'en procurer, il fallait un villebrequin et 2 ou 3 chevilles en chêne du diamètre correspondant. On choisissait son tonneau. De mon temps, on appelait cela " la pinèche". Punch de vigie: breuvage dont seuls les serre-freins avaient le secret ( vin, baies de genévrier, thym, oignons, ciboulette, sucre et cannelle). A boire très chaud en y trempant des mouillettes de pain. Il y avait quantité de recettes. "Gnaule" de Chine: prélevée comme le vin. HLP: Haut Le Pied: circulation d'une machine seule; agent rentrant à son point d'attache comme simple voyageur. Jean- foutres, bras morts, cheminots en peau de lapin, pieds fins: qualificatifs des mécaniciens envers les agents des trains. Manche en fer: commande du régulateur. Manche en bois: pelle du chauffeur. Mise au feu: charger le foyer. Lévrier du rail: la Crampton. Bas de soie: chef mécanicien ( d'aprés le mécanicien Beaujoie du dépot de La Chapelle). Nid: magasin en ville où l'on devait de l'argent. Ardoise: café où l'on devait de l'argent. Gamins civils: gamins d'un quartier non cheminot. Moineaux civils: moineaux de la ville, propres. Moineaux de gare (ou de dépot): moineaux gros et gras, au plumage couleur de nuit. Pigeons de gare: noirs comme des corbeaux. Suce-mèche: surnom donné aux lampistes au temps des lampes à pétrole. Chaque fois qu'il remplaçait une mèche, le lampiste avait pour habitude d'aspirer en suçant la mèche pour faire monter plus vite le combustible. Ecrevisses de couloir ou lapins de corridor: surnoms donnés aux garçons de bureaux qui distribuaient le courrier, en particulier dans les anciens arrondissements d'exploitation. Ils allaient de porte en porte en marchant tel une écrevisse. ANNEXE 15: Organisation pour la mise en marche des trains spéciaux de déportés. La S.S constituait un Etat dans l'Etat, sans aucun contrôle. Elle disposait de services administratifs, d'une trésorerie et prenait les décisions. Ainsi, elle commandait directement la circulation des "trains spéciaux" en fixant le nombre et le jour à une agence de voyage allemande, l'agence MITROPA ( contraction de Mittel Europa : Europe Centrale), l'agence à tout le monde, qui avait pignon sur rue et à laquelle on pouvait s'adresser pour le tourisme, les vacances. L'agence commande les "trains spéciaux" aux compagnies ferroviaires, qui ont chacune un service chargé de l'organisation de trains supplémentaires de toutes sortes et catégories. La composition maximale des "trains spéciaux pour personnes transférées" est de 50 wagons, soit 1200T. Il s'agit de trains lourds. Le tarif est celui de groupe, ou d'excursion au-dessus de 400 personnes; mais il arrive quelquefois que le tarif "excursion " soit consenti pour moins de 400 personnes. La S.S est une bonne cliente, qui paie toujours avant ou aprés le transport. L'agence est payé directement par la trésorerie S.S, puis rémunère les compagnies ferroviaires exclusivement en devises du pays concerné. Mais d'où vient l'argent? C'est bien simple: ce sont les transférés qui paient eux-même leur transport aprés que les nazis leur aient volé argent et bijoux et qu'ils aient vendu leurs biens. Le change et le transfert de ces fonds sont effectué par les banques( l'argent n'a pas d'odeur, même celle de la mort). Il y a aussi les sommes résultant de la récupération des dents en or, bridges et bijoux raflés avant le passge dans les chambres à gaz, sans oublier les cheveux et les vêtements. Si la S.S avait des problèmes pour acquitter ses dettes, la MITROPA lui faisait des avances de trésorerie pendant que se négociait la vente des fruits des vols et des pillages. Un seul convoi, de Corfou ( Grèce) à Auswich ne fut jamais réglé par la S.S. Les écritures relatives aux "trains spéciaux" n'étaient pas secrètes, et étaient les mêmes que pour tous les autres types de trafic. La distribution des fiches de mise en marche était seulement limitée aux grandes gares de passage -5 ou 6 au maximum. Elles portaient la mention TC ( Train Chargé) à l'aller et L ( Train vide) au retour. Exemple d'horaire: Arrivée Treblinka: 11.24 ( rame chargée). Départ Treblinka: 15.59 ( rame vide). Il s'écoulait entre 4h et 4h30 aprés l'arrivée pour procéder au déchargement, puis pousser par tranche de 10 wagons l'ensemble de la rame sur la rampe conduisant à la "désinfection", procéder à son nettoyage et à sa remise à disposition pour un autre "train spécial". Les équipes de conduite avaients une prime spéciale et de l'alcool pour entrer dans le camp. Quand la rame repartait à 15.59, 6000 transférés découvraient "la nuit et le brouillard"; beaucoup d'entre eux étaient gazés dès leur arrivée. Il fallait faire vite car un deuxième convoi arrivait vers 17.00 et un troisième vers 3.00 du matin. Trains spéciaux de personnes transférées, d'aprés des témoignages allemands ( Shoah, de Claude Lanzman, 1985). 1941: 19 trains. 1942: 104 trains. 1943: 257 trains. 1944: 326 trains. Total: 706 trains. (Source: "La Déportation", Editions Le Patriote, 1968). Compositions des trains "spéciaux": -50 wagons, avec environ 120 personnes par wagon. -6000 personnes transférées par convoi. -6000 personnes x 80 kg en moyenne ( y compris les bagages) = 750T. Charge totale du train: 1230T. Nombre de morts: 9 000 000 sur 23 nations. Sur 8 295 000 juifs en 1939, 6 000 000 furent supprimés entre 1940 et 1945 ( selon d'autres sources, 6 000 000 de morts dont 3 000 000 de juifs). ANNEXE 19: Le Capitole. C'est en 1967 que le Capitole, liaison rapide entre Paris et Toulouse, vit le jour. La distance de 713 km entre ces 2 villes comporte de Caussade à Limoges un parcours à profil difficile: courbes de faible rayon et rampes et déclivités continuelles de 10mm/m. A elle seule, cette section abat considérablement la vitesse commerciale réalisée sur le reste du trajet. Il était donc indispensable un temps de parcours comparable à celui obtenu sur des distances similaires sur d'autres relations avec de meilleurs profils de réaliser une augmentation générale des vitesses sur la totalité de la liaison Paris - Toulouse. Cette augmentation s'est traduite par rapport aux autres trains C 140 par des différences variant de 15 à 20 km/h entre Limoges et Toulouse pour atteindre celles de 20, 30 et 60 km/h entre Paris et Limoges. Les vitesses commerciales suivantes en découlent: -138 km/h de Paris à Limoges ( 400 km). -101 km/h de Limoges à Toulouse ( 313 km). Soit une moyenne générale de 119 km/h mettant Toulouse à 6.00 de Paris. Au service d'hiver 1954, le 1001 mettait 9h07 ( Paris: 8.50, Toulouse: 17.57) et le 1021, train de nuit "Barcelone Express" 8h46 ( Paris: 20.30, Toulouse: 5.16). Le Capitole réalisait 68 paliers de vitesse par accélération ou décélération. 716 km en 6h00, le confort et le luxe des nouvelles voitures ont été aussitôt appréciés par la clientèle. Les utilisateurs, parmi lesquels des industriels, des hommes d'affaires, des docteurs, des avocats, peuvent, dans des conditions de stabilité inégalées sur les autres trains, travailler à des études, des bilans, des devis... Quelles ont donc été les conditions à réunir pour qu'en toute sécurité des trains dépassant 400T puissent être lancés à 200 km/h? 1) Le choix du profil: courbes à grand rayon, voie stable et bien armée. La section des Aubrais à Vierzon en est un cas typique. A noter que de Guillerval aux Aubrais, le profil est bon mais que pour que la vitesse de 200 km/h puisse y être pratiquée, un équipement de présignalisation s'imposait. 2) La construction du matériel: sans parler du confort dé aux nouveaux bogies, il faut parler d'un mode de freinage supplémentaire, qui s'ajoute au serrage habituel ( freinage à haute puissance): le frein électro-magnétique. Celui-ci consiste en l'application sur le rail d'une semelle magnétique constituée de plusieurs tronçons de façon à épouser le plus parfaitement possible le profil ondulatoire du rail. Cette application au rail ne peut se faire que si 3 conditions sont remplies: -une CP ( Conduite Principale) parcourant tout le train est reliée, sur chaque véhicule, à un RP ( Réservoir Principal) alimenté par la locomotive à 9 bars. -la vitesse doit être au moins égale ou supérieure à 50 km/h: le contrôle est effectué sur chaque voiture par un boitier "Oméga". -une dépression égale au moins à 2,8 bars existe dans la CG ( Conduite Générale) pour tous les trains. Ce mode de freinage permet d'obtenir l'arrêt d'une rame lancée à 200km/h sur environ 1700m. 3) La dotation de locomotives BB 9200 aptes à circuler à 200 km/h, qui implique 2 conditions principales: -modification du rapport d'engrenages. -mise en place dans chaque cabine d'un boitier " Cab Signal" ou signalisation en cabine. sur ce boitier, l'indication "VP" ou "160" doit apparaitre dans la zone de circulation à 200 km/h. A cet effet, la section des Aubrais à Vierzon est équipée d'émetteurs d'ondes à2 fréquences différentes combinés aux indications données par les signaux ( BAL/ Bloc Automatique Lumineux) et pouvant être influencé directement par des commutateurs placés sur certains signaux ou implantés aux PN et sous-stations. L'indication VP ( Vitesse Plafond) apparaissant sur le boitier permettait au mécanicien de circuler à 200 km/h, cer celà signifiait que 3 cantons étaient libres devant lui. Il n'en doit pas moins continuer à observer la signalisation latérale. L'indication "160" succédant au franchissement d'un signal à voie libre VP commande de réduire la vitesse dans les limites régies par un "contrôle de vitesse". Ce dernier est constitué par l'allumage simultané avec l'apparition de "160" succédant à VP d'une rampe lumineuse verticale à 10 plots, chaque plot représantant 1 km. Tous allumés lors de la décélération, ils indiquent que la vitesse réelle est inférieure d'au moins 10km/h à une courbe théorique en mémoire dans le dispositif. L'extinction de 1, 2 ou 3 plots indique que la différence entre la vitesse réelle et celle théorique n'est plus que de 9, 8 ou 7 km/h. L'extinction totale indique que les 2 courbes sont sécantes et déclenche l'action du frein ainsi que l'ouverture du disjoncteur de la locomotive. Cet ingénieux appareillage, en effectuant un balayage de 3 cantons, permet aux trains "grande vitesse" de se présenter devant des signaux fermés, des chantiers de travaux, des "baissez pantos", dans les mêmes conditions que les autres trains. Aux essais, 400 circulations ont été effectuées avec voiture d'enregistrement pendant plus d'une année à des vitesses croissantes de 200 à 250 km/h. Annexe 20: Rampes de 6mm/m et plus. Ligne 1: Paris à Nancy et Metz. -entre Lérouville et Ernecourt-Loxéville, du PK 288,103 au PK 287,237: rampe de 8 sur 9,866 km . -entre Nançois-Tronville et Ernecourt-Loxéville, du PK 265,250 au PK 275,320: rampe de 8 sur 10,270 km. Ligne 2: Paris à Charleville. -entre Oulchy-Brény et Fère en Tardenois, du PK 101,347 au PK 106,557: rampe de 6 sur 5,210 km. -entre Rethel et Tagnon, du PK 93,543 au PK 89,911, rampe de 6 sur 3,632. -entre Amagne-Lucquy et Launois, du PK 103,105 au PK 116,500, rampe de 10 sur 13,695 km. -entre Bazoches et Mont Notre Dame, du PK 123,815 au PK 121,868, rampe de 6 sur 1,947 km. -entre Mont Notre Dame et Fère en Tardenois, du PK 120,688 au PK 111,148, rampe de 6 sur 9,540 km. Ligne 4: Paris à Belfort. -entre Nogent - Le Perreux et Emerainville - Pontault Combault, du PK 17,318 au PK 25,400, rampe de 6 sur 8,082 km. -entre Maranville et Chaumont, du PK 241,777 au PK 361,393, rampe de 6 sur 19,616 km. -entre Lure et Bas Evette, du PK 411,187 au PK 428,383, rampe de 7 sur 17,196 km. -entreBelfort et Bas Evette, du PK 442,442 au PK 438,520, rampe de 6 sur 3,922 km. -entre Vaivre et Grattery, du PK 376,451 au PK 373, 983, rampe de 6 sur 2,468. -entre Charmois et Langres, du PK 321,464 eu PK 303,612, rampe de 6 sur 17,852 km. -entre Luzy sur Marne et Chaumont, du PK 269,042 au PK 262,813, rampe de 6 sur 6,229 km. -entre Jessains et Vauchonvilliers, du PK 209,895 au PK 205,895, rampe de 6 sur 4 km. Ligne 21: Gretz-Armainvilliers à Sézanne. -entre Sézanne et Le Meix-St Epoing, du PK 131,576 au PK 125,918, rampe de 9 sur 5,658 km. -entre Coulommiers et Mouroux, du PK 70,819 au PK 68,604, rampe de 10 sur 2,215 km. -entre faremoutiers-pommeuse et Guérard-La Celle sur Morin, du PK 64,397 au PK 61,506, rampe de 7 sur 2,891 km. Ligne V: Paris-Bastille à Verneuil l'Etang. -entre vincennes et Nogent sur Marne, du PK 5,300 au PK 8,700, rampe de 6 sur 3,400 km. -entre Sucy-Bonneuil et Boissy-St Léger, du PK 19,584 au PK 21,299, rampe de 10 sur 1,715 km. -entre Boissy-St Léger-Brévannes et Villecresnes, du PK 21,842 au PK 25,800, rampe de 12 sur 3,166km. -entre villecresnes et Santeny-Servon, du PK 28,200 au PK 30,200, rampe de 13 sur 2 km. -entre Coubert-Soignoles et Yebles-Guignes, du PK 45,669 au PK 48,519, rampe de 9 sur 2, 850 km. -entre Coubert-Soignoles et Grisny-Suisnes, du PK 42,669 au PK 40,999, rampe de 7 sur 1,970 km. -entre Santeny-Servon et Boissy-St Léger, du PK 29,000 au PK 26,000, rampe de 8 sur 3 km. Grande ceinture de Paris: Juvisy à Noisy. -entre Noisy le Sec et Rosny sous Bois, du PK 61,095 au PK 62,089, rampe de 10 sur 0,994 km. -entre Champigny sur Marne et Nogent-Le Perreux, du PK 71,812 au PK 69,682, rampe de 11 sur 2,130 km. Nombre de kilomètres parcourus de 1940 à 1971: -en traction vapeur, 5000 à 6000 km par mois. -en traction diesel, 10 à 12000 km par mois. -sur 31 ans, 1 674 000 km. Annexe 21: Des surnoms pour des locomotives à vapeur. Américaines / T.P / Pershing / Boileed Beef: Locomotives 140 débarquées par l'armée américaine à partir de 1917. 2000 exemplaires construits par Baldwin et envoyés sur le front français entre 1917 et 1920. Désignées Américaines type B puis 140 G à la SNCF, elles furent réparties sur tous les réseaux à l'Armistice par les soins du Ministère des Travaux Publics, d'où le surnom de "T.P". "Boileed Beef" se comprend également puisque l'armée américaine en avait amené conjointement avec l'outillage. Le Général Pershing (1860 - 1948) était le commandant des troupes américaines en France en 1918. Bossues / Dos de chameau: Autre type de 140, construites entre 1917 et 1920 par l'American Company et réparties par le Ministère des Travaux Publics entre le PO, le Midi et le PLM aprés le conflit. Désignées Américaines type A puis 140 H à la SNCF, ces machines, construites à 300 exemplaires, avaient une chaudière en dos de chameau, qui s'explique par la forme du raccord de la boite à feu à la dernière virole tronconique de la chaudière. ALVF: 140 étudiées à l'origine pour la remorque des trains de l'Artillerie Lourde sur Voie Ferrée, genre 140 C Ouest. Front Français: 140 USA de la dernière guerre mondiale. Austerity: 140 anglaises de la dernière guerre. ETAT. Grand Ecart: 030 T de manoeuvre n¡0314 de 1872, provenant de l'ancienne compagnie d'Orléans à Rouen. Elle était munie d'une distribution Stephenson à barres croisées qui donnait l'impression que les systèmes bielles - manivelles effectuait le grand écart. Surnom localisé ( Chartres, Chateau du Loir, Tours). Nez de Cochon: 220 à surfaces de moindre résistance à l'air pour trains rapides, série 2751 à 2754, de 1898. Les tôles à l'avant de la boite à fumée évoquaient la forme d'un nez de cochon. Fallières: 230 types Nord et Midi, série 3701 à 3740 puis 230-001 à 055, construites de 1901 à 1910, à l'époque où Armand Fallières ( 1841 - 1931) était Président du Sénat ( 1898) puis de la République ( 1906 - 1913). Panama: 230 pour trains rapides série 3801 à 3840 puis 230-841 à 883, 230 G à la SNCF, construites de 1908 à 1912, avec une légère différence estétique entre les 2 sous-séries. Elles remorquaient fréquemment le fameux rapide 99 Paris - Royan qui transportait vers l'Atlantique une clientèle aisée dont les éléments masculins étaient coiffés d'un panama ( chapeau très souple tressé avec la feuile d'un arbuste d'Amérique du Sud, le bombanage). Surnom très usité au dépot du Mans. Concordance entre la sortie des premières unités et le lancement de la mode des panamas. Jocondes: 230 pour trains rapides série 230-781 à 800 de 1912, puis 230 L à la SNCF. Elles sortirent d'usine alors que l'affaire du vol de la Joconde défrayait la chronique. Mais peut-être aussi semblaient-elles très belles aux yeux du personnel de conduite. Dieppoises: 231 pour trains rapides, série 231-011 à 060, puis 231 B à la SNCF. Bon nombre d'entre elles étaient affectées au dépot de Dieppe. Janine: 231 G 513 du dépot des Batignolles. Origine du surnom inconnue. NORD. Type Orléans: 030 T de manoeuvre série 3901 à 3930 de 1866 / 1868. Similitude avec des machines du PO. 180 unités: 040 pour trains de marchandises, séries 4001 à 4120, 4636 à 4800 et 4801 à 4890 de 1866 / 1891. 180 unités correspond à une catégorie du tableau des charges relative aux possibilités de tonnage à remorquer. Bouteilles à encre: locomotives de manutention série 2001 à 2034, de 1878 / 1885, à la forme ramassée. Outrances: 220 pour trains rapides, séries 2821 à 2832 et 2834 à 2860 de 1871 / 1877. Selon les mécaniciens, ces excellentes machines pouvaient être poussées à outrance. Bicyclettes: 120 T pour trains mixtes série 2451 à 2631 de 1867 / 1883. Le surnom provient autant de leur apparente fragilité que de leur aisance de marche. Courtes queues: 032 T de banlieue série 3021 à 3075 de 1880 / 1883, dont la partie tender était particulièrement exigüe. Chameau / Fortes rampes: 040 T système Petiet séries 4586 à 4600 et 4601 à 4605 de 1865 / 1866. s'explique par leur forme particulière et par le service auquel elles étaient destinées. Longs bahuts: 220 pour trains rapides série 2161 à 2180 de 1898, équipées de tenders à bogies de 19m. Bretonne / Orpheline: 231 pour trains rapides. Unique de son type, elle était en construction chez Fives - Lille au moment de l'invasion allemande de 1914. Restituée au Nord en 1919. Comme il s'agissait d'une Pacific Etat pour les gens du Nord, elle était appelée "Bretonne", la Bretagne symbolisant le réseau de l'Etat. Son existence fut très mouvementée. Super Pacific: 231 pour trains rapides, séries 3-1201 à 1240 et 3-1241 à 1290, de 1923 / 1931. Les sous-séries présentent des différences estétiques. Locomotives très puissantes compte tenu de leurs dimensions. Tender: 030 T série 3001 à 3010 de 1876. Baleine: 130 mixte prototype n° 3395 de 1887, modifiée en 1895. Métropolitain: 032 T série 3102 à 3103 de 1892 / 1893. Il s'agissait de locomotives expérimentales prévues pour une ligne métropolitaine devant relier la gare du Nord au Champ de Mars via les Halles, dont le Nord avait demandé en vain la concession en 1890. R.O.D hollandaises: 232 T de banlieue à mouvement intérieur, série 3871 à 3884, puis 232 TB à la SNCF. Construites par Beyer - Peacock en 1914 pour le compte des chemins de fer hollandais, elles furent mises à la disposition du corps expéditionnaire anglais en France par le Railway Operating Department ( ROD) en raison des hostilités. Elles sont cédées au Nord en 1919. R.O.D canadiennes: 140 construites au Canada en 1916 et transformées en 141 T en 1922, série 4-1664 à 1700, puis 141 TA à la SNCF. Nonante: 230 pour trains rapides provenant de la transformation de la 222 n¡2741 de 1907 et roulant à 90 km/h, ce qui se prononçait "nonante" dans l'argot du Nord. Blériot: 232 T de banlieue, série 3801 à 3865 de 1909 / 1913, puis 232 TA à la SNCF. La première machine est sortie d'usine en 1909, année de la première traversée aérienne de la Manche par Louis Blériot ( le 25 juillet). Boeufs: 140 pour trains de marchandises série 4061 à 4340 de 1912 / 1929, puis 140 A à la SNCF. Locomotive à tout faire du réseau, du train de marchandises à l'express lourd. Avec 25T d'effort théorique de traction en admission directe, elles "accrochaient" n'importe quel train, d'où leur surnom. Ravachol: 220 T de banlieue série2311 à 2380, de 1892 / 1896, 220 TA à la SNCF. La série apparut en 1892, année où l'anarchiste François Claudius Koenigsten Ravachol fut guillotiné. Il est possible de rapprocher ce surnom aussi au fait que ces machines étaient violentes de nature et difficiles à conduire. Révolver: 222 T de banlieue, série 2231 à 2310, de 1903, dont la forme des soutes à eau latérales rappelait celle d'un révolver. Cages à poules: automotrices à vapeur VW 1 à 4 et à 11, de 1901 / 1908, dont la forme évoquait une cage à poule. Autres surnoms: "poules" et "poupoules". Ventres à terre: 031 T de manoeuvre, classe T91 des chemins de fer de l'Etat prussien, livrées au Nord au titre des prestations d'Armistice en 1919. Série 3-1451 à 1459, puis 031 TA à la SNCF. Elles doivent leur surnom à la position très basse de leur soute à eau, placée entre les longerons du chassis. Type T 16 renforcé: 050 T de manoeuvre classe T 16 des chemins de fer de l'Etat prussien, livrées au Nord à l'Armistice de 1919, série 5505 à 5525, puis 050 TB à la SNCF. S'explique par opposition aux machines plus légères de la classe T 15. OUEST. Bicyclettes: comme sur le Nord, 120 T de banlieue, série 329 à 336 et 1 à 150, de 1849 / 1864, à l'apparence fragile mais d'une grande aisance de marche. Pilotes: 121 T de banlieue et de remonte, série 191 à 198, de 1878. S'explique de par la nature de leur travail: "piloter" les rames vides dans le dédale des aiguillages. EST. Marcassins: 030 T pour lignes d'embranchement, série 0201 à 0210, de 1859 / 1857, de petite taille et d'une forme ramassée. Engerth découplée / Engerth: 040 pour train de marchandises série 0501 à 0691, de 1860 / 1862. Les 25 premières unités étaient des machines Engerth séparées de leur tender. Chameau: 220 à chaudière Flaman (double corps superposé), série 801 à 840, de 1891 / 1895. S'applique aussi à des locomotives d'autres séries, munies à titre expérimental de cette chaudière ( Crampton 120) . La machine donnait l'impression d'avoir 2 bosses. Boiteuses: 130 B non modifiées qui avaient un cylindre HP d'un coté et un BP de l'autre, ce qui les faisait se dandiner lorsqu'elles roulaient. La Charcutière: 241 A 17 de La Villette, machine impliquée dans la catastrophe de Lagny le 24 décembre 1933 qui fit de nombreuses victimes. Type Lorraine: 151 T pour trains lourds de marchandises, série 5001 à 5005, de 1913, conçues pour la traction de trains de minerais dans le bassin lorrain. Farfadet: ? MIDI. Popaul: 230 mixte classe P 8 des chemins de fer de l'Etat prussien, livrées au titre des prestations d'Armistice en 1919, série 3701 à 3720, puis 230 H à la SNCF. Type Born: 030 T compounds à 2 cylindres série 21 à 24, étudiées par les services techniques de la compagnie du Midi pour les Voies Ferrées des Landes, réseau du Born et Marensin. PO. Gazelles: 120 mixtes série 1466 à 1491, de 1857 / 1858. Elles provenaient du chemin de fer du Grand Central o elles portaient les n¡ 566 à 591. Leur frêle silhouette évoquait quelque peu celle d'une gazelle. Il est possible que ce surnom se soit étendu à d'autres 120 mixtes. 4 Batons: 040 n° 1111, de la série 1101 à 1113 pour trains de marchandises, de 1863. S'explique par les quatres "1" de son numéro. Grand Modèle: 030 T de manoeuvre séries 1021 à 1030 et 1091 à 1100 de 1873 / 1886, puis 030 TB à la SNCF. S'explique par opposition à des locomotives identiques mais de moindres dimensions, dites "petits modèles". Pilou / Petit Modèle: 030 T de manoeuvre, série 1013 à 1074 de 1876 / 1886, puis 030 TC à la SNCF. L'appellation doit peut être son origine à une analogie entre le pilou, coton inflammable, et la facilité avec laquelle ces machines montaient en pression. L'Anglaise: 120 pour trains rapides n¡ 125, achetée chez Sharp - Steward à Manchester suite à la présentation par cette maison d'une locomotive identique à l'exposition universelle de 1878. De type unique, cet engin n'est jamais allé au-delà d'une ligne Tours - Orléans - Vierzon. Chicago: 230 mixte série 1771 à 1800, construites aux USA par Baldwin en 1901. Le surnom s'explique par référence aux Etats Unis, bien que les usines Baldwin se trouvent à Philadelphie. Le nom de Chicago était peut-être plus facile à prononcer que New-York ou Washington; au début du siècle, Chicago symbolisait le plus grand complexe urbain américain. Torpilleurs: 030 pour trains de marchandises séries 942 à 996 et 601 à 640, de 1876 / 1886, puis 030 A et 030 G à la SNCF. Origine du surnom inconnue. Biquettes: 230 pour trains rapides séries 1715 à 2855 et 3201 à 3235 de 1911 / 1914, puis 230 F à la SNCF. Origine du surnom inconnue. Chieuvres: 230 mixtes série 4201 à 4370, de 1914 / 1922, puis 230 G à la SNCF. Surnom provenant du parler berrichon . Reines: 231 pour trains rapides provenant de la transformation de 231 série 3500 sur les plans d'André Chapelon à partir de 1929. Elles formèrent les séries 3701 à 3722 et 231-722 à 731, puis 231 F et 231 H à la SNCF. Ces machines se caractérisaient par la grande pureté de leurs lignes et par leurs performances inégalées. Cul de bateau / Auvergnats: 141 T pour lignes de montagne, série 5301 à 5390, puis 141 TA à la SNCF. Leur soute à houille leur donnait l'allure d'une "poupe de navire". SYNDICAT DES CEINTURES. Boers: 030 T série 21 à 35 de 1889, construites dans les ateliers de la compagnie du Nord. L'origine du surnom est inconnue: faut-il y voir un rapport avec la guerre des Boers ( 1899 / 1902) ou avec la popularité du Président Kruger? - - - - - Sommaire. Les détracteurs. Spécial réseau de l'Est: les "Estos", les "Jugulaires". Petit historique de la machine à vapeur. Chapitre 1. Grandeur et décadence de la machine à vapeur. Ou se reposaient-elles? Que faisait-on dans ces rotondes? Entretien et réparation des locomotives à vapeur. Handicaps de la vapeur ayant hâté sa disparition de la scène ferroviaire. Haro sur ces pollueuses d'où vient tout le mal. Nous l'aimions, ce métier. Le grand sommeil. Chapitre 2. Mon approche du chemin de fer et l'apprentissage. Petite notice technique abrégée des 241 A. 131 TA / V 600. 230 A. 230 B. Le train des cités. Caractéristiques de la B1. 130 B. Dans l'antre des fauves. 230 K. L'exode. Retour au dépot de Noisy le Sec. Chapitre 3. Impositions de l'occupant. Le STO. Aventure à Changis St Jean. 140 A. Bombardement de Noisy le Sec. ône aventure qui aurait pu m'être fatale. Des débuts décourageants. 141 TC. Retour à la source. 131 TB. Chapitre 4. Débuts de tractionnaire en titre: CFRU. Retour au dépot de Noisy. 140 C. 141 R. Classement aux machines à vis. Passage aux 141 P. 141 P. Chauffeur titulaire. L'odyssée du 44 105. Chapitre 5. Changement de situation. 040 TX. Idée lumineuse mais malheureuse. 141 TB. Mécanicien. L'affaire D.... Quelques histoires vécues. Chapitre 6. La reconversion à la traction diesel. Anecdotes et souvenirs. Les torchons de Belfort. Un exemple de la bétise bureaucratique. Mon dernier incident. Chapitre 7. La vie d'un agent de conduite. Le travail de nuit. L'équipe. Ambiance 140 C. Conducteur d'engins modernes. Marches d'express. Palmarès de mes pannes, réserves ou demandes de secours. Chapitre 8. 241 P. Variante en traction vapeur. Tarifs des minutes gagnées. Annexes. Commencé en 1968, terminé le 4 décembre 1978, mis au propre à la machine à partir du 5 juillet 1994, remanié et achevé en juillet 1998.